Nouvelles inquiétudes relatives au projet de loi visant instituant un Conseil supérieur de l’information au Kurdistan irakien

Le 25 mai, Reporters sans frontières a adressé une lettre à Massoud Barzani, Président de la région autonome du Kurdistan irakien, afin de lui faire part de son extrême inquiétudes relatives au projet de loi visant instituant un Conseil supérieur de l’information au Kurdistan irakien, présenté les 13 et 14 mai derniers à Suleimanieh. Lire la lettre : Massoud Barzani Président de la région autonome du Kurdistan irakien Erbil Paris, le 25 mai 2011 Monsieur le Président, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse, souhaite vous faire part de ses inquiétudes relatives au projet de loi visant instituant un Conseil supérieur de l’information au Kurdistan irakien, présenté les 13 et 14 mai derniers à Suleimanieh. Notre organisation salue la volonté affichée des autorités d'encourager le pluralisme des médias et le respect de la liberté d'opinion et d'expression, tout en mettant l'accent sur le renforcement des principes d'éthique et de déontologie. Toutefois, dans l’état actuel du projet de loi, il apparaît que cet organe ne permettra pas de remplir ces objectifs. Certains éléments de ce projet nous inquiètent tout particulièrement, notamment quant à l'indépendance de ce Conseil. Du fait de sa composition, il apparaît clairement que ce Conseil supérieur de l'information ne peut être considéré comme une instance indépendante. En effet, comme mentionné dans l’article IV du projet de loi, le Conseil comprend neuf membres nommés. Le président de la région autonome du Kurdistan en nomme trois pour une période de six ans chacun. Le président du Parlement, quant à lui, pourra choisir trois autres personnes pour une période de cinq ans. Le Premier ministre, pour sa part, désignera également trois membres pour une période de quatre ans. Nos inquiétudes relatives au manque d’indépendance de ce Conseil supérieur sont renforcées par les dispositions de l’article V de ce même projet, qui prévoit que le président du Conseil et ses membres doivent prêter serment devant le président de la région autonome du Kurdistan irakien. Il n’est nullement fait mention que les personnes choisies seront des experts dans le domaine des médias et de l’information, comme il n’est nullement prévu de cas d’incompatibilité avec certaines fonctions, notamment politiques. La raison pour laquelle les différents membres de ce Conseil n'ont pas des mandats de même durée n'étant pas explicitée et renforce le poids du politique dans cette instance, censée être indépendante. Il est à craindre que ce conseil ne tombe sous la coupe directement des deux principaux partis du Kurdistan, que sont le Parti démocratique du Kurdistan que vous dirigez, et l’Union patriotique du Kurdistan de Jalal Talabani. Comme le processus de nomination, la question du financement met l’indépendance du Conseil en doute. En effet, si l'article III mentionne clairement l'autonomie administrative et financière dont jouira ce Conseil, l'article XIII montre qu'une partie des fonds alloués vient du budget général de la région. Les autres possibilités de financement doivent nécessairement être approuvées par le Conseil des ministres. Aucun budget, même minimum n’est prévu dans le texte. En outre, une autre de nos inquiétudes réside dans le principe même de l’instauration d’un tel Conseil. L’article VII réaffirme les nombreux principes fondamentaux que doivent respecter les médias au Kurdistan irakien, reposant sur des principes internationaux, ou propre aux spécificités de la région. Toutefois, ces principes généraux ne sont pas définis dans le projet de loi. Ce dernier ne mentionne pas non plus les sanctions éventuelles en cas de violation. Le champ d’application de la régulation n’est pas défini. Il n’est pas précisé si les décisions du Conseil s’appliquent aux médias papiers, aux médias en ligne ou seulement aux médias audiovisuels. Il convient de rappeler que pour les médias imprimés et web, l’auto-régulation est préférable. Les objectifs du Conseil figurent à l'article VIII, dont la rédaction reste imprécise. Il n’est nullement fait mention des moyens mis à dispositions du Conseil pour remplir ces objectifs. En outre, certains de ces objectifs nous ont semblé en contradiction avec le caractère indépendant de ce Conseil. En effet, l'article 8 A-4 dispose que le Conseil supérieur devra « servir les objectifs de la région médiatiquement, dans tous les domaines ». De la même façon les pouvoirs et compétences de ce nouvel organe ainsi que les procédures en vigueur demeurent absolument flou. Quant aux pouvoirs énumérés dans l'article IX, leur formulation est très imprécise. Et il semblerait qu'il y ait confusion entre les objectifs et les pouvoirs réels de la future instance. Certes, le Conseil contribue « en collaboration avec les autorités compétentes à la formulation de la politique de l'information » (IX-A), participe à « l'élaboration de codes de déontologie en collaboration avec les autorités compétentes » (IX - C), etc, mais on ignore à la lecture de ce projet de loi les outils à disposition de ce Conseil supérieur pour remplir ces mêmes objectifs. On ignore si le Conseil a un pouvoir de recommandation, s'il formule des avis, voire s'il possède un pouvoir de sanction. Par ailleurs, les alinéas H et I de l'article - dans lesquels il est mentionné que le Conseil supérieur aura pour fonction d'examiner les plaintes déposées auprès de cette instance et de « réconcilier les parties impliquées dans des situations de conflit relatives à des questions médiatiques » - jettent des doutes sur le rôle et la finalité de cette instance. Ce nouvel organe aura-t-il un pouvoir de concilation, d’arbitrage, ou juridictionnel? Il n’est pas non plus précisé quels seront les recours possibles contre ces décisions. Pour l'ensemble de ces observations, Reporters sans frontières estime que ce projet de loi, tel que formulé, contredit trop souvent l’objectif qui nous mobilise : la défense du pluralisme des médias. La mise en place d’un tel conseil, en l’état, pourrait porter atteinte au principe de liberté de la presse en permettant de contrôler et de sanctionner des journalistes et des médias sur des fondements textuels imprécis. Aussi notre organisation vous invite-t-elle à renoncer à la mise en place de cette instance, selon les termes qui figurent dans le projet de loi actuel. Nous tenant ainsi à votre disposition pour discuter de ces points de réflexions, je vous prie de croire, Monsieur le Président, en ma très haute considération. Jean-François Julliard, Secrétaire général de Reporters sans frontières
Publié le
Updated on 20.01.2016