Nouvelle preuve de vie du journaliste Dmytro Khyliuk, otage d'État en Russie

Selon les dernières informations récoltées par Reporters sans frontières (RSF), le journaliste qui avait été enlevé en Ukraine par les forces russes en mars 2022 est toujours vivant. Alors que les autorités russes nient le retenir en captivité, l’organisation détient des preuves confirmant sa disparition forcée et son transfert dans une prison à l’est de Moscou.

Dmytro Khyliuk est vivant. Après plusieurs mois de recherche, RSF a retrouvé la trace du journaliste arrêté dans le jardin de sa maison familiale au nord de Kyiv moins de deux semaines après le début de l’invasion russe en Ukraine, en mars 2022. Selon les informations de RSF, le journaliste de l’agence de presse ukrainienne UNIAN a quitté le centre de détention préventive n°2 de Novozybkov, une petite localité de l’extrême sud-est de la Russie, aux alentours du 13 mai 2023. Il sera resté un peu plus d’un an dans cette prison en dehors de toute base légale comme l’avait documenté notre organisation à travers plusieurs témoignages inédits attestant de sa détention.

Le journaliste a, depuis, été transféré dans une des prisons de la région de Vladimir, située à quelques centaines de kilomètres à l’est de Moscou. Dans un message parvenu à sa famille début juin, il déclare: “Je vais bien. Je vous aime. Prévenez UNIAN que je suis en prison.”  Le journaliste a par ailleurs été vu à deux reprises dans sa nouvelle prison à la fin du mois de mai, selon des sources rencontrées par RSF en juin dernier en Ukraine et qui pour des raisons de sécurité préfèrent rester anonymes. Leur récit constitue une nouvelle preuve de la captivité du journaliste alors même que les autorités russes ont jusqu’à présent nié le détenir ou avoir ouvert une procédure judiciaire contre lui. 

“En maintenant en prison ce journaliste ukrainien qui n’a commis aucun crime, la Russie continue à bafouer la convention de Genève. L’utilisation de civils comme butin de guerre pour leur soutirer des informations ou leur laver le cerveau s’ajoute à la longue liste des atrocités commises depuis le début de la guerre. Dmytro Khyliuk est aujourd’hui un otage d’État. Il doit être libéré sans condition.”

Arnaud Froger
responsable du bureau investigation

Où se trouve-t-il ?

La région de Vladimir compte 14 centres de détention. Dmytro Khyliuk est, selon nos informations, détenu soit dans la colonie pénitentiaire numéro 7 (IK-7), près de Kovrov, soit dans la numéro 6 (IK-6) de Melekhovo. Cette dernière est une prison de très haute sécurité à la réputation abominable. Elle a été rendue célèbre ces dernières années par la présence d’Alexei Navalny, l’un des principaux opposants à Vladimir Poutine. Une source a indiqué à RSF avoir su par d’anciens prisonniers russes que des Ukrainiens y étaient également emprisonnés.

À IK-7, la présence de détenus ukrainiens a été confirmée à RSF par deux militaires qui y ont été incarcérés et qui ont été libérés récemment. Ils n'ont cependant pas pu confirmer la présence de Dmytro Khyliuk dans cette prison de 1 200 places. Selon leurs témoignages, il y aurait au moins 300 militaires et civils ukrainiens incarcérés.

Les conditions de détention n’y sont sans doute pas aussi sévères qu’à IK-6 mais l’un des militaires interrogés a rapporté plusieurs cas de morsures de chien, des électrocutions et des privations de nourriture qui peuvent aller jusqu’à la perte de connaissance des détenus. Une quinzaine de personnes s’entassent dans des cellules prévues pour huit. Les Ukrainiens ne sont pas au contact des détenus russes et sont changés de cellule tous les deux mois environ. Leur seule occupation est imposée : lire des livres de propagande présentant l’Ukraine comme un régime nazi ou chanter des chansons patriotiques russes. La prison semble être principalement administrée par le personnel pénitentiaire mais la présence de militaires a également été signalée par l’une de ces sources. La plupart des détenus sont considérés comme des “témoins”, ne font l’objet d’aucunes charges officielles et n’ont pas accès à un avocat.

L’un des militaires interrogés déclare aussi avoir entendu, lorsqu’il était détenu, le “chef de la colonie” annoncer que Kovrov était “leur dernière prison” et que des Ukrainiens seraient “échangés prochainement”. Si c’est le processus de libération qui a été effectif pour une partie des prisonniers dont ce soldat de l’armée ukrainienne, faut-il y voir une note d’espoir pour Dmytro Khyliuk?

Les négociations entre Kyiv et Moscou sur le sort des civils détenus “progressent très lentement” selon l’un des conseillers du défenseur des droits ukrainien chargé du dossier. Ces derniers mois, seuls 34 paquets de nourriture ont pu être distribués à des prisonniers des deux côtés de la frontière. Des avancées timides face aux 10 000 personnes recherchées et soupçonnées d’être détenues par la Russie recensées par le CICR. Rien que pour les civils, les autorités ukrainiennes estiment de leur côté qu’au moins 25 000 Ukrainiens seraient captifs, dont certains comme Dmytro Khyliuk depuis plus d’un an. 

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