Nigeria : RSF dénonce une campagne électorale “polluée” par la désinformation

Alors que 84 millions d’électeurs sont attendus aux urnes ce samedi 16 février, Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de la prolifération de la désinformation et de la propagande lors de la campagne électorale au Nigeria et demande aux autorités de s’engager pleinement pour la défense des professionnels de l’information.

A l’approche des élections générales prévues ce 16 février, les théories de complot et les rumeurs les plus folles ont circulé, prêtant par exemple au président nord-coréen Kim Jong Un la volonté de coloniser le Nigeria ou obligeant le président sortant et candidat à sa propre succession Muhammadu Buhari à démentir publiquement des vidéos, vues plus de 500 000 fois sur les réseaux sociaux, annonçant sa mort et son remplacement par un clone soudanais.


Moins sensationnelles mais sans doute plus dangereuses, les fausses nouvelles et les campagnes de désinformation ont été largement relayées par les supporters, et parfois les équipes de campagnes des deux principaux candidats. Sur Twitter, la conseillère spéciale en charge des réseaux sociaux de Muhammadu Buhari a fait passer la vidéo d’un important rassemblement religieux datant d’avril 2018 pour une mobilisation de supporters du président et la photo d’une route en construction, prise en réalité au Rwanda, comme l’oeuvre du chef de l’Etat nigérian. Les soutiens du principal candidat de l’opposition, Atiku Abubakar, ont eux aussi utiliser la désinformation comme une arme de campagne en publiant par exemple une photo truquée du président américain Donald Trump tenant une affiche à l’effigie du milliardaire et ancien vice-président du Nigeria.


“La désinformation a atteint un niveau sans précédent, confirme Idayat Hassan, la directrice du Centre pour la démocratie et le développement (CCD), un institut de recherche nigérian, jointe par RSF. Les QG de campagne sont devenus de véritables usines à fausses nouvelles."

“Jamais le Nigeria n’avait été à ce point affecté par les rumeurs, les fausses informations et la propagande en amont d’une élection, déplore Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Plus inquiétant encore, les partis politiques et leurs supporters se sont rendus complices de cette pollution inédite du débat public local. Le candidat qui sortira vainqueur de ces élections devra faire de la liberté, de l’indépendance et de la protection des professionnels des médias une priorité de son mandat. La lutte contre la prolifération de fausses nouvelles devra nécessairement passer par un engagement massif et sincère pour la promotion d’un journalisme de qualité”.


Ayant anticipé l’ampleur du phénomène et la nécessité d’y apporter des solutions, 16 médias parmi les plus importants du pays se sont associés pour effectuer du fact-checking pendant la campagne électorale. Ce projet intitulé “CrossCheck Nigeria” a ainsi pu vérifier et démentir une vingtaine de fausses informations depuis le début de l’année.


En juillet dernier, le ministre de l’Information Lai Mohammed avait qualifié la circulation des fausses informations de “bombe à retardement” pour son pays et annoncé le lancement d’une campagne pour lutter contre leur prolifération. La prise de conscience des autorités ne s’est malheureusement pas traduite par une plus grande protection des professionnels de l’information. En janvier, RSF avait dénoncé un raid militaire ayant conduit à l’arrestation de deux journalistes du Daily Trust ayant révélé la perte de contrôle de plusieurs localités du nord-est par l’armée au profit du groupe terroriste Boko Haram et une future opération pour les récupérer.


Les journalistes nigérians sont également régulièrement l’objet d’agressions et de pressions. L’année dernière, RSF a enregistré quatre arrestations arbitraires de journalistes et huit actes de violence contre des reporters perpétrés par des membres des forces de sécurité.


Le Nigeria occupe la 119e place au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2018.

Publié le
Updated on 15.02.2019