Monténégro : chasse aux sorcières contre des journalistes d’investigation à la veille des législatives
A quelques jours des élections législatives, un site d’information monténégrin a lancé une attaque contre des journalistes d’investigation. Reporters sans frontières (RSF) dénonce cette campagne de dénigrement et demande l’ouverture d’une enquête.
Des ennemis de l’Etat. C’est en substance de cette façon dont le site d’information monténégrin Udar (“Frappe”) qualifie certains journalistes d’investigation et reporters critiques du pouvoir, ainsi que des politiques et intellectuels d’opposition. L’accusation est d’autant moins anodine qu’elle est brandie à quelques jours des élections législatives, le 30 août prochain, dans un contexte de campagne électorale marquée par une forte polarisation de la société.
En les présentant comme des “collaborateurs des services secrets serbes”, Udar instrumentalise le sentiment nationaliste pour dénigrer des journalistes qui couvrent des grandes affaires de corruption. Des vidéos stylisées publiées par le site “révèlent” tous les jours de nouveaux “collaborateurs”, et communiquent des informations personnelles avec leurs supposés “noms de code” et “points de contacts” serbes.
Le reporter Dražen Živković, qui travaille pour le site d’actualités Borba, et ses confrères du quotidien Vijesti, Vuk Lajović et Siniša Luković, sont les journalistes ciblés. Pour ce dernier, cette campagne est un acte criminel. “Mais je ne sais pas contre qui porter plainte”, confie-t-il à RSF. En effet, Udar, qui bénéficie probablement d’un enregistrement auprès des autorités nationales, ne révèle ni les auteurs ni les sources de ses informations, une marque de fabrique de ce site dont la rédaction et le propriétaire restent dissimulés au public. En plus du site, les vidéos restent par ailleurs accessibles en permanence sur YouTube, où elles ont déjà attiré, selon les “dossiers”, de 9 000 à 20 000 spectateurs dans un pays qui compte 600 000 habitants.
“Le site Udar va clairement à l’encontre de la déontologie du journalisme et menace les vrais professionnels de l’information, déclare Pavol Szalai, responsable du bureau Union européenne/Balkans à RSF. Nous demandons aux autorités responsables de l’enregistrement des médias en ligne de vérifier qu’il respecte la législation sur la transparence des médias. Cette chasse aux sorcières n’est en aucun cas tolérable et n’a aucune place dans un pays qui aspire à entrer dans l’UE. Les autorités doivent faire tout pour qu’elle s’arrête.”
De telles campagnes de dénigrement ont pour but de désigner les journalistes qui peuvent ensuite être ciblés par des attaques physiques. Pour Siniša Luković, cette menace est réelle, mais il affirme passer outre et continuer de faire son travail comme si de rien n’était. “Mais ma famille, elle, a peur, ce qui exerce une pression indirecte sur moi.”
Les graves violences dont sont victimes les journalistes au Monténégro restent en général impunies, comme en témoignent l’attaque, en 2007, contre le journaliste indépendant Tufik Softić et celle, en 2018, contre la journaliste d’investigation spécialisée dans le crime organisé Olivera Lakić. Par ailleurs, l’assassinat, en 2004, du journaliste d’opposition Duško Jovanović n’a jamais été élucidé.
Avant-dernier de la zone UE/Balkans, le Monténégro se situe à la 105e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.