Mexique: les journalistes victimes de déplacement forcé, une tendance à la hausse

Reporters sans frontières (RSF) a alerté les Rapporteurs spéciaux pour la liberté d’expression de l’ONU et de l’OEA sur un phénomène de plus en plus préoccupant au Mexique: celui des journalistes contraints, pour de longues périodes, à l’exil dans leur propre pays. Les conséquences de ces éloignements forcés pour la liberté de la presse, à court et à long terme, sont désastreuses. Etat des lieux.

Reporters sans frontières (RSF) a alerté les Rapporteurs spéciaux pour la liberté d’expression de l’ONU et de l’OEA sur un phénomène de plus en plus préoccupant au Mexique: celui des journalistes contraints, pour de longues périodes, à l’exil dans leur propre pays. Les conséquences de ces éloignements forcés pour la liberté de la presse, à court et à long terme, sont désastreuses. Etat des lieux.

Sollicités par les Rapporteurs spéciaux pour la liberté d’expression des Nations unies (ONU) et de l’Organisation des Etats américains (OEA-CIDH), David Kaye et Edison Lanza, en déplacement au Mexique du 27 novembre au 2 décembre 2017, RSF a organisé une réunion sur une tendance de plus en plus alarmante dans le pays: celle des journalistes victimes de déplacement forcé, contraints de quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel pour échapper à des menaces de mort.


Pour la seule année 2017, RSF a accompagné 13 cas* de journalistes mexicains ciblés par des menaces, dans des États parmi les plus violents du pays (Guerrero, Sinaloa, Tamaulipas, Quintana Roo, Basse-Californie et Michoacán), et qui ont décidé de quitter leurs villes d’origine, dont plusieurs avec leurs familles, pour des raisons de sécurité. La plupart d’entre eux ont bénéficié de l’aide en urgence du Mécanisme fédéral de protection des journalistes, et ont trouvé refuge dans la capitale Mexico.


La Commission mexicaine de défense et de promotion des droits de l’Homme (CMDPDH) a recensé plus de 300 000 cas de mexicains, toutes professions confondues, déplacés depuis 2009. Un chiffre ahurissant, et une tendance qui pourrait bien se poursuivre en 2018, si l’on considère le niveau de violence dans le pays. Avec au moins 11 journalistes assassinées en 2017, le Mexique est le 2ème pays le plus meurtrier du monde pour la presse. La perspective des élections générales qui auront lieu en juin 2018 (présidentielles, législatives, gouverneurs locaux), période pendant laquelle les journalistes sont régulièrement pris pour cible (voir à ce sujet le guide Unesco-RSF sur la couverture journalistique en période électorale), est particulièrement préoccupante.


Une bombe à retardement


Les conséquences de ces exils forcés sont nombreuses. En premier lieu, ils ont un impact psychologique pour les victimes, qui en plus de leur isolement éprouvent un sentiment de culpabilité vis-à-vis de leur famille et de leurs collègues. Ces situations engendrent généralement des dégradations rapides sur leur état de santé ainsi que sur celles de leurs proches.


Ces déplacements forcés ont ensuite un coût économique. Pour les victimes tout d’abord, qui doivent la plupart du temps puiser dans leurs réserves ou vendre leurs biens pour sustenter à leurs besoins, payer plusieurs loyers, abandonner leur maison. Pour les autorités également. Il s’avère qu’en l’absence de politique globale, les différent organismes en charge de traiter le problème -à savoir le mécanisme fédéral de protection des journalistes, le parquet spécial pour la surveillance des délits commis contre la liberté d’expression (FEADLE), et la Commission exécutive d’aide aux victimes (CEAV)- ne communiquent pas suffisamment entre-eux et peinent à trouver des solutions à long terme pour les victimes. Cette bureaucratie engendre un coût économique et une perte de temps majeurs.


Enfin, ces exils forcés génèrent des pertes d’emplois et des trous noirs de l’information, comme dans l’Etat du Tamaulipas par exemple.


“ L’année 2017 a été particulièrement violente pour la presse mexicaine. Les autorités doivent de toute urgence élaborer un plan d’action concret et une politique globale pour mettre fin aux menaces et à la répression contre les journalistes et limiter les causes du phénomène de l’exil forcé, aux conséquences dramatiques pour la liberté d’expression, à travers un plan d’accompagnement intégral et personnalisé des victimes”, déclare Emmanuel Colombié, directeur du bureau Amérique latine de RSF.


La député Brenda Velasquez Valdez, présidente de la Commission spéciale sur la violence contre les journalistes au Parlement, que RSF a pu rencontrer en novembre, a demandé au Ministère de l’intérieur (SEGOB) la mise en place de mesures d’urgences permettant à ces journalistes déplacés de pouvoir rentrer dans leurs villes respectives.


En attendant une action concrète des autorités, voici les trois recommandations principales que RSF adresse au gouvernement mexicain:


1: L’élaboration d’un véritable diagnostic national puis mise en place d’une politique publique globale claire d’accompagnement des victimes déjà identifiées, assortie d’un plan de prévention.

2. La mise en place, à travers une meilleure coordination entre le mécanisme de protection national, la CEAV et la FEADLE, de mesures spéciales d’attention à ces victimes, prévoyant un accompagnement intégral: aide psychologique et financière, plan de retour à l’emploi etc.

3. Une meilleure prise en charge des spécificités individuelles des victimes par la CEAV, et le maintien en 2018 de son fonds spécial d’aide aux journalistes, créé en juin 2017 (10 000 000 de pesos, soit environ 446.000 euros), assorti qu’une plus grande transparence sur l’utilisation de ces fonds.


En 2017, le Mexique est classé au 147ème rang sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF.

Publié le
Updated on 08.12.2017