Menaces contre le directeur de Umuvugizi: la presse indépendante toujours sous pression
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Bosco Gasasira, directeur de l'hebdomadaire Umuvugizi, a affirmé à Reporters sans frontières faire l'objet depuis le 10 août 2006 d'intimidations téléphoniques répétées et d'une surveillance des agents du service de renseignement militaire lors de ses déplacements. “Certains appels passés de ‘numéros privés' menacent d'être battu à mort”, a-t-il déclaré.
Il avait refusé de révéler aux autorités des informations sur la situation de Bonaventure Bizumuremyi, directeur de l'hebdomadaire Umuco, en fuite suite à de graves menaces sur sa personne.
Le journal Umuvugizi est par ailleurs la cible des autorités rwandaises pour avoir osé, comme les autres publications indépendantes Umuco et Umseso, critiquer la gestion du ministre de l'Economie et des Finances, James Musoni. Bosco Gasasira a notamment publié un article intitulé “Une mutation de la maisonnette du temps du président Habyarimana vers le FPR”, dénonçant le favoritisme dans la distribution des postes stratégiques et le “trafic d'influence” dont ferait preuve le ministre afin de contrôler l'économie du pays.
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8.08.2006 - Le directeur d'Umuco porté disparu, celui d'Umuseso menacé et calomnié : un “climat de plus en plus hostile” à l'encontre des derniers journaux indépendants
Reporters sans frontières exprime sa grande inquiétude quant au sort réservé par les autorités rwandaises à Bonaventure Bizumuremyi et Charles Kabonero, directeurs de publication des hebdomadaires Umuco et Umuseso, deux des dernières publications indépendantes du pays. Le premier a disparu vingt-quatre heures après que la police s'est présentée à son journal pour l'arrêter, tandis que le second fait l'objet d'une violente campagne d'intimidation et de calomnies orchestrée par le pouvoir.
“Les dernières publications indépendantes du Rwanda doivent lutter pour survivre dans un climat de plus en plus hostile. Si le gouvernement cherchait à réduire au silence toutes les publications qui ne le flattent pas, il ne s'y prendrait pas autrement. Procès, menaces, intimidations, calomnies : tout est bon pour punir les journalistes indépendants, qui osent s'intéresser de trop près aux affaires des barons du régime. Si le ministre de l'Information veut continuer à clamer son attachement à la liberté de la presse sans s'attirer les critiques des organisations de journalistes, le harcèlement organisé d'Umuco et d'Umuseso doit cesser”, a déclaré Reporters sans frontières.
Le 3 août 2006 à 13 heures 30, un pick-up de la police nationale s'est présenté à la rédaction d'Umuco, à la recherche de Bonaventure Bizumuremyi. Le chef de la brigade criminelle, Maurice Muligo, l'a sommé de le suivre, ce que le journaliste a refusé de faire en l'absence d'une convocation en bonne et due forme. L'officier de police a alors rédigé lui-même une convocation, exigeant du directeur d'Umuco qu'il se présente au commissariat une heure plus tard, alors que la loi rwandaise prévoit un délai de 48 heures.
La veille, Bonaventure Bizumuremyi avait été entendu par le Haut conseil de la presse (HCP), un organe de régulation des médias étroitement contrôlé par le pouvoir, qui l'accusait d'avoir publié des articles à caractère “sensationnaliste” et “portant atteinte à l'intimité de certains responsables politiques”. Le HCP souhaitait notamment protester contre la publication d'un article estimant que des propos du président Paul Kagame sur le colonel Patrick Karegeya, l'ancien porte-parole de l'armée récemment condamné par la justice militaire pour “insurbordination” et “désertion”, avaient influencé les juges. Le chef de l'Etat rwandais, dont le colonel Karegeya était autrefois un proche au point d'avoir dirigé les services de renseignements extérieurs pendant dix ans, avait publiquement qualifié celui-ci d'”inutile et n'importe quoi” (“useless and anything”).
Selon des témoins interrogés par Reporters sans frontières, après la visite de la police, Bonaventure Bizumuremyi a tenté en vain de contacter plusieurs avocats pour le défendre. Tous ont demandé des honoraires prohibitifs ou ont affirmé avoir besoin du feu vert du barreau de Kigali avant d'accepter. Sa famille n'a plus de nouvelles de lui depuis le 5 août. Ses différents numéros de téléphone sont indisponibles.
Dans la nuit du 15 au 16 janvier 2006, Bonaventure Bizumuremyi a été violemment agressé par quatre hommes armés de gourdins et de couteaux, qui l'avaient sommé de cesser de publier des articles défavorables au gouvernement.
Charles Kabonero, de son côté, a reçu un appel téléphonique d'une source anonyme au sein des services de renseignements extérieurs, le 5 août 2006. Celle-ci l'informait de son arrestation imminente, ainsi que de l'existence d'un plan visant à faire fermer Umuseso et Rwanda Newsline, un autre journal qu'il dirige, ainsi qu'Umuco. Ce plan serait préparé par Jack Nziza, le directeur des services de renseignements militaires, James Musoni, ministre des Finances et de la Planification, l'un des “barons” du Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir), et Emmanuel Ndahiro, conseiller du Président pour les affaires de sécurité. “Leur plan est de faire d'abord le tour des ambassades occidentales pour répandre des rumeurs sur nos journaux”, a déclaré Charles Kabonero à Reporters sans frontières. Cette campagne s'appuierait également sur les trois seules publications bénéficiant de la publicité des institutions publiques et des entreprises proches du FPR, le quotidien New Times, l'hebdomadaire Umuvugizi et le bimensuel Focus.
Cet appel téléphonique a eu lieu deux jours après que la Haute Cour de la République a condamné en appel Charles Kabonero à une peine d'un an de prison avec sursis et un million de francs rwandais (environ 1450 euros) d'amende pour une analyse politique paru en 2004. Le journaliste est donc sous le coup d'une condamnation avec sursis que le moindre prétexte peut transformer en peine de prison ferme.
Début 2006, Charles Kabonero avait fait l'objet d'une violente campagne de calomnie, notamment dans Focus. Après avoir été critiqué pour avoir prétendument collaboré avec l'opposition politique en exil, le journaliste avait été accusé, sans que rien ne vienne étayer ces allégations, de fabriquer des preuves de menaces, utilisées par des demandeurs d'asile en Europe pour défendre leur dossier. En avril, sur la base d'un faux courriel, le journal l'avait également accusé d'avoir conspiré avec le lieutenant Abdul Ruzibiza, ex-officier des services spéciaux du FPR, aujourd'hui réfugié à l'étranger, dans l'intention de lancer une vague d'attentats à la bombe à Kigali et de faire tomber le pouvoir en place. Outre le fait que le courriel reproduit par Focus était un faux grossier, l'enquête menée par Reporters sans frontières a montré l'absence de tout fondement à ces affirmations.
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Updated on
20.01.2016