Mali : l’emprisonnement d’Alfousseini Togo, nouveau marqueur de la répression des journalistes

Incarcéré le 9 avril après son audition auprès du procureur du pôle de lutte contre la cybercriminalité, le directeur de publication de l’hebdomadaire Le Canard de la Venise, Alfousseini Togo, est notamment poursuivi pour “atteinte au crédit de la justice” après un article à propos de celle-ci. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une détention abusive et demande la libération immédiate du journaliste.
Le pouvoir judiciaire malien tente-t-il d’éviter volontairement de se référer à la loi régissant la presse ? La question mérite d’être posée au regard de la situation d’Alfousseini Togo, qui vient de passer sa première nuit à la maison d’arrêt de la capitale malienne Bamako.
Entendu par le procureur du pôle de lutte contre la cybercriminalité mercredi 9 avril, le directeur de publication de l’hebdomadaire Le Canard de la Venise a été placé sous mandat de dépôt après son audition. Initialement convoqué sur la base d’accusations liées à la loi sur la cybercriminalité, le journaliste est désormais poursuivi pour “atteinte au crédit de la justice”, “trouble à l’ordre public” et “diffamation”, selon ses proches. Le procureur du pôle de lutte contre la cybercriminalité n’a pas encore publiquement communiqué sur le sujet. Le jugement d’Alfousseini Togo est fixé au 12 juin.
Dans la dernière édition de son journal, publié le 8 avril, la veille de sa mise en détention, le journaliste avait signé un article remettant en cause des propos tenus par le ministre de la Justice, critiquant par la même occasion le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire.
“L'inculpation sur la base de la loi sur la cybercriminalité et le placement sous mandat de dépôt du journaliste Alfousseini Togo sont le dernier marqueur de la répression de la liberté de la presse au Mali. Les charges retenues contre ce journaliste, qui n’a fait qu’émettre une opinion critique sur la marche de la Justice dans son pays, sont disproportionnées et floues, confirmant une volonté d’éloigner le dossier de la loi régissant la presse. RSF demande la libération immédiate d’Alfousseini Togo.
Alfousseini Togo a fait ses premières armes au sein de la rédaction du journal Le Challenger, avant de créer Le Canard de la Venise en 2014. L’hebdomadaire, dont le siège social se trouve à Mopti, au centre du pays, couvre principalement l’actualité régionale, avec une ouverture sur des sujets d’intérêts nationaux.
Plusieurs organisations locales ont exprimé leur inquiétude sur l’arrestation. L’Union nationale des jeunes éditeurs de presse (UNAJEP) dont des membres ont rendu visite au journaliste incarcéré, a exprimé, dans un communiqué, son “profond regret face à la mise sous mandat de dépôt d'un journaliste en raison de ses opinions, et ce, en vertu d'une législation qui ne relève pas de la loi portant sur le régime de presse et les délits de presse”.
Au Mali, le journalisme s’exerce dans le cadre d’une loi votée depuis un quart de siècle, qui n’a pas dépénalisé les délits de presse. Cependant, la loi sur la cybercriminalité contient des dispositions plus sévères, selon des acteurs des médias qui craignent un dangereux précédent avec le cas d’Alfousseini Togo. Alors que les journalistes exerçaient sans contraintes majeures pendant de nombreuses années, l’arrivée de nouvelles autorités militaires, couplée à l’instabilité au nord du pays, ont restreint la pratique de la profession.