Malgré l’annulation de la peine de prison ferme, Fatma-Zohra Amara demeure condamnée pour “diffamation”

Lire en arabe / بالعربية Le 7 juillet 2012, la cour d’Appel d’Annaba (Est) a annulé la peine de deux mois de prison ferme à laquelle avait été condamnée pour “diffamation” Fatma-Zohra Amara, journaliste au quotidien Akher Sâa, en juin dernier. “Certes soulagés par l’annulation de la peine de prison ferme, nous déplorons ce nouveau jugement, qui maintient la condamnation pour diffamation, assortie d’une amende et de dommages et intérêts à l’encontre de la journaliste qui n’avait fait que remplir son devoir d’information. Nous considérons que les montants en question, qui atteignent un total de 120 000 dinars (environ 1 200 euros), sont disproportionnés”, a déclaré Reporters sans frontières. Ce jugement fait suite à la plainte déposée par l’ancien responsable de l’hôpital d’Annaba, accusé d’harcèlement sexuel par une ancienne employée du service hospitalier. Fatma-Zohra Amara avait écrit un article révélant “les minutes du procès de l’ex-directeur”. D’après le quotidien El Watan, “à l’image des autres quotidiens, la journaliste d’Akher Sâa n’avait fait que rapporter les faits tels qu’ils s’étaient déroulés”. L'Algérie envoie des signaux contradictoires quant à son approche juridique des questions liées à la liberté de la presse : les autorités avaient fait part de leur volonté d’abandonner les peines de prison pour les délits de presse lors de l’élaboration de la loi n°12-05 relative à l’information, adoptée fin 2011 par le parlement. Malgré cela, la justice algérienne semble avoir, jusqu’ici, ignoré ce changement de direction, en condamnant, par exemple, le journaliste Manseur Si Mohammed à de la prison ferme pour ‘diffamation’, en mai dernier. En effet, les dispositions du code pénal en matière de diffamation restent en vigueur. Reporters sans frontières appelle à leur abrogation, ainsi qu’à une application effective et systématique de la dépénalisation des délits de presse. ----------------------------------------------------------------------------- 04.07.2012 - Cinquante ans après l’indépendance, la situation de la liberté de l’information reste préoccupante Lire en arabe / بالعربية A l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, ce 5 juillet 2012, Reporters sans frontières a souhaité braquer les projecteurs sur la situation de la liberté d’information dans ce pays. Si l’indépendance du pays a été arrachée en 1962, celle des médias n’est pas encore une réalité cinquante ans plus tard. Jour de rassemblement de toute une nation, les journalistes emprisonnés, menacés, et poursuivis devant les tribunaux manqueront à l’appel. Etre journaliste de nos jours : moins dangereux mais plus complexe Au cours des “années noires” (décennie 1991-2002), près de 100 journalistes ont perdu la vie. Aujourd’hui et ce depuis des années, plus aucun journaliste n’est tué en Algérie du fait de ses activités professionnelles. Les problèmes aujourd’hui ont changé de nature. Etre un journaliste indépendant aujourd’hui n’est pas chose aisée en Algérie, pays rongé par la corruption et le népotisme, où les militaires et le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) se taillent une place de choix. A Alger, leur rédaction les protège. Loin de la capitale, la situation est tout autre, les protections moindres. Les dangers sont réels. la situation ne se compare certes pas à celle de la Tunisie de Ben Ali, mais la dénonciation des pratiques de certains potentats locaux peut exposer le journaliste à d’importantes tracasseries administrativo-judiciaires, voire le priver de sa liberté. Par ailleurs, les journalistes et les directions de journaux subissent régulièrement des pressions économiques, mais également judiciaires, ou encore physiques et morales. Ils font également face à des difficultés techniques en ce qui concerne la diffusion et l’impression. Un pluralisme et une indépendance de façade Si l’on se contente de regarder le nombre de titres dans les kiosques de la rue Didouche à Alger, on pourrait croire à un foisonnement de la presse et donc à une réelle liberté d’expression. Les kiosques de la capitale regorgent de près de 80 titres de quotidiens, principalement arabophones. Mais la situation de la presse, et plus généralement des médias et de la liberté d’expression est loin d’être mesurable à l’aune du nombre de titres dans les points de vente. Nombreuses sont les publications émanant directement d’hommes d’affaires, liés aux intérêts de l’Etat et des services de renseignement. D’après le rapport du Rapporteur des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, publié le 12 juin 2012 (lien PDF : http://ap.ohchr.org/documents/dpage_f.aspx?m=85), moins de six journaux sont réellement indépendants en Algérie.
Boîtes aux lettres des journaux de la Maison de la presse, place du 1er mai à l'est du centre ville d'Alger, RSF, octobre 2009

La libéralisation du secteur audiovisuel était une des mesures phare de la nouvelle loi sur l’information. Désormais, les quatre chaînes d’Etat peuvent être concurrencées par des chaînes privées. Pour l’instant, la fin du monopole sur l’audiovisuel n’est que théorique, dans la mesure où, selon ce projet de loi, l’ouverture de l’audiovisuel doit être proposée par une convention conclue entre la société algérienne de droit privée et une autorité de régulation. L’autorité de régulation n’ayant pas encore vu le jour, aucune chaîne de droit privé algérien n’a donc pu être validée.
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Quant aux chaînes de droit étranger, elles doivent être accréditées au préalable pour pouvoir diffuser à partir du sol algérien. Ainsi, certaines ont pu être lancées, telles que Annahar TV et EchouroukTV, avec certes des studios à l’étranger, mais avec également à Alger. On ne peut que s’interroger sur les conditions dans lesquelles elles sont parvenues à obtenir leur accréditation, même si leur ligne éditoriale, proche du pouvoir, ne laisse que peu de doute sur la réponse à cette question. Dans tous les cas, la vigilance reste de mise, le risque étant que les nouvelles chaînes à capitaux privés soient à leur tour la propriété de quelques puissants hommes d’affaires, proches des milieux politiques et des forces armées. Cette initiative positive de mettre un terme au monopole de l’audiovisuel public ne doit pas se résumer à un simple effet d’annonce. Elle doit au contraire être le renforcement du pluralisme de l’information en Algérie. De son côté, la presse, ouverte au pluralisme depuis les années 90, souffre toujours de pratiques monopolistiques, notamment en matière d’impression ou de distribution. La plupart des publications sont tributaires des imprimeries (Société d’impression d’Alger) et des réseaux de diffusion contrôlés par l’Etat. L’Etat agit en toute liberté, décidant arbitrairement de l’impression, et des diffusions des publications. La publicité est également utilisée à des fins de pressions contre les médias. L’ANEP, l’Agence nationale de l’Edition et de la Publicité créée en décembre 1967 (en vigueur depuis avril 1968) décide de l’attribution de la publicité des entreprises et des services de l’administration publique. La publicité publique constitue ainsi une ressource financière non négligeable pour la presse écrite. Le renouvellement de ces encarts n’est pas sans condition... En ce qui concerne la publicité privée, celle-ci découle bien souvent d’entreprises proches des cercles politiques du pays. Aussi, cette manne financière servira avant tout les journaux les plus dociles au pouvoir des militaires et du Département du renseignement et de la sécurité (DRS). Il est donc facile pour l’Etat d’asphyxier économiquement les journaux au contenu critique. D’où les tentatives d’émancipation d’un certain nombre de médias. Mais les autorités disposent d’une arme redoutable: celle des redressements fiscaux. Cette épée de Damoclès peut tomber à tout moment sur les rédactions. Une réforme législative décevante Comme l’a souligné le Rapporteur des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression dans son rapport, “le cadre juridique actuel est encore restrictif”. Malgré les déclarations des autorités lors de l’élaboration de la loi n°12-05 relative à l’information, la liberté d’expression et le droit à l’information n’est pas suffisamment garanti. Dès l’adoption de la loi le 14 décembre 2011, les partis d’opposition, des journalistes et les associations de droits de l’homme ont vivement critiqué les dispositions du nouveau texte. Tout au long du processus d’élaboration de la loi, ses détracteurs ont eu le sentiment de ne pas être entendus par les autorités. Lors de sa discussion au Parlement, les amendements de l’opposition ont été rejetés. Bien que l’article 2 de la loi n°12-05 dispose que “l’information est une activité librement exercée”, il la restreint immédiatement en la soumettant au respect de douze conditions “fourre-tout”, comme le respect de “l’identité nationale”, des “intérêts économiques” ou de “l’ordre public”. Cette restriction s’applique également aux médias électroniques (article 71). De nombreuses dispositions entravent de façon disproportionnée la liberté d’information comme notamment l’article 112 relatif au droit de réponse de “toute personne physique ou morale” pour les “articles portant atteinte aux valeurs nationales et à l’intérêt national”, l’article 123 sur “l’outrage aux chefs d’Etat étrangers”, ou encore l’article 119 relatif à la “publication de document portant atteinte au secret de l’enquête”. La création de médias et la publication font l’objet de nombreux obstacles dans la loi. L’article 11 souligne que “l’édition de toute publication périodique est libre” et elle est pourtant soumise à une procédure d’agrément et non de simple déclaration. Le régime des publications étrangères est également trop restrictif puisque soumis au contrôle du ministère de la Communication (article 22). “Il ne devrait pas y avoir de mécanismes publics ou de facto d’autorisation, au-delà de la notification des institutions publiques” comme le souligne le rapport de Frank La Rue, le rapporteur spécial des Nations unies. Certains syndicats et associations n’ont pas reçu les récépissés en contrepartie de leur déclaration préalable conformément à la loi n°90-07 et ne peuvent donc pas créer leur média (article 4). Les autorités algériennes devraient s’aligner sur les standards internationaux en ce qui concerne les lancements de publications. Les restrictions en amont des publications ne sont pas tolérables. Si la mise en place d’une autorité de régulation de la presse est positive, des interrogations demeurent quant à son indépendance et à l’étendue de ses pouvoirs. En effet la composition de cette instance supérieure laisse dubitatif (article 50) : trois membres, parmi lesquels le président, sont directement nommés par le président de la République. Le président de l’Assemblée populaire nationale nomme quant à lui deux représentants et deux autres sont désignés par le président du Conseil de la Nation. Restent enfin sept autres membres, nommés à la majorité absolue, parmi les journalistes professionnels d’au moins quinze années d’expérience. Tout comme le rapporteur des Nations unies, Reporters sans frontières craint que cette autorité de régulation restreigne un peu plus la liberté de la presse. Le risque persistant de l’incarcération La loi n° 11-14 du 2 août 2011 a modifié les articles 144 bis et 146 du code pénal et dépénalisé la diffamation à l’égard des agents publics. De la même manière, en janvier 2012, un nouveau code de la presse est entré en vigueur, a abrogé les peines de prison pour les délits de presse. Cette avancée législative aurait pu mettre fin à la menace que constituaient jusqu’à lors les articles 144 bis, 146, 77 à 99 du code pénal. Mais le montant des amendes est disproportionné et les articles 296 et 298 du code pénal maintiennent les peines de prison pour la diffamation envers les particuliers. Cette avancée reste, là encore, théorique. Depuis la dépénalisation des délits de presse en janvier dernier, les journalistes sont régulièrement poursuivis devant la justice, écopent de sanctions pénales allant de la simple amende à de la prison ferme. “Les journalistes ne doivent pas faire l’objet de poursuites pénales. Les magistrats doivent assumer leurs responsabilités et appliquer les nouvelles dispositions du code de la presse en excluant les dispositions du code pénal”, a déclaré Reporters sans frontières.
S’il arrive que les procédures judiciaires engagées contre des journalistes ou des médias soient ralenties ou “oubliées”, la menace de voir apparaître, a posteriori, l’exécution d’une décision de justice constitue une menace qui contraint le journaliste à s’autocensurer. Reporters sans frontières a établi une liste non exhaustive des affaires concernant des journalistes et correspondants locaux, qui illustrent la sévérité des condamnations à l’égard des journalistes : Le 26 juin 2012, Fatma-Zohra Amara, journaliste pour un quotidien régional, Akher Sâa, a été condamnée à deux mois de prison ferme et à 20 000 dinars d’amende (soit environ 200 euros), pour diffamation, et à verser 100 000 dinars (soit environ 1 000 euros) au plaignant, au titre de dommages et intérêts. Ce jugement fait suite à la plainte déposée par l’ancien responsable de l’hôpital d’Annaba (à 600 kilomètres d’Alger), accusé d’harcèlement sexuel par une ancienne employée du service hospitalier. Fatma-Zohra Amara avait écrit un article révélant “les minutes du procès de l’ex-directeur”. D’après les informations recueillies par l’Agence France Presse, la journaliste a fait appel. Manseur Si Mohamed, journaliste et chef de bureau du quotidien francophone La Nouvelle République, et qui préside par ailleurs la section locale du Syndicat des journalistes algériens à Mascara, a été lourdement sanctionné par la cour, suite à la publication, le 20 décembre 2011, d’un article de presse jugé “diffamatoire”. Le papier incriminé, intitulé “Un Conseil d’Etat, pour quoi faire ?”, entendait dénoncer la non-application des arrêts de la Cour suprême et du Conseil d’Etat sanctionnant les autorités publiques du pays. L’article de Manseur Si Mohamed mettait en cause la directrice des impôts de la wilaya (district) de Mascara, accusée d’avoir refusé de réintégrer un haut-fonctionnaire après l’annulation par le Conseil d’Etat d’une décision de “rétrogadation”. Le 6 mai dernier, lors de la première audience, le représentant du ministère public du tribunal de Mascara avait requis six mois de prison ferme, assortis de 50 000 dinars d’amende (500 euros). Le 20 mai 2012, il est finalement condamné à deux mois de prison ferme et à payer le montant de l’amende initialement retenu. Suite à la publication d’un article paru dans Al-Watan, le 19 juin 2012, le wali de Guelma (à environ 450 kilomètres à l’est d’Alger) a déposé une plainte auprès du parquet de la ville pour “diffamation” et “divulgation de fausses informations”, contre Karim Dadci, correspondant du journal à Guelma et auteur des écrits. L’article incriminé, intitulé “Kef El Boumba à Guelma : un parc d’attractions sur un chantier”, dénonçait la construction d’un juteux projet de construction de 13 hectares, validé le 14 septembre 2011 par les autorités, sur un lieu appartenant à la mémoire collective nationale, où le 8 mai 1945, s’était déroulé un massacre d’Algériens par les forces coloniales françaises. Dans la matinée du 19 juin, les policiers se sont rendus au domicile du journaliste afin de l’informer de sa convocation, sans donner plus d’explications. Karim Dadci a depuis été entendu par la police judiciaire de Guelma. Les journalistes peuvent faire l’objet de menaces. Ainsi, Illiès Benabdeslam, correspondant pour Le Carrefour d’Algérie de Mostaganem, a été menacé par un proche du maire de Stidia, localité située à 15 kilomètres à l’ouest de Mostaganem (à 50 kilomètres à l’est d’Oran). Le journaliste avait écrit un article qui mettait en cause le maire dans l’enlèvement et l’agression d’un entrepreneur local. Aucune poursuite n’a été engagée par les autorités. Reporters sans frontières encourage les autorités à rechercher les responsables de ces intimidations. L’article 126 de la loi n-12-05 punit en effet “d’une amende de 30 000 dinars (soit près de 300 euros) à 100 000 dinars (soit près de 1 000 euros), quiconque qui par gestes dégradants ou propos désobligeants offense un journaliste, pendant ou à l’occasion de l’exercice de sa profession”. Crédit photo : AFP
Publié le
Updated on 20.01.2016