Nouveaux médias, nouvelle scène politique
Les sites d’informations et les blogs ont fleuri comme une alternative à des médias traditionnels sous contrôle du pouvoir. Les nouveaux médias ont gagné une véritable crédibilité. Un journalisme en ligne de qualité, qui aborde des sujets importants, a vu le jour, sur des sites comme NutGraph, Malaysian Insider et Malaysiakini, ou sur des blogs comme Articulations, Zorro Unmasked, People’s Parliament et Malaysia Today.
Parallèlement, le gouvernement a décidé, en juin et juillet 2010, de limiter la distribution de Harakah Daily, et de suspendre la publication de
Suara Keadilan,
Khabar Era Pakatan et
Rocket, quatre journaux d’opposition, utilisant pour ce faire le système du renouvellement annuel des licences.
Les autorités semblent préparer le terrain médiatique pour la tenue des prochaines élections générales, normalement prévues en 2011.
L'acharnement contre le caricaturiste politique, Zunar, semble confirmer la thèse de la reprise en main par les autorités de la communication politique. Ce dernier est
accusé de "sédition" pour avoir publié des dessins critiques sur la situation politique et sociale dans son pays. Une loi obsolète sur les publications (Printing and Publication Act) favorise la censure et empêche la diffusion de ses livres, notamment son recueil intitulé
Cartoon-o-phobia. Ces caricatures, qui ne constituent en aucun cas un trouble à l’ordre public, dépeignent avec finesse les maux de la vie politique malaisienne et moque le Barisan Nasional (BN), la coalition au pouvoir.
Dans ce contexte, les nouveaux médias ont alors un rôle crucial à remplir. Relativement libre comparés à la presse traditionnelle, Internet est une plate-forme de discussion et de débat sans équivalent pour les dissidents, un remède efficace à l'autocensure qui dominait il y a de cela quelques années. La blogosphère est particulièrement dynamique. A l'approche des élections, les médias sociaux s’imposent comme un outil précieux que les partis politiques se doivent d'utiliser pour mieux toucher leur électorat, se rapprocher de ses préoccupations et écouter ce que la base a à dire. L’opposition a très vite utilisé ces nouveaux médias, mais le gouvernement et le parti au pouvoir ont suivi. Internet a créé de nouvelles opportunités pour tous les acteurs politiques. En leur permettant d’atteindre une audience hétéroclite, l’opposition remet en cause les barrières de la censure traditionnelle.
Des points de vue absents de la presse se retrouvent discutés sur les réseaux sociaux. Une décision ministérielle peut s'y voir critiquée, particulièrement quand des sources au sein du gouvernement font fuiter des informations intéressantes. Premesh Chandran, fondateur du site d'information Malaysiakini, a déclaré en août 2010 à l'
Agence France-Presse que les nouveaux médias ont “changé la manière dont les journalistes travaillent” et que cette “nouvelle immédiateté gêne les tentatives du gouvernement de contrôler la manière dont une affaire est rapportée par les journalistes”, puisque ces derniers ont accès à des réactions “en live” d'experts et de membres de l'opposition. Souvent, les débats commencent à l'Assemblée et continuent sur le “Twitterverse”. Par exemple, Khairy Jamaluddin, leader de la branche des jeunes soutenant le parti au pouvoir, a réagi rapidement face à l'interdiction faite par le gouvernement de maintenir l'interdiction pour les étudiants de joindre des partis politiques, la qualifiant de “poule mouillée” et indiquant un “mode de pensée dépassé”. Un exemple de mobilisation en ligne réussi : une
manifestation lancée sur Facebook contre la construction d'un immeuble de 100 étages a récemment été couronnée de succès.
En 1996, les autorités avaient fait la promesse de ne pas censurer Internet, dans le cadre d'une campagne pour la promotion du secteur des technologies de l'information. Elles lançaient alors le Multimedia Super Corridor, une zone spéciale économique et technologique. Une promesse réitérée auprès de Reporters sans frontières en 2009.
En revanche, la rumeur circule que le gouvernement aurait créé un groupe de plusieurs centaines de blogueurs pour injecter du contenu positif en ligne, et pousser ainsi les blogueurs de l'opposition à la faute ou au relais de fausses informations. Leur but serait de neutraliser les critiques des autorités.
La "terreur blanche" contestée
Le 1er aout 2010, des veillées pacifiques ont été organisées dans plusieurs villes du pays par deux associations afin de faire pression sur les autorités et d’abolir l’ISA (Internal Security Act).
Suaram, une association de défense des droits de l’homme et
Gerakan Mansuhkan ISA, un mouvement créé spécialement pour lutter contre ces lois draconiennes, organisent ces rassemblements dans plusieurs villes à l’occasion du cinquantenaire de la loi.
En contradiction avec la Constitution malaisienne et avec les engagements internationaux pris par le pays, la loi sur la sécurité intérieure, surnommée la "terreur blanche", est une stratégie politique efficace pour supprimer toute forme d’opposition car, en vertu de la section 8, elle permet à la police de garder en détention un prévenu pendant deux ans sur décision ministérielle et sans jugement, et ce renouvelable à vie. Elle fut mise en place en 1960 pour lutter contre l’insurrection communiste. Cette loi bafoue les standards internationaux des droits de l’homme tels que la prohibition de détention arbitraire, le droit à la justice et à un jugement impartial. Les autorités utilisent l’ISA pour poursuivre et enfermer à des fins politiques des journalistes, des blogueurs et des leaders de l’opposition.
La répression de ces veillées a été disproportionnée. Les manifestants, pourtant pacifiques, ont été poursuivis, frappés et arrêtés. La police a interpellé le
blogueur Badrul Hisham Shaharin,
Ambrose Poh, le directeur de publication de
SABM’s,
Enalini de l’association coorganisatrice Suaram,
Syed de l’autre association organisatrice GMI, et
Monsieur Arutchelvan, secrétaire général et directeur de publication de
PSM. Ils ont tous été libérés après douze heures de détention.
Un projet de loi sur la sédition sur Internet serait en cours d'examen. Présenté en décembre 2010 au Conseil des ministres, il représente un nouveau danger pour la liberté d’expression en ligne en Malaisie. Le ministère malaisien de l’Intérieur aurait déclaré que le texte définirait ce qui peut être condamnable sur Internet et s’inspirerait des lois très répressives sur la sédition de 1948 (Sedition Act).
La loi sur la sédition est déjà très contraignante. Elle punit l’incitation à la haine, la critique à l’égard des autorités malaisiennes ou entre "races" et classes sociales, ainsi que le fait de remettre en cause l’ordre établi et les droits ou privilèges de la souveraineté. Toute personne inculpée risque jusqu’à cinq ans de prison et 5 000 ringgits d’amende. Une trentaine d’autres lois peuvent également être utilisées pour contrôler les médias et Internet, dont l'ISA, la loi sur la presse et les publications de 1984, la loi sur les communications et le multimédia de 1998, et la loi sur la sédition (Sedition Act).
Blogueurs et internautes sous pression
Le cas le plus médiatisé est sans conteste celui du blogueur
Raja Petra Kamarudin, connu sous l’anagramme RPK, qui anime le site Malaysia Today. Détenu en vertu de l’ISA pendant 56 jours en septembre 2008, il avait été libéré sur décision de justice en novembre de la même année, grâce à l’intervention de son avocat qui a engagé une procédure d’habeas corpus auprès de la Haute Cour. Les autorités avaient fait appel. "Bête noire" du gouvernement en place, dont il a dénoncé à de nombreuses reprises les abus de pouvoir et la corruption, il était par ailleurs poursuivi pour sédition et diffamation après avoir sous-entendu que le Premier ministre et sa femme étaient impliqués dans un meurtre lié à une affaire de pot-de-vin dans le cadre d’achat de sous-marins à l’Etat français. Il avait alors été contraint de fuir le pays et vivait depuis en exil, recherché par les autorités malaisiennes. En novembre 2010, ces dernières ont annoncé que RPK était libre de rentrer dans son pays, les charges à son encontre ayant expiré à l'issue du délai de deux ans. Pour l'instant, le blogueur demeure en exil dans l’attente de recevoir des garanties fermes du gouvernement affirmant ne pas le poursuivre à nouveau. Il n'est, en effet, pas exclu que les autorités portent de nouvelles accusations à son encontre.
Irwan Abdul Rahman, connu en ligne sous le nom d’Hassan Skodeng, a été mis en examen le 2 septembre 2010 pour avoir publié sur son
blog, le 25 mars 2010, un article satirique sur la firme étatique, Tenaga Nasional Bhd. Il est poursuivi par la Commission malaisienne de la communication et multimédia (MCMC) pour son post intitulé "TNB to sue WWF over earth hour", en vertu de l’article 233 (1) (a) du Communications and Multimedia de 1998 pour "usage impropre du réseau en faisant, créant, sollicitant ou en initiant la transmission de contenus obscènes, indécents, faux, menaçants ou offensifs dans l’intention de nuire". Il risque jusqu’à un an de prison et 50 000 ringgits d’amende (12 500 euros). Dans ce post, il y annonçait une fausse nouvelle : l’entreprise nationale Tenaga Nasional Bhd (TNB), premier fournisseur d’énergie de Malaisie, aurait voulu poursuivre en justice l’association WWF pour sa manifestation Earth Hour contre le réchauffement étatique. Le blogueur a effacé le post mais plaide non coupable. L’opposition malaisienne a qualifié ce procès de ridicule.
En 2010, plusieurs blogueurs ont été poursuivis comme
Khairul Nizam Abd Ghani, accusé d’insulter la royauté. Technicien informatique freelance, il avait posté sur son blog adukataruna.blogspot.com des commentaires critiques vis-à-vis du sultan Iskandar Ismail de l’Etat de Johor, décédé en janvier 2010. Il risque jusqu’à un an de prison et une amende. Il a pourtant présenté des excuses et retiré de son blog l’article incriminé.
Une forte pression continue donc de s'exercer sur les blogueurs malaisiens, dont les prises de position rencontrent un vrai écho au sein d'une société malaisienne qui ne se contente plus de la version officielle des informations. A ce jour, ce sont les blogs, les sites d'information et les réseaux sociaux qui rendent compte des événements dans le monde arabe, alors que les médias traditionnels en assurent une couverture minimale. A l'approche des élections, le bras de fer avec les autorités risque de se durcir.