Loi de responsabilité sociale des médias audiovisuels : Reporters sans frontières écrit au ministre de l'Information
Sous le coup d'une procédure pour « obstruction à la justice », dix médias ont été interdits de publier et de diffuser tout élément relatif à l'assassinat d'un procureur en 2004. Le 22 février, le ministre de la Communication et de l'Information Yuri Pimentel (photo) a réclamé des sanctions en invoquant la loi de responsabilité sociale des médias audiovisuels. Dans une lettre ouverte, Reporters sans frontières interpelle ce dernier.
Ministre de la Communication et de l'Information Monsieur le Ministre, Reporters sans frontières, association de défense de la liberté de la presse, a pris connaissance de la procédure engagée contre six chaînes de télévision et quatre quotidiens nationaux, le 23 janvier, pour « obstruction à la justice », un délit passible de six mois à deux ans de prison. Ces dix médias ont, à ce titre, interdiction de publier ou de diffuser la moindre information relative à l'enquête sur l'assassinat du procureur Danilo Anderson, le 18 novembre 2004. (cf. http://www.rsf.org/article.php3?id_article=16257) Cette mesure conservatoire a été confirmée en appel le 14 février. Le 22 février, vous avez en personne sollicité l'application de la loi de responsabilité sociale, qui ne concerne que les radios et télévisions, à un « certain nombre de médias » pour le même motif. Ces événements suscitent notre inquiétude, pour plusieurs raisons. Si le délit d'« obstruction à la justice » ne paraît pas constitué, la procédure ouverte à ce titre implique d'autant moins de prendre de mesures conservatoires envers les médias qu'elle concerne. Un média poursuivi pour « diffamation » devrait-il être fermé au seul prétexte qu'il « risquerait » de diffamer à nouveau, alors même qu'il n'a pas encore été condamné par la justice ? Ce curieux raisonnement semble présider à la sanction prise, le 23 janvier, contre les six chaînes de télévision et les quatre quotidiens nationaux. Pourquoi vouloir ajouter une sanction « préventive » à une sanction possible ? Il y a là un réel danger pour la liberté de la presse et une anomalie juridique, car nul ne peut être sanctionné deux fois pour le même motif. Or, à cette double sanction vient s'en ajouter une troisième. La loi de responsabilité sociale, que vous invoquez, prévoit, notamment, des amendes pouvant aller jusqu'à 2 % des revenus bruts fiscaux déclarés par une chaîne ou une station l'année antérieure. De là, plusieurs questions se posent. Considérez-vous que les médias audiovisuels seraient a priori plus condamnables que la presse écrite ? L'application de la loi de responsabilité sociale que vous avez sollicitée se limite-t-elle aux six chaînes de télévision visées par la procédure pour « obstruction à la justice » ? Vous n'avez pas précisé ce point. Enfin et surtout, en quoi la loi de responsabilité sociale cadre-t-elle avec le délit d'« obstruction à la justice » ? L'article 29 de la loi punit la diffusion de contenus qui « promeuvent, font l'apologie ou incitent à la guerre, à l'altération de l'ordre public et au délit ». Outre que relayer une information ne signifie pas obstruer la justice, faire obstruction de fait à la justice ne signifie en rien élever cette obstruction au rang de principe. Diffamer consiste-t-il, en soi, à faire l'apologie de la diffamation ? Reporters sans frontières vous remercie vivement de bien vouloir lui apporter tous les éclaircissements nécessaires au traitement de ce dossier. Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma haute considération. Robert Ménard
Secrétaire général