Loi amendée sur les médias en Somalie : les exigences de protection des journalistes restent lettre morte
Reporters sans frontières (RSF) est vivement préoccupée par la signature d’un projet de loi somalien portant amendement de la loi sur les médias de 2016. Malgré des avancées significatives, RSF demande aux plus hautes autorités fédérales somaliennes de décréter un moratoire urgent sur les arrestations de journalistes, dont la question n’est pas soulevée par le nouveau texte et sans lequel la liberté de la presse dans le pays ne pourra pas progresser.
La réforme tant attendue du cadre légal des médias, consacrant la fin des mesures privatives de liberté pour des faits qui relèvent du journalisme, n’a pas eu lieu en Somalie. Le président de la République Mohamed Abdullahi Mohamed dit “Farmaajo” a signé cette semaine le nouveau projet de loi qui vient remplacer la très controversée loi sur les médias de 2016. Le texte comporte des avancées majeures en ce qu’il contribue aux garanties de liberté d’expression, d’opinion et de liberté des médias, consacrées à l’article 18 de la Constitution fédérale provisoire de 2012. Le texte établit par ailleurs un service public de radiodiffusion (PSB) qui promet d’accorder la priorité aux questions d’indépendance éditoriale et de responsabilité publique, comme l’affirme le National Union of Somali Journalists (NUSOJ), une organisation locale de défense de la liberté de la presse également partenaire de RSF.
Malgré les recommandations préconisées par RSF, le texte ne s’accompagne d’aucun moratoire sur les arrestations de journalistes qui demeurent à un niveau alarmant, plaçant la Somalie parmi les pays les plus répressifs en matière d’interpellations sur le continent.
Enfin, le texte soulève toujours de nombreuses préoccupations sur la criminalisation des faits qui relèvent du journalisme. L’article 3 rend par exemple illégal, et donc répréhensible, la publication sous la contrainte ou la menace, par exemple d’acteurs politiques ou armés, d’informations “contraires aux intérêts du pays, à la sécurité, à l’économie et à la société”. Le secret des sources n’est pas protégé et les journalistes sont responsables des conséquences des révélations d’une information confidentielle. Le texte expose par ailleurs les journalistes à des amendes dont les montants ne sont pas précisés et à des recours possibles devant des “juridictions compétentes” qui ne sont pas définies, ouvrant la possibilité à des peines privatives de liberté.
“La loi amendée sur les médias contient quelques articles encourageants, sapés par la criminalisation des faits journalistiques qui demeure inscrite dans le texte malgré nos recommandations, et ne décrète par ailleurs aucun moratoire sur les arrestations de journalistes”, déplore Pauline Adès-Mével, rédactrice en chef de RSF. La Somalie demeure et restera l’un des pays les plus répressifs en matière d’interpellations de professionnels de l’information sur le continent. Nous demandons aux autorités fédérales de poursuivre plus loin la réforme sur les médias afin de permettre aux journalistes somaliens d’exercer leur travail librement et sans contraintes, sans quoi les promesses d’efforts du gouvernement en faveur de la liberté de la presse et des valeurs démocratiques resteront caduques”.
Lors d’une rencontre à Paris en novembre 2019 avec le premier ministre somalien Hassan Ali Khayre, RSF avait aussi plaidé pour l’adoption rapide d’un mécanisme national dédié à la protection et à la sécurité des journalistes. La Somalie demeure le pays africain le plus meurtrier pour les professionnels de l’information. Plus d’une cinquantaine de journalistes y ont été tués au cours de la décennie écoulée. Des efforts pour lutter contre l’impunité ont tout de même été entrepris ces dernières années. Un policier ayant abattu un journaliste a été condamné par contumace, des militaires ont été renvoyés pour avoir maltraité des reporters et une Cour de justice vient de répondre favorablement à une requête du syndicat national des journalistes somaliens (NUSOJ) en ordonnant l’ouverture d’enquêtes pour les assassinats et meurtres de plus de cinquantes journalistes dans le pays.
La Somalie occupe la 163e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2020.