L'inculpation de Monia Arfaoui replonge un peu plus la Tunisie dans sa période la plus sombre

La journaliste Monia Arfaoui a été inculpée pour diffamation pour un article et un post Facebook révélant une affaire de corruption impliquant le ministre des Affaires religieuses. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une procédure qui confirme la dérive autoritaire des autorités tunisiennes.

La journaliste du quotidien Assabah, Monia Arfaoui, a été inculpée ce vendredi 31 mars pour diffamation après avoir été de nouveau entendue par la police judiciaire, qui l’avait convoquée une première fois pour interrogatoire le 23 mars dernier. 

Monia Arfaoui est visée par deux plaintes pour diffamation déposées par le ministre des Affaires religieuses, Ibrahim Chebbi, suite à la publication d’un article publié le 8 juillet 2022, puis d’un post Facebook. Après avoir expliqué comment  le ministre des Affaires religieuses avait “contourné toutes les procédures” d’organisation du pèlerinage de la Mecque et avait “mal géré l’argent public”, en favorisant des intérêts régionaux et certains de “ses proches” lors de la sélection des guides, des imams et des administrateurs mais aussi des membres de la délégation officielle qui accompagne les pèlerins, la journaliste avait ensuite, sur Facebook, estimé que le ministre avait échoué dans ses fonctions. 

“L’inculpation de Monia Arfaoui à la suite de son travail d’enquête est une nouvelle illustration de la dérive autoritaire du pouvoir tunisien qui tente de restreindre la liberté d’expression et de contraindre les journalistes à l’autocensure. Cette régression est inacceptable au regard des avancées importantes qui avaient été obtenues suite à la révolution tunisienne. RSF appelle le président Kaïs Saïed à faire du respect de la liberté de la presse une priorité et à ne pas laisser le pays replonger dans la période noire de Ben Ali., pendant laquelle les journalistes étaient cantonnés à relayer l’action présidentielle.

Khaled Drareni
Représentant de RSF en Afrique du Nord

Dans un communiqué publié sur son site, le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a dénoncé “l’obstination” du gouvernement, qui utilise contre Monia Arfaoui, le décret 54, un décret-loi présidentiel controversé relatif aux systèmes d’information et de communication. En septembre 2022, suite à sa promulgation par le régime tunisien, RSF avait mis en garde contre le décret 54 et son article 24 qui, sous couvert de lutter contre les rumeurs et les fausses informations, menace la liberté d’expression et vise clairement à faire taire les journalistes et les voix dissidentes. Le SNJT, qui a demandé la suspension immédiate des poursuites contre Monia Arfaoui, rappelle que le gouvernement tunisien se sert de ce décret attentatoire à la liberté de la presse pour la “deuxième fois contre les journalistes”. En novembre 2022, le journal en ligne Business News avait déjà été poursuivi pour “diffamation” sur la base de ce décret suite à la publication d’un article critique envers le bilan de la cheffe du gouvernement tunisien, Najla Bouden.

Le décret 54 et son article 24, intitulé "Des rumeurs et fausses nouvelles", est source d’une profonde inquiétude. Il dispose que quiconque utilise sciemment des systèmes et des réseaux d’information et de communication en vue de produire, de répandre, de diffuser, d’envoyer, ou de rédiger de fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs, des documents faux ou falsifiés ou faussement attribués à autrui, dans le but de porter atteinte aux droits d'autrui ou de porter préjudice à la sûreté publique ou à la défense nationale ou de semer la terreur parmi la population, est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 50 000 dinars tunisiens (environ 15 670 euros). La peine peut aller jusqu’à 10 ans de prison “si la personne visée est un agent public ou assimilé.” 

Ce décret-loi ne donnant aucune définition de ce qu'est une “fausse nouvelle” et une “rumeur”,  il laisse  une latitude d’interprétation absolue aux services de sécurité et au parquet. La lutte contre les fake-news peut ainsi servir de prétexte pour légitimer des atteintes à la liberté de la presse et au droit d’informer.

La recrudescence des atteintes à la liberté de la presse en Tunisie suscite l’inquiétude du Parlement européen, qui a adopté le 16 mars dernier une résolution d’urgence appelant les autorités tunisiennes à “mettre fin à la répression en cours contre la société civile’’ et à libérer  le directeur de la radio Mosaïque FM, Noureddine Boutar, détenu depuis le 13 février 2023. Cette résolution invite l’exécutif européen à prendre des sanctions à l’égard des autorités du pays.

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