Liban: un pouvoir de moins en moins tolérant  à la critique journalistique

RSF s’inquiète de la recrudescence des procédures judiciaires engagées contre les médias critiques des autorités libanaises ou de leurs alliés, comme le montrent deux affaires récentes de journalistes poursuivi ou condamné pour avoir simplement fait leur travail.

Présentateur vedette de la chaîne de télévision libanaise LBCI, Marcel Ghanem a plutôt l’habitude de poser des questions aux invités de son talk-show que de répondre aux questions de la justice. Pourtant, le 2 février prochain, il va devoir contester la validité des poursuites judiciaires dont il fait l’objet et qui pourraient lui coûter jusqu’à un an de prison. Son tort ? Avoir laissé, en novembre dernier lors de l’émission Kalam el Nas (“Ce que les gens disent”), deux journalistes saoudiens critiquer violemment les autorités libanaises, puis avoir refusé de se présenter à une première convocation pour interrogatoire. Pour le journaliste interrogé par RSF, “il s’agit clairement de pressions politiques sur la justice, et d’attaques contre la liberté d’expression avant les élections à venir”.


C’est pour avoir “diffamé l’armée libanaise” lors d’une conférence à Washington en 2014 que la journaliste libanaise Hanin Ghaddar a elle aussi été poursuivie. Et même condamnée par contumace à 6 mois de prison par un tribunal militaire, le 12 janvier dernier. Il a été reproché à l’ancienne éditrice du journal libanais anglophone NOW d’avoir expliqué que l’armée réservait un traitement préférentiel au Hezbollah. “Je ne suis pas la seule journaliste à exposer dans mes articles les agissements du Hezbollah, mais comme je suis moi-même d’une famille chiite, leur ressentiment est plus grand”, interprète Hanin Ghaddar, qui envisage de se tourner vers les organisations internationales pour contester ce verdict. La journaliste et NOW avaient également été poursuivis par la justice militaire après avoir publié en 2015 l’interview d’une militante politique battue et violée en prison, avant que les charges soient finalement abandonnées.


“Reporters sans frontières dénonce ces poursuites disproportionnées. Les journalistes ne devraient pas être traduits devant la justice militaire ni poursuivis en diffamation pour des propos informatifs recueillis ou tenus dans le cadre de l’exercice de leur profession et ce, quel que soit le contexte politique. RSF rappelle l’importance du pluralisme pour le bon fonctionnement d’une société démocratique.”


Les organisations libanaises de défense de la liberté d’expression, comme Skeyes, constatent que les procédures engagées contre la presse se multiplient depuis l’élection fin 2016 du président Michel Aoun et plus encore depuis l’épisode de la démission annoncée puis suspendue du Premier ministre Saad Hariri lors de son séjour en Arabie saoudite en novembre dernier et à l’approche des élections législatives. Depuis un peu plus d’un an, plusieurs auteurs d’éditoriaux, de tweets ou de posts Facebook et même un humoriste ont fait l’objet d’accusations d’outrage ou de diffamation. Dernière affaire en date: le quotidien libanais ad-Diyar a été, le week-end dernier, accusé d'avoir insulté le roi d’Arabie saoudite. Son rédacteur en chef, Charles Ayoub, risque un an d’emprisonnement.



Le Liban figure à la 99e place du Classement 2017 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.

Publié le
Updated on 31.01.2018