Liban : des propositions de loi anti-LGBT menacent la libérté de la presse

Dans le cadre d'une répression croissante des communautés LGBT au Liban, deux projets de loi ciblent les médias et menacent de criminaliser toute "promotion” de la “déviance sexuelle". Reporters sans frontières (RSF) appelle le gouvernement et le  parlement libanais à rejeter ces textes et à ne pas utiliser la question des mœurs sexuelles comme prétexte pour réprimer la presse. 

Le 16 août, le ministre de la Culture, Mohammad Wissam al-Mortada  proche du mouvement politique Amal, parti chiite allié du Hezbollah , a soumis au conseil des ministres une proposition de projet de loi disposant que "tout acte qui promeut explicitement ou implicitement des relations sexuelles anormales" serait puni d'une amende ou d’une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans. Si celui-ci l’approuve, il sera soumis au vote du Parlement. Parlement qui s’est déjà vu présenter, le même jour, une proposition de loi du député Ashraf Rifi ancien directeur des forces de sécurité Libanaises qui prévoit une peine encore plus lourde jusqu’à cinq ans de prison pour ceux qui "promeuvent, facilitent, protègent ou incitent" d'autres personnes à commettre des actes homosexuels. 

Ces propositions “pourraient être utilisées contre les journalistes qui traitent les sujets relatifs aux personnes LGBT", affirme l’avocat et chercheur Nizar Saghieh, cofondateur de Legal Agenda, une organisation de recherche et de plaidoyer spécialisée sur les questions juridiques. Et d’ajouter : "Le gouvernement n’a pas le droit de restreindre le débat public. Cela constitue une violation du pacte international des droits civils et politiques.” Le ministre de l'Information Ziad Makari, qui s'était félicité que le Liban ait gagné 11 rangs dans le Classement mondiale RSF 2023 sur la liberté de la presse, n'a pas répondu à la demande de commentaire de l’organisation. 

Dans un contexte de répression accrue contre les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres), plusieurs dirigeants libanais influents sont en train d’instrumentaliser le sujet des mœurs sexuelles pour justifier une nouvelle attaque contre la liberté de la presse. RSF rappelle à l'État libanais ses engagements internationaux et son devoir constitutionnel de protéger le droit des journalistes d’informer le public sur tous les sujets, y compris ceux relatifs aux personnes LGBT.

Jonathan Dagher
Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF

Cyberharcèlement, menaces et intimidation

Les journalistes qui informent sur les questions de sexualité et de genre au Liban sont d’ores et déjà la cible de cyberharcèlement et de menaces, qui se sont intensifiés depuis que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré, le 22 juillet, que le Liban doit “combattre l’homosexualité”, et que le dirigeant du groupe armé pro-Iranien ait demandé à ses partisans d’utiliser le terme de "déviants sexuels" pour les désigner.

“On m’a transmis des messages de la part d’officiels du Hezbollah, me demandant de ne pas traiter ce sujet", raconte Hussein Chaabane à RSF. Le journaliste indépendant qui couvre un large éventail de thématiques sur la société libanaise, avait dénoncé le discours de haine du parti sur son compte X (ex-Twitter) fin juillet. “Sur les réseaux sociaux, j'ai surtout reçu des insultes en réponse à mes publications sur les droits LGBT, mais des comptes anonymes m’ont également menacé en dévoilant mon adresse.” 

Présentateur du journal télévisé de la chaîne Al Hurra à Washington DC et premier journaliste arabe à avoir fait publiquement son coming-out, Joe Kawly a lui aussi reçu, en ligne, des menaces de violence physique à la suite de l’allocution du représentant du Hezbollah. Les projets de loi, qui ont été déposés dans la foulée, sont selon lui “surréalistes” et “dangereux pour les journalistes”. Il ajoute : “Une presse libre est la pierre angulaire des démocraties. Il est inconcevable de criminaliser un acte sexuel, et encore plus de criminaliser un débat public sur ce sujet. Ces propositions restreignent le droit du public à un accès à l'information sur un sujet qui touche aux droits humains. Elles auront un effet dissuasif sur les journalistes qui souhaitent aborder ce sujet.” 

Les libertés de la presse en déclin

Plusieurs déclarations de dirigeants du Hezbollah ont visé les médias au cours de l'année écoulée avec des conséquences immédiates et désastreuses. En janvier, le mufti jaafarite chiite, Ahmad Kabalan, proche du parti, avait condamné une émission satirique diffusée par la chaîne de télévision LBCI, estimant que “les médias sectaires sont plus dangereux pour le Liban qu'une bombe nucléaire”. Deux jours plus tard, une grenade a explosé dans le parking de la station : message reçu. 

En ce mois d’août, le chef du Hezbollah a tenu une chaîne de télévision pour responsable d’un affrontement armé qui a fait deux morts dans la ville de Kahalé à l’est de Beyrouth, affirmant que c’était un média “hypocrite” qui avait incité à la violence. Les affrontements avaient en fait éclaté après qu'un camion appartenant au Hezbollah se soit renversé sur le bas-côté de la route. Mais suite à ces propos, les journalistes de la chaîne MTV ont été la cible d'un cyberharcèlement violent de la part des partisans du parti chiite.

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