A l'occasion de la prise de fonctions de Viktor Iouchtchenko, Reporters sans frontières a déploré la répression accrue qui s'est exercée à l'encontre des journalistes en Ukraine, en 2004. L'organisation a rappelé au nouveau président de la République ses récents engagements en matière de liberté de la presse.
Paris, le 21 janvier 2005
Monsieur le Président,
A l'occasion de votre investiture à la présidence de l'Ukraine, le 23 janvier 2005, Reporters sans frontières tient à vous exprimer ses plus vives félicitations.
Notre organisation reste toutefois très préoccupée par les nombreuses violations de la presse qui se sont multipliées au cours de l'année 2004 dans votre pays. Treize journalistes ont été agressés et quatre interpellés, en raison de leurs activités professionnelles.
Par ailleurs, la couverture de la campagne présidentielle de décembre 2004, totalement biaisée, a été placée sous le signe de la censure, en particulier dans le secteur audiovisuel public et privé. Outre les agressions contre des journalistes, nous avons également recensé plusieurs cas de licenciements abusifs et de blocage dans la distribution ou dans l'accès à l'information.
Par conséquent, Reporters sans frontières vous demande de faire preuve, en tant que président de la République, d'une véritable volonté politique de renforcer les acquis obtenus par les journalistes pendant la « révolution orange », tels que l'abolition de la censure. A cet égard, Reporters sans frontières vous rappelle vos engagements en la matière, alors que vous envisagez un rapprochement étroit de votre pays avec l'Union européenne.
Vous avez déclaré, le 29 décembre 2004, sur Kanal 5 « vouloir signer rapidement une convention bilatérale avec les journalistes qui garantirait la non-ingérence gouvernementale dans les choix éditoriaux des journaux ». « Selon moi, la liberté de la presse est fondamentale dans le développement du pays. Si l'Ukraine n'a pas de journalisme impartial, elle n'aura pas sa place dans le concert des nations démocratiques », avez-vous ajouté.
Si votre pays désire un jour être membre de l'Union Européenne, il apparaît nécessaire que soient rapidement appliqués les standards européens en matière de liberté de la presse.
Par ailleurs, nous souhaitons que vous démontriez rapidement votre volonté de faire enfin toute la lumière sur l'enlèvement et l'assassinat du journaliste Géorgiy Gongadze, le 16 septembre 2000. Vous avez d'ailleurs déclaré à la suite de votre empoisonnement :« J' espère que nous trouverons le meurtrier de ce journaliste, même si nous connaissons déjà la réponse : ce sont les autorités. »
Reporters sans frontières met en doute le sérieux de l'enquête qui a été réalisée à l'époque. L'instruction semble, en effet, avoir été menée avec le souci premier de protéger l'exécutif des graves accusations dont il était l'objet, plutôt que de rechercher la vérité.
La prise de fonctions de Sviatoslav Piskoun, au poste de nouveau procureur général d'Ukraine, le 9 décembre 2004, ne doit pas être un simple effet d'annonce. Nous attendons que soit ouverte rapidement une nouvelle enquête approfondie, afin d'établir enfin les responsabilités, jusqu'au plus haut niveau de l'Etat, dans la disparition et le meurtre de ce journaliste.
Nous vous prions également de préciser vos engagements en matière de liberté de la presse, lors de votre prochaine visite au Conseil de l'Europe à Strasbourg, du 24 au 28 janvier.
Confiant dans l'intérêt que vous porterez à nos attentes, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma très haute considération.
Robert Ménard