Mr Terry Semel
Chairman & CEO
Yahoo! Inc.
701 First Avenue
Sunnyvale, California 94089
United States
Paris, le 16 juillet 2002
Monsieur Terry Semel,
Reporters sans frontières tient à exprimer sa consternation après l'annonce de l'inclusion du site Yahoo ! en langue chinoise dans la liste des trois cents sites et fournisseurs d'accès à Internet ayant signé le pacte d'autocensure mis en place par le gouvernement chinois.
Le " Pacte d'autodiscipline " soumis aux opérateurs, le 16 mars 2002, par l'Association chinoise de l'Internet, et signé par votre représentation locale, n'est rien d'autre qu'une nouvelle escalade du pouvoir dans sa tentative de contrôler la circulation de l'information sur le Réseau et de museler toute forme de critique ou d'exercice de la liberté d'expression.
En signant ce " Pacte ", Yahoo ! s'est engagé à " ne pas produire ou diffuser des documents nuisibles ou des informations susceptibles de mettre la sécurité nationale et la stabilité sociale en péril ; d'enfreindre les lois et les réglementations, de répandre de fausses nouvelles, des superstitions et des obscénités ". Le texte prévoit également " la coopération des sites dans la lutte contre la cybercriminalité ou le non -respect des droits de propriété intellectuelle ".
Reporters sans frontières vous demande de bien vouloir revenir sur cette décision en dénonçant votre signature et vous exhorte à refuser d'autocensurer le contenu de votre site.
En renonçant à votre droit à la liberté d'expression, en entravant la circulation de l'information sur le Réseau, en privant vos clients de contenus riches et variés, vous battez en brèche les fondements même d'Internet et de la démocratie. Et vous allez à l'encontre même de l'histoire de votre entreprise.
En effet, Internet est, par essence et depuis sa création, un vecteur de transmission de l'information et du savoir, de libre échange entre les citoyens, les peuples et les cultures ; un espace de liberté d'expression ; une arme de lutte contre la censure. Ainsi, Yahoo ! a toujours défendu son image d'opérateur " historique " de la Toile ; de pionnier défendant farouchement son indépendance et celle des sites hébergés sur ses portails y compris les sites controversés.
Reporters sans frontière a eu l'occasion de vous défendre dans un passé récent, lorsque la polémique sur la vente aux enchères d'objets nazis sur l'un de vos sites battait son plein en France. Notre organisation l'a fait au nom de la liberté totale sur Internet.
Reporters sans frontières se bat également pour que les internautes et les opérateurs chinois jouissent de cette même liberté. Et force est de constater que ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Depuis 1997, le gouvernement tente de contrôler le Réseau. Après avoir essayé en vain de cantonner sa cybercommunauté dans les frontières nationales, il a adopté une politique de censure et d'autocensure ; de contrôle ; de filtrage ; d'espionnage des sites et des internautes; d'arrestations et de condamnations de cyberdissidents.
Aujourd'hui, vingt-deux d'entre eux sont derrière les barreaux pour avoir simplement téléchargé des documents sur la démocratie ou avoir critiqué l'Etat ou le Parti communiste. Des dizaines de sites de médias internationaux ou d'organisations de droits de l'homme sont inaccessibles depuis la Chine. Depuis quelques mois, la police de l'Internet et les autorités locales tentent d'éradiquer les cybercafés. Plusieurs milliers d'entre eux ont dû fermer leurs portes. Ils ne pourront rouvrir qu'après s'être pliés aux exigences du gouvernement, notamment celle d'installer des " logiciels mouchards " dans les ordinateurs.
Est-ce dans ce type de cyberespace que la compagnie Yahoo ! compte développer ses activités ? Est-ce à des internautes contrôlés dans leurs faits et gestes que Yahoo ! entend proposer ses services ? Nous espérons que non.
Nous vous demandons donc instamment de dénoncer la signature de ce " Pacte " et d'œuvrer, au contraire, pour une ouverture démocratique de l'Internet chinois. Faute de quoi, la cybercommunauté devra prendre acte du fait que Yahoo ! n'est plus un opérateur " libre ", attaché à la liberté d'expression sur Internet.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.
Robert Ménard
Secrétaire général
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Pour plus d'informations sur la censure d'Internet en Chine, lisez "Les chroniques de la répression" de Reporters sans frontières