Lettre ouverte au ministre de l'Information, Mohamed Nasheed
Organisation :
Monsieur le Ministre,
Les organisations membres de la Mission internationale pour la liberté de la presse aux Maldives souhaitent attirer votre attention sur des événements récents qui nous préoccupent grandement sur l'avancée réelle des réformes démocratiques dans votre pays. En effet, le gouvernement a pris un retard inquiétant dans l'ouverture du secteur des médias audiovisuels (radios et télévisions) au privé, et les convocations abusives et pressions sur les journalistes d'opposition continuent.
Le ministère de l'Information n'a pas tenu sa promesse de mettre fin au monopole étatique sur la radio et la télévision au 31 octobre 2006. Il a été annoncé le 1er novembre que l'ouverture serait strictement maîtrisée par la loi, mais qu'en absence de texte, elle était retardée. Pourtant, le document officiel "Roadmap for the Reform Agenda" précise que la loi sur l'audiovisuel permettant le lancement de médias privés aurait dû être achevée au 31 octobre 2006.
Le texte a été envoyé le 1er octobre au Parlement (People's Majlis), mais n'a toujours pas été adopté. Il est difficile de connaître les raisons de ce retard, le gouvernement accusant régulièrement l'opposition de bloquer les projets de loi. Il semblerait que le dépôt d'autres textes, jugés plus prioritaires par les autorités, a repoussé de plusieurs mois l'adoption de la loi sur l'audiovisuel. Au moins 38 demandes de licences pour des radios et des télévisions auraient déjà été déposées auprès des autorités.
Dans un communiqué expliquant ce report, vos services avaient précisé que les médias électroniques seront surveillés en raison des effets négatifs d'une liberté de la presse inconditionnelle. Deux semaines auparavant, vous déclariez pourtant au journal Haveeru que des médias audiovisuels privés obtiendraient rapidement des licences.
En mai dernier, lors d'un entretien avec les membres de la Mission internationale, vous aviez pris l'engagement d'autoriser au plus vite le lancement de radios et de télévisions privées. Lors de cet entretien, vous aviez également souhaité la création d'un Conseil des médias (Media Advisory Board), composé de personnalités, qui permettrait d'accompagner le développement de médias électroniques privés. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Au vu de ces revirements, la Mission internationale demande des engagements clairs pour que la population des Maldives ne soit pas privée plus longtemps d'une information pluraliste. Il est urgent d'accorder des licences à des médias qui pourront ensuite être régulés par la loi sur l'audiovisuel. L'absence de cadre légal n'empêche pas la radio-télévision publique d'opérer.
Face à ce retard aussi inexpliqué que regrettable, les organisations rappellent l'une des recommandations formulées à l'issue de la mission d'enquête de mai dernier : "La Mission appelle le gouvernement à continuer sa politique de transformation de la radio et de la télévision d'Etat en services publics, ainsi qu'à améliorer l'accès à l'information et mettre en accord les lois sur la diffamation avec les standards internationaux."
Par ailleurs, nous craignons que Minivan Radio, la seule radio non gouvernementale diffusée en divehi, se voit refuser une licence. En effet, le gouvernement ne cesse de s'en prendre au quotidien Minivan et au site Minivan News.
Nous tenons également à vous rappeler vos déclarations sur la transformation de la Television Maldives et de Voice of Maldives en services publics. Nous n'avons constaté aucune avancée tangible. Bien au contraire, l'opposition a dénoncé, parfois de façon virulente, l'utilisation de ces deux médias par les autorités lors de la crise qui a entouré la manifestation du 10 novembre. Nous vous proposons, encore une fois, nos compétences afin d'assurer l'indépendance de ces médias.
Par ailleurs, la Mission internationale a recensé un nombre important d'interpellations, de convocations abusives, d'intimidations ou d'expulsions à l'encontre de journalistes indépendants ou d'opposition.
La rédaction du Minivan, accusée d'avoir appelé début octobre à assassiner le président Abdul Gayoom, lors du lancement par le Parti démocratique maldivien (MDP) de son appel à manifester le 10 novembre, a été spécialement visée. Le journal a ainsi affirmé que, le 23 novembre, la police avait tenté d'appréhender Aminath Najeeb, directrice de publication, et le journaliste Nazim Sattar.
Le 3 novembre, Ahmed Abbas, caricaturiste et militant d'opposition, a été arrêté à Malé après avoir quitté les bureaux des Nations unies où il avait demandé l'asile. L'opposant a été incarcéré suite à sa condamnation in absentia à six mois de prison pour avoir déclaré, en août 2005, au journal Minivan : "Ce que nous devons faire à ceux de la Star Force (unité d'élite de la police) qui nous frappent, c'est de les prendre individuellement et d'agir de telle manière qu'ils comprennent que les coups provoquent de la souffrance, autrement ils ne seront pas maîtrisés." Dans cette affaire, la directrice, Aminath Najeeb, et le rédacteur en chef, Nazim Sattar, du journal d'opposition ont également été inculpés de "désobéissance aux ordres".
Le 27 novembre, Mohamed Rilwan, l'un des responsables du magazine eSandhaanu, a été convoqué par la police de Malé suite à la publication d'un article d'un contributeur extérieur. Le chef de l'Etat y était notamment qualifié de "despote". Cité par Minivan News, Mohamed Rilwan a expliqué à la police qu'il avait reçu le texte par email et ne l'avait pas changé.
Enfin, nous avons pris connaissance des récentes déclarations de votre collègue, le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Shaheed, lors d'un discours devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies à Genève. Le ministre a affirmé que la nouvelle loi sur la presse allait permettre une amélioration sans précédent de la situation des médias. Le texte comble certes un vide juridique qui a permis beaucoup d'abus dans le passé, mais il est loin d'être parfait. Une analyse approfondie du projet de loi montre que les restrictions à la liberté d'expression sont traitées dans des termes trop vagues, et pourraient être utilisées à des fins politiques. Le projet de loi énumère un certain nombre de délits de presse et ne fournit pas assez de mesures de protection de la liberté de la presse.
En espérant une réponse à nos questions, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, à l'expression de notre haute considération.
Agnés Callamard
Directrice
Article 19
Jesper Højbjerg
Directeur
International Media Support
Christopher Warren
Président
International Federation of Journalists
Robert Ménard
Secrétaire général
Reporters sans frontières
Sadaf Arshad
Coordinatrice
South Asia Press Commission
Publié le
Updated on
20.01.2016