Lettre de Reporters sans frontières à Barack Hussein Obama

Le 1er juillet 2009, Reporters sans frontières a adressé un courrier au président américain, Barack Obama, en amont de sa visite en Russie les 6 et 7 juillet. L'organisation appelle le chef de l'Etat a à évoquer la question de la violence contre les journalistes - notamment Anna Politkovskaïa, Paul Khlebnikov et Magomed Evloïev - et de l'impunité des auteurs de ces crimes, avec les autorités russes.

Monsieur Barack Hussein Obama Président des États-Unis d’Amérique Maison Blanche, Washington DC CC : Madame Hillary Rodham Clinton Secrétaire d’État Département d’État, Washington DC Président des Etats-Unis d’Amérique Paris, le 1er juillet 2009 Monsieur le Président, Vous effectuerez prochainement un déplacement en Fédération de Russie, à l’invitation de votre homologue russe, Dmitri Medvedev. A cette occasion, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse, souhaite attirer votre attention sur le degré de violence exercé à l’encontre des journalistes, ainsi que sur l’impunité qui prévaut pour les auteurs de ces crimes. La Russie occupe actuellement la 141e place du classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières, sur 173 pays. Depuis l’arrivée de Vladimir Poutine à la tête de l’Etat, en mars 2000, nos recherches indiquent qu’au moins vingt journalistes sont morts en raison de leur activité professionnelle. Le 29 juin dernier, nous avons appris le décès d’un journaliste de la presse locale, Viatcheslav Yaroshenko, des suites de l’agression qu’il a subie en début d’année. Depuis le dernier trimestre 2008, la pression exercée sur les journalistes s’est sensiblement accrûe. Plusieurs cas nous ont particulièrement choqués, dont ceux de Magomed Evloïev, propriétaire du site d’information Ingushetia.org, abattu alors qu’il venait d’être illégalement arrêté en Ingouchie ; de Mikhaïl Beketov, rédacteur en chef d’un journal local près de Moscou, sauvagement agressé et amputé depuis d’une jambe et de plusieurs doigts ; et d’Anastassia Babourova, jeune journaliste de Novaïa Gazeta, abattue d’un balle dans la tête en plein centre de Moscou en janvier 2009. Cette violence, qui n’épargne pas la capitale, est encore plus sensible dans le Caucase russe. Reporters sans frontières a publié, le 25 juin, un rapport d’enquête sur le Daghestan, l’Ingouchie et la Tchétchénie. Les conditions de travail des journalistes y sont déplorables et la presse libre est quasi inexistante dans ces Républiques. Comme vous le savez, deux journalistes, assassinés en Russie en 2004 et en 2006, Paul Khlebnikov et Anna Politkovskaïa, avaient consacré une part importante de leurs efforts à la diffusion d’information vers le public russe et étranger sur la situation en Tchétchénie. Aucun de ces crimes n’a été efficacement résolu par la justice russe. Le 9 juillet, cela fera cinq ans que Paul Khlebnikov, citoyen américain et rédacteur en chef de l’édition russe du magazine Forbes a été abattu. Dans l’incapacité de retrouver un suspect, la justice avait suspendu l’enquête à la fin du mois de mai 2009. Tout récemment, les autorités ont annoncé oralement aux proches du journaliste que l’investigation était relancée. Dans le dossier d’Anna Politkovskaïa, l’acquittement de trois suspects, prononcé en février dernier, a été cassé la semaine dernière. L’enquête se poursuit toujours, mais sans résultat probant en ce qui concerne le ou les commanditaires. Or, c’est bien la question centrale. Monsieur le Président, nous comprenons fort bien que les relations entre les États-Unis d’Amérique et la Fédération de Russie ne se limitent pas aux questions de droits de l’homme et de respect de l’Etat de droit. Toutefois, ces dernières ne peuvent être légitimement éludées. La Russie est un acteur incontournable de la vie internationale. Si elle veut être considérée comme un interlocuteur fiable, facteur de stabilité, elle doit s’engager plus avant en faveur du respect des libertés publiques. Dans le cadre de la nouvelle dynamique insufflée aux relations américano-russes, votre parole sera porteuse d’un poids renouvelé. C’est pourquoi nous vous demandons instamment, de bien vouloir évoquer lors de vos entretiens avec les officiels russes, la question des violences contre les journalistes - notamment ceux dont les noms sont cités dans ce courrier - ainsi que celle de l’impunité dont jouissent leurs auteurs. Dans l'attente de votre réponse, et en vous remerciant de votre attention, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération. Jean-François Julliard, Secrétaire général
Publié le
Updated on 20.01.2016