Les Taliban et le groupe Etat islamique étendent un peu plus les “trous noirs de l’information” en Afghanistan

Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités afghanes à tout mettre en œuvre pour assurer la sécurité des journalistes et des médias afghans. Désormais les menaces et attaques du groupe djihadiste Etat islamique (EI) s’ajoutent à celle des Taliban, engendrant l’apparition de nouveaux “trous noirs de l’information” dans plusieurs régions du pays.

Alors que plusieurs gouvernements, notamment les États-Unis, l’Iran, la Norvège et le Qatar 'normalisent' leurs relations avec les Taliban, et que certains responsables politiques afghans s'assoient à leurs cotés à la table des négociations, ces derniers intensifient leurs attaques acharnées contre les civils et menacent ouvertement la liberté de l’information dans le pays. Dans plusieurs régions, du Badakhchan au Nangarhâr et du Baghlân au Nourestân, les Taliban et désormais les membres de l’EI sèment la terreur. La liberté de l’information dans ces zones contrôlées devient tout simplement inexistante, engendrant l’apparition de “trous noirs de l’information.”


Les journalistes sont soit directement victimes d’exactions comme la radio Donya Novin attaquée à la bombe le 6 juin 2015, dans la ville de Chaharikar ( la province de Parwan) ou le bureau régional de l’agence de presse indépendante afghane Pajhwok ou bien encore la radio publique américaine Voice of America (VOA) dans la ville de Jalalabad (province Nangarhâr) le 12 juin 2015, dans laquelle au moins deux journalistes de VOA ont été blessés. Selon plusieurs sources, il s’agissait de «la première action de l’EI» dans le pays. Mais parfois, les journalistes sont obligés de réduire, voire d’arrêter totalement leurs activités, notamment dans les régions de Badakhchan et Nangarhâr tant les affrontements sont intenses. Plusieurs villages sont en effet tombés entre les main des insurgés. Ces régions ont rejoint Helmand ou Khost, provinces dans lesquelles les Taliban ont instauré la terreur au sein des médias.


“Nangarhâr est une région où l’insécurité a toujours régné, mais ces derniers mois, la situation s’est encore plus dégradée, notamment pour les journalistes. Les attaques des insurgés sont quotidiennes, mais nous ne pouvons pas les couvrir. Les forces de l’ordre nous ont clairement spécifié qu’elles ne pouvaient pas assurer notre sécurité. Nous non plus, nous ne voulons pas mettre en danger nos vies, on ne peut donc pas faire notre travail. Pour les femmes journalistes surtout, le travail dans les médias est devenu encore plus difficile, parfois elles ne peuvent même pas sortir de chez elles”, témoigne sous couvert d'anonymat un journaliste de Jalalabad, la capitale de la province Nangarhâr.


Dans cette ville, huit radios, trois télévisions et quatre journaux sont recensés, soit au total 60 journalistes dont 20 femmes qui travaillent. “Parmi les victimes civiles de ces derniers mois, on compte deux anciens journalistes, également membres du conseil municipal de Jalalabad, Mofti Moinshah Haqani qui animait la radio religieuse Sepinghar, tué sous les balles d’inconnus le 29 juin 2015, et Angizeh shinvari, collaboratrice de plusieurs médias, tuée par l’explosion de sa voiture le 10 février. Cette dernière avait été plusieurs fois menacée pour avoir encouragé les femmes, notamment journalistes, à défendre leurs droits et pour avoir critiquée publiquement sur sa page Facebook le Pakistan pour son soutien aux Taliban», ajoute le journaliste.


Selon les informations collectées par RSF, actuellement six des 22 mairies de cette province sont tombées entre les mains des groupes armés se revendiquant de l’Etat islamique (EI). Dans le nord du pays, la situation n'est pas mieux. Contacté par RSF, Shir Mohammad Jahesh, directeur de la chaîne locale TV Tanvir, dans la province de Baghlân (nord du pays) révèle que “l'intensification des combats dans le nord du pays, surtout en Badakhshan, était inattendu, une zone relativement calme mais la présence des Taliban provoque la panique chez la population et bien sûr parmi les acteurs de l’information aussi. Il règne une grande insécurité dans la région, notre travail est directement influencé par ces groupes armés qui nous demandent d’être “neutres”, en réalité ce qu’ils désirent c’est qu'on accepte leurs règles».


Les Taliban et les autres groupes armés ne sont malheureusement pas les seuls à s’en prendre aux médias, les seigneurs de guerre, les responsables politiques locaux et les forces gouvernementales contribuent également à créer un climat de peur, visant à écarter les journalistes particulièrement pendant les opérations militaires.


L'Afghanistan fonce de plus en plus dans une guerre civile tous azimuts, les ennemis de la liberté de l’information font tout pour empêcher sa libre circulation. Le 5 juillet 2015, lors d’une réunion d'urgence du Conseil national de sécurité, le président Ashraf Ghani Ahmadzai a accusé les Taliban d’avoir commis des crimes de guerre, après leur attaque sanglante des 2 et 3 juillet 2015 dans ville de Jalrez (la province de Wardak), dans laquelle plus d’une quinzaine de soldats et de civils ont été tués. Le 31 mai 2015, Georgette Gagnon, directrice humanitaire d’UNAMA, avait déjà qualifié les assassinats et agressions contre des civils, de crimes de guerre.


Le même jours, Gulbadin Hekmatyar, fondateur et leader du groupe islamiste Hezb-e-Islami (HIA), jusqu'ici allié des Taliban dans la lutte contre le gouvernement, a demandé dans un communiqué de presse, à ses combattants de soutenir l’EI dans ses affrontements avec les Taliban. Gulbadin Hekmatyar et son parti sont impliqués dans l’assassinat de plusieurs journalistes notamment de Zakia Zaki, directrice de la radio Sada-e-Sulh(Radio de la Voix de la Paix) et figure emblématique du journalisme afghan le 6 juin 2007.


“Le président Ashraf Ghani et le gouvernement d’Afghanistan ont été engagés pour assurer la liberté d’expression et la liberté d'information en Afghanistan. Notre pays est en guerre, une guerre qui nous a été imposée. Les ennemis tentent d'attaquer nos acquis de ses treize dernières années, notamment sur la liberté de l’information. L’État fait tout pour protéger les journalistes dans plusieurs régions, les forces de l'ordre sont au service des journalistes pour assurer leurs protection.“, a déclaré Sayed Zafar Hashemi, porte-parole du président de la République, notamment sur la question de la protection des journalistes et l’importance de lutter contre l’impunité, interrogé par Reporters sans frontières.


A propose des négociations engagées avec les Taliban, cet ancien journaliste insiste : “Nous devons chercher une solution politique pour mettre fin à la guerre, mais les négociations sont basées obligatoirement sur des principes définis par la constitution afghane. Et pour parvenir à un accord de paix, il faut que toutes les parties acceptent cette Constitution qui garantit en autres la liberté d’expression. La paix est au service de l'État de droit, et dans cet État, toutes les personnes qui ont commis des crimes, dont ceux contre les journalistes ou les médias, doivent être punis par la loi et la justice.”


L’Afghanistan est classé 122e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2015 de Reporters sans frontières.

Publié le
Updated on 09.06.2016