Les reporters à l’épreuve de la bataille de Mossoul

La mort le 19 juin 2017 de deux journalistes, venus réaliser un reportage sur la dernière phase de la bataille de Mossoul, est l’occasion pour RSF de rappeler que des centaines de journalistes locaux et étrangers couvrent depuis le mois d’octobre 2016 la reconquête de la deuxième ville d’Irak dans des conditions de plus en plus difficiles.
 

Alors que l’assaut final a été lancé dimanche dernier dans la vieille ville de Mossoul pour la reconquête de la deuxième ville d’Irak toujours partiellement tenue par les combattants du groupe Etat islamique, une poignée de correspondants permanents indépendants basés à Erbil ainsi que quelques dizaines de journalistes irakiens et étrangers tentent de continuer de couvrir une bataille décisive en s’adaptant à un terrain de plus en plus dangereux.


Au lendemain de l’explosion d’un engin artisanal qui a coûté la vie aux journalistes français Stephan Villeneuve et kurde irakien Bakhthiar Haddad, et blessé la journaliste suisse Véronique Robert et son confrère français Samuel Forey, les autorités irakiennes ont décidé de limiter l’accès à la vieille ville, située dans la partie ouest de Mossoul où se déroulent actuellement les combats. Des mesures similaires avaient été prises en octobre 2016, après la mort de deux journalistes irakiens quelques jours après le lancement de l'offensive militaire qui avait permis de reprendre le contrôle de la partie est de la ville de Mossoul.


Depuis le mois de février 2017, qui a marqué le début du lancement de l’offensive terrestre pour la reconquête de la partie occidentale de la ville, un total de 226 équipes de journalistes, dont 84 étrangères, ont été officiellement enregistrées par le Commandement conjoint des opérations (JOC) en Irak, d’après son porte-parole, le général de brigade Yahia Rassoul. Il est difficile de connaître le nombre exact de journalistes présents actuellement sur le terrain, ces derniers n’ayant pas nécessairement à s’enregistrer auprès d’une autorité centrale. Cependant, d’après des informations recueillies par RSF, pour ce qui est des journalistes français, six d’entre eux - quatre envoyés spéciaux et deux correspondants permanents - se trouvent toujours en ce moment dans la région de Mossoul ou dans la ville d’Erbil, capitale du Kurdistan iraquien et base arrière de la bataille de Mossoul.


Parmi eux, Oriane Verdier, 25 ans, journaliste indépendante basée à Erbil qui travaille comme correspondante pour RFI, Radio France, Libération et la RTS. Installée dans la région depuis 2014, “non pas pour aller à la guerre mais d’abord pour expliquer des problématiques régionales”, la journaliste a bénéficié d’une formation sécurité spécifique dispensée par France Médias Monde, ce qui l’aide aujourd’hui à “être réfléchie, dans le contrôle et à toujours mesurer si le risque pris vaut l’information que je vais pouvoir ramener”. Cet arbitrage, Oriane Verdier doit le faire de plus en plus souvent, compte tenu de la nette dégradation des conditions sécuritaires dans la région depuis trois ans.


Les conditions de reportage sont de plus en plus difficiles et compliquées dans le pays” confirme Pierre Barbancey, grand reporter à L’Humanité, qui couvre l’Irak depuis 17 ans. A Mossoul, où le journaliste s’est rendu en décembre 2016, “il est impossible de se sentir véritablement en sécurité car même lorsqu’on a l’impression de ne pas être dans une zone de combat, une voiture bourrée d’explosifs peut sortir de n’importe où et un obus de mortier peut tomber à n’importe quel moment.” Le journaliste qui a couvert de nombreux conflits à travers le monde rappelle aussi : “à Mossoul comme ailleurs, nous ne sommes pas que des cibles à abattre mais aussi à kidnapper. Ce risque existe partout, mais dans le dédale des ruelles de Mossoul, le danger est encore plus grand”.


La vieille ville de Mossoul, où se sont retranchés les derniers éléments de Daesh, est un véritable labyrinthe pour les forces armées comme pour les journalistes. Ces derniers doivent avancer, à pied, dans des rues étroites et courbes, lourdement minées, tout en étant exposés aux tirs d’obus de mortiers et aux snipers du groupe Etat Islamique qui peuvent s’abriter dans les maisons ou sur les toits. “Daesh est passé maître dans l’art de cibler les journalistes (...) avec des bombes lancées depuis des drones et les snipers sur les lignes de front” expliquait déjà Ziad Al-Ajili, le directeur de l’Observatoire des libertés journalistiques (JFO) basé à Bagdad, peu de temps après la prise de contrôle de Mossoul par les djihadistes en juin 2014. Aujourd’hui, Ziad Al-Ajili dresse un triste bilan: “9 journalistes ont été tués dans la guerre de Mossoul (...) et près de 46 journalistes irakiens et étrangers ont été blessés”. Ce chiffre élevé s'explique par la férocité du conflit mais aussi par un manque de moyens, d’équipements de protection, voire parfois d’expérience ou encore par manque de formation préalable.


La photographe indépendante Laurence Geai, qui a notamment suivi la bataille de Mossoul pour le quotidien Le Monde et qui se trouve en ce moment sur place, est consciente de tous ces dangers et égrenne ceux avec lesquels elle doit compter : “il faut faire gaffe aux mortiers, aux snipers et aux mines.” Avec la couverture des combats dans la vieille ville de Mossoul, la photoreporter se prépare aussi à ce que les semaines à venir soient encore plus difficiles pour les journalistes “car c’est là que se situe le coeur de Daesh”.


Cela va être “une bataille terrible” estime également Frédéric Lafargue, un autre photographe indépendant, qui travaille régulièrement en Irak depuis la première guerre du Golfe en 1991. “Les deux camps n’en sont pas à leur coup d’essai, le niveau d’engagement des forces irakiennes comme de l’Etat Islamique est très élevé, la configuration du terrain -ndlr: une vieille ville avec un dédale de ruelles- est défavorable, il y a donc forcément un risque énorme à couvrir ce genre de situation” admet le photoreporter qui a suivi le début de la bataille de Mossoul pour Paris Match. “La présence des civils rend l’équation encore plus difficile et le fait que les combattants de Daesh vivent peut-être leur Fort Alamo, qu’ils sont là pour rester et causer un maximum de dégâts, évidemment, cela fait réfléchir avant d’y aller” conclut Frédéric Lafargue.


Depuis deux ans, le groupe Etat Islamique détient toujours dix journalistes et collaborateurs de médias irakiens enlevés à Mossoul. L’EI a fait main basse sur l’ensemble des médias de la ville en 2014, transformant Mossoul en trou noir de l’information, jusqu’à l’offensive de l’armée irakienne et de ses alliés lancée le 17 octobre dernier.


Pour rappel, RSF avait publié un rapport conjoint sur Mossoul avec l’Observatoire des libertés journalistiques (JFO) en Irak, fin octobre 2015 dernier faisant un état des lieux de la situation de la liberté de la presse depuis le contrôle de la ville par l’EI.


L’Irak figure à la 158e place (sur 180) du Classement 2017 sur la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.


Reporters sans frontières (RSF) publie, en partenariat avec l’Unesco, un guide pratique de sécurité des journalistes, disponible en français, anglais, espagnol et arabe. Destiné aux journalistes qui se rendent dans des zones dites « à risques », le manuel dispense des conseils pratiques pour conjurer les dangers du terrain.

Publié le
Updated on 21.06.2017