Le 18 novembre 2008, l'auteur d'un livre dénonçant la torture et le producteur d'une émission présentant cet ouvrage seront jugés pour avoir abordé ce sujet. Ils sont inculpés d'“incitation à la haine et à l'hostilité” et risquent quatre ans et demi de prison. La question de la torture demeure pourtant un enjeu de poids pour le pays.
Baris Pehlivan, producteur de l'émission “J'en suis témoin” de la chaîne d'information en continu CNN Türk et Nurettin Yilmaz, ancien politicien kurde, ancien député indépendant et auteur de “Je suis témoin du passé proche ”, comparaîtront devant la vingt-et-unième Chambre du tribunal correctionnel de Bakirkoy (Istanbul). Poursuivis au titre des articles 216 et 218 du code pénal, “incitation à la haine et à l'hostilité”, ils risquent jusqu'à quatre ans et demi de prison.
“Une forte opposition à la dénonciation publique des cas de torture existe encore. Quelle que soit la raison de cette réticence, elle est injustifiable. La torture est un procédé indigne et barabare, ceux qui s‘en rendent coupables ne doivent pas être protégés par la loi du silence. Les victimes doivent être protégées par la justice et non poursuivies, tout comme ceux qui contribuent à informer le public de l'existence de ce type de pratique”, a déclaré Reporters sans frontières.
“Dans cette affaire, on assiste à un véritable renversement de la hiérarchie des valeurs et ce, quelques jours après la remise du rapport de suivi de l'Union eruropéenne, qui concluait entre autres, à une augmentation des cas de torture. Ce document rappelait aussi que la Turquie n'a toujours pas ratifié le protocole optionnel de la Convention des Nations unies contre la torture, signé en 2005”, a poursuivi l'organisation.
Le 24 juillet 2007,Baris Pehlivan avait invité Nurettin Yilmaz afin de présenter le livre dans lequel l'ancien député décrivait les tortures qu'il avait subies lors de sa détention à la prison de Diyarbakir à partir de septembre 1980, lors du coup d'état militaire. Huit mois après la diffusion de l'émission, le procureur de la république de Bagcilar, Ali Çakir s'est autosaisi de l‘affaire et a envoyé son acte d'accusation au parquet de Bakirkoy (rive européenne d'Istanbul).
Ali Çakir considère que l'émission était de nature à “opposer de manière dangereuse une partie de la société à une autre” et “constitue une menace pour l'ordre public”. Il reproche à Nurettin Yilmaz d'avoir témoigné des tortures subies de 1980 à 1984 et à Baris Pehlivan d'avoir “servi d'intermédiaire pour que ces propos circulent dans l'opinion publique”.
Cette affaire n'est pas un cas isolé. Le mois dernier, Alper Turgut, journaliste du quotidien Cumhuriyet, qui avait mis en question l'acquittement de trois policiers d'Istanbul accusés d'avoir torturé trois collaborateurs de revues d'extrême gauche a été condamné à verser vingt mille livres turques nouvelles (soit dix milles euros), pour avoir tenté d'”influencer la justice”. Son avocat a fait appel le 14 octobre dernier.
Enfin, à l'heure actuelle, six gardiens de prison sont incarcérés et une trentaine de policiers ont été appelés à témoigner dans une affaire relative à la torture en prison et dans un commissariat de quatre personnes dont l'une est décédée le 10 octobre 2008.
L'une des nombreuses questions soulevées par ce dossier est liée au fait que les membres des forces incriminés comparaissent librement, bien que certains aient été reconnus formellement par les plaignants.