Les journalistes doivent pouvoir travailler à l'abri des menaces
Reporters sans frontières condamne fermement l'agression d'Oleksandr Panteleïmonov, directeur général par intérim de la Compagnie de télévision nationale ukrainienne (NTKU). Dans la soirée du 18 mars 2014, une vingtaine de personnes menées par des députés du parti nationaliste Svoboda ont fait irruption dans son bureau, l'ont insulté et battu, avant de le forcer à signer une lettre de démission.
« Une enquête complète et impartiale doit être menée pour que ce genre d'actes intolérables ne se reproduise pas. Cela implique la levée de l'immunité parlementaire des députés impliqués. Igor Mirochnitchenko en particulier n'a plus sa place au sein de la commission parlementaire pour la liberté d'expression et d'information », déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l'est et Asie centrale de Reporters sans frontières.
« Les professionnels de l'information ne doivent pas être pris en otages dans le conflit entre la Russie et l'Ukraine. Ils doivent pouvoir faire leur travail de façon impartiale, en se gardant de toute propagande ou désinformation, et sans être contraints par l'une ou l'autre des parties au conflit de se rassembler sous le drapeau. »
Les images de l'incident montrent clairement Igor Mirochnitchenko, député de Svoboda et actuel vice-président de la commission parlementaire pour la liberté d'expression et d'information, frapper le directeur général de la NTKU. D'autres députés du même parti, Bogdan Beniouk et Andriy Illenko, faisaient également partie des agresseurs. Ils accusaient Oleksandr Panteleïmonov, qui était à la tête de la télévision publique sous le président déchu Viktor Ianoukovitch, d'être « à la solde de Moscou », et lui reprochaient particulièrement la diffusion par la chaîne Perchy Natsionalny d'images de la cérémonie officialisant le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie, le 18 mars à Moscou.
L'incident a suscité une vive émotion parmi les journalistes ukrainiens, qui ont multiplié les actions de protestation et les appels au Parquet général afin qu'il ouvre une enquête. Igor Mirochnitchenko s'est pour l'heure refusé à exprimer des regrets et a justifié l'attaque au nom de la « guerre avec la Russie ». Il s'est toutefois dit prêt à renoncer à son immunité parlementaire pour répondre de ses actes en justice. Le leader de Svoboda, Oleg Tiagnibok, et le gouvernement provisoire d'Arseni Iatseniouk ont tous deux condamné l'agression d'Oleksandr Panteleïmonov.
Impunité persistante en Crimée
La rapide évolution de la situation en Crimée n'a pour l'heure rien changé au climat d'intimidation et d'impunité dans lequel travaillent les journalistes dans la région. Pas moins de quatre-vingt neuf agressions et actes de censure y ont été recensés par l'Institute of Mass Information, partenaire de Reporters sans frontières, depuis le début de l'intervention russe fin février 2014. Au moins trois journalistes ont fui la Crimée pour Kiev ces derniers jours suite à des menaces répétées.
Dernier incident en date : le correspondant de Radio Free Europe / Radio Liberty Levko Stek a rapporté avoir été enlevé le 18 mars à Bakhtchisaraï par des inconnus, qui l'ont bâillonné et lui ont mis un sac sur la tête avant de l'emmener en voiture. Après quelque temps, le journaliste a fini par être déposé en plein champ. Avant de l'abandonner, ses assaillants lui ont intimé l'ordre de ne plus jamais revenir en Crimée. Le même jour à Simferopol, le journaliste de la chaîne tatare ATR Ibrayim Oumerov et son cameraman ont été menacés et retenus quelque temps par une douzaine d'hommes en armes.
On reste sans nouvelles de deux journalistes-citoyens du projet Babylon'13, Iaroslav Pilounski et Iouri Grouzinov, disparus à Simferopol le 16 mars. Les deux cameramen, qui travaillaient sur un film documentaire, cherchaient également à faire passer un colis à des militaires ukrainiens assiégés en Crimée.