Lors d'une mission en Côte d'Ivoire, Reporters sans frontières a rencontré le chef de l'Etat, le Premier ministre et le ministre de la Communication. L'organisation leur demande notamment de renforcer les capacités d'action de l'instance d'autorégulation ivoirienne et la mise en place d'un fonds d'aide à la presse.
Lors d'une mission en Côte d'Ivoire (Abidjan et Bouaké), du 7 au 11 avril, une délégation de Reporters sans frontières a rencontré le chef de l'Etat, Laurent Gbagbo, le Premier ministre, Seydou Diarra, le ministre de la Communication, Guillaume Soro, ainsi que des directeurs de journaux et des responsables d'organisations professionnelles. Les trois officiels ont affirmé leur souhait de voir apparaître dans le pays une presse plus professionnelle et respecteuse des règles d'éthique et de déontologie.
Le 15 avril, dans trois lettres adressées au chef de l'Etat, au Premier ministre et au ministre de la Communication, Reporters sans frontières a formulé des propositions allant dans ce sens.
Un renforcement de l'OLPED
L'organisation demande aux autorités, en premier lieu, de renforcer les capacités d'action de l'Observatoire pour la liberté de la presse, de l'éthique et de la déontologie (OLPED). Cette instance d'autorégulation doit notamment bénéficier d'une subvention publique permettant de couvrir ses frais de fonctionnement.
Par ailleurs, en 2002, l'OLPED a adressé des recommandations à la commission d'attibution de la carte de presse professionnelle pour demander le retrait, la suspension ou la non délivrance de celle-ci à plusieurs journalistes. Ces recommandations ont été largement suivies par la commission. Cependant, les autorités doivent mettre en place des mesures offrant des facilités et des avantages aux reporters détenteurs de cette carte (réductions sur les transports aériens et terrestres, allègements fiscaux, etc.). Ceci afin d'inciter tous les journalistes à respecter les normes de déontologie professionnelle et obtenir leur carte de presse.
Enfin, l'Etat devrait débloquer un fonds d'aide à la presse et conditionner son attribution au respect par les médias de la déontologie professionnelle. Pour cela, le gouvernement devrait associer l'OLPED à la mise en place de ce fonds et tenir compte des recommandations de l'observatoire. Ainsi, un média dénoncé à plusieurs reprises dans les communiqués de l'OLPED se verrait exclu de la liste des destinataires de ce fonds.
Un monitoring des médias publics et une étude de perception de la presse par la population
En plusieurs occasions, les médias d'Etat ont été accusés de tenir des propos haineux, contraires à l'esprit de service public. Le président Laurent Gbagbo a expliqué que les responsables des médias d'Etat fonctionnaient toujours avec une "logique de parti unique" et faisaient peu de cas du pluralisme de l'information. Le Premier ministre et le ministre de la Communication ont également fait part de graves lacunes et réaffirmé leur volonté d'un véritable changement éditorial. En revanche, tous les trois ont garanti qu'il n'y aurait pas de "chasse aux sorcières" au sein des médias d'Etat.
Avec la formation du gouvernement de réconciliation nationale et l'arrivée d'un nouveau ministre de la Communication, il apparaît indispensable de mettre en place un monitoring des médias d'Etat (presse écrite, radio et télévision). L'objectif est de s'assurer du respect du pluralisme de l'information et de l'accès de toutes les sensibilités politiques aux organes publics.
Par ailleurs, Reporters sans frontières estime nécessaire la réalisation d'une étude afin d'évaluer la perception des médias locaux et internationaux par les Ivoiriens. Cette étude permettrait de mieux appréhender les relations entre les médias et leurs lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs et répondre au plus près à leurs besoins.
Un prix du mérite journalistique
Plusieurs professionnels de la presse rencontrés par la délégation de Reporters sans frontières ont émis l'idée de créer un prix du journalisme spécifique à la Côte d'Ivoire. Ce prix serait décerné à un ou plusieurs journalistes qui, par leurs articles ou reportages, auraient montré un respect exemplaire de l'éthique et de la déontologie. Le Premier ministre a affirmé qu'il apporterait tout son soutien à cette initiative qui, une fois encore, devrait associer l'OLPED et d'autres organisations professionnelles (syndicats, associations de journalistes, etc.).
Le problème de la formation
D'autres ont soulevé le problème de la formation aux métiers du journalisme, quasiment inexistante dans le pays. La plupart des jeunes reporters sont détenteurs d'un diplôme en Communication et Action publicitaire et n'ont reçu aucune préparation spécifique au métier de journaliste. Un ancien responsable d'un média d'Etat a expliqué que ces jeunes diplômés n'étaient même pas formés à écrire des brèves.
Reporters sans frontières propose donc aux autorités d'effectuer une profonde réforme des programmes de ces formations, notamment en dispensant de véritables cours pratiques d'écriture journalistique, et en incluant obligatoirement dans ces cursus une approche des notions d'éthique et de déontologie professionnelles.
En revanche, tous les interlocuteurs rencontrés par Reporters sans frontières s'accordent à dire que les séminaires et ateliers de travail organisés par différentes organisations internationales en Côte d'Ivoire ne servent à rien. "Les journalistes y assistent uniquement pour toucher un per diem et ensuite ne changent rien à leur manière de traiter l'information", a confié un directeur de publication ivoirien.
Les engagements du président de la République Laurent Gbagbo
Après avoir averti qu'il disposait de "solutions pour tous les problèmes de la Côte d'Ivoire, sauf pour celui de la presse", le chef de l'Etat a annoncé, lors de son entretien avec la délégation de Reporters sans frontières, le dépôt d'un projet de loi supprimant toutes les peines de prison pour des délits de presse et la libéralisation totale de l'audiovisuel avant 2005. Reporters sans frontières se félicite de ces mesures et rappelle que la Côte d'Ivoire, en adoptant ce nouveau texte de loi, deviendrait le premier pays du continent africain à supprimer les peines d'emprisonnement pour les délits de presse.
Les engagements du Premier ministre Seydou Diarra
Le chef du gouvernement s'est montré déterminé à améliorer la presse ivoirienne. Selon lui, des changements au sein des médias publics seront nécessaires si ces organes n'oeuvrent pas au plus vite à la réconciliation nationale.
Par ailleurs, Seydou Diarra s'est dit prêt à soutenir toutes les propositions permettant d'aider la presse publique et privée à se développer, se renforcer et progresser. "Nous avons le même combat", a-t-il affirmé à Reporters sans frontières.
Les engagements du ministre de la Communication Guillaume Soro
Le nouveau ministre de la Communication a affirmé que sa mission était "d'appliquer les accords de Marcoussis". Il souhaite voir les médias ivoiriens œuvrer à la "réconciliation nationale" et faire preuve de plus de "professionnalisme" et de "pluralisme". Le ministre a exprimé son accord avec les mesures du chef de l'Etat sur la suppression des peines de prison pour les délits de presse et la libéralisation de l'audiovisuel.
Guillaume Soro s'est montré plutôt favorable à l'instauration d'un fonds d'aide à la presse, sans pour autant "cautionner une prime à la médiocrité". Enfin, le ministre a rappelé que son objectif était d'offrir un climat de "sérénité" aux journalistes et d'assurer leur sécurité.