Les autorités annoncent le blocage de Google et de Gmail en pleine promotion de l’Internet national

Les autorités iraniennes ont confirmé, le 23 septembre 2012, avoir rendu Google et Gmail inaccessibles, expliquant qu’elles avaient agi après avoir reçu un certain nombre de plaintes d’utilisateurs concernant la vidéo anti-islam “L’Innocence des Musulmans”. Abdolsamad Khoramabadi, responsable du comité en charge de déterminer les sites non autorisés, a dit répondre ainsi à la demande du peuple iranien. Des tests effectués par Reporters sans frontières en Iran montrent que si dans certains endroits le blocage est effectif, la situation varie en fonction des provinces et des fournisseurs d’accès à Internet. Le blocage annoncé n’affecte donc pas tous les internautes iraniens. En revanche, un certain nombre de VPN (réseaux virtuels privés), utilisés notamment pour contourner la censure, ne fonctionneraient plus. YouTube est déjà bloqué depuis juin 2009 en Iran, à l’initiative des autorités. Le régime tentait alors d’empêcher la circulation d’images et de vidéos de la répression des manifestations contestant l’élection de Mahmoud Ahmadinejad. YouTube avait précédemment été la cible de blocages ciblés et de filtrage massif des vidéos déplaisant aux censeurs iraniens. Le blocage de Gmail intervient à un moment opportun, à l’occasion du lancement de l’“Internet national” en Iran, ainsi que d’une plateforme nationale d’e-mails directement contrôlée par le régime, et qui nécessite une authentification poussée des utilisateurs. Ce blocage apparaît ainsi comme une incitation faite aux internautes iraniens afin qu’ils s’inscrivent sur la plateforme nationale. L’internet national iranien a été mis en service le 22 septembre dernier. Sur tout le territoire, les agences administratives et les bureaux gouvernementaux iraniens sont désormais connectés au réseau national. -------------- 21.09.2012 - Lancement imminent de l’Internet national Ces derniers jours, plusieurs officiels iraniens ont annoncé le lancement, en date du 22 septembre 2012, de l’Internet national iranien, aussi connu sous le nom de “Web propre” ou “Internet halal”. Souvent annoncé, l’Internet national avait toujours été repoussé à une date ultérieure. Cette fois-ci, une véritable structure opérationnelle devrait officiellement être inaugurée. Cet Internet national concernerait d’abord les institutions publiques, avant d'être imposé à l'ensemble de la population dans un second temps. Depuis 2002, le pouvoir fait travailler ses techniciens sur un 'Internet propre'. Récemment, le gouvernement d’Ahmadinejad, avec le soutien de l’Ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de la République islamique,a accéléré sa mise en place, suite notamment à diverses vagues de cyberattaques visant ses installations nucléaires. Reporters sans frontières s’inquiète du lancement de ce réseau national, qui, au-delà des prétextes sécuritaires avancés, vise à renforcer le contrôle, par les autorités iraniennes, de l’information en ligne et la surveillance des net-citoyens, en particulier les opposants et défenseurs des droits de l’homme. Un Internet national validé par les censeurs iraniens ne pourra être qu’un Intranet ultra-censuré, aseptisé, et sous surveillance renforcée, puisque l’anonymat y sera proscrit. Une version du Web autorisée par le régime, purgée de toute critique politique, sociale ou religieuse, un outil à la gloire du régime et de ses dirigeants, qui ne laisse aucun espace aux voix dissidentes. Si pour le moment les autorités temporisent en expliquant que le réseau national et le réseau international vont cohabiter, l’organisation craint que la population ne soit à moyen ou long terme, de fait, cantonnée à l’Internet national tandis que le gouvernement et les institutions bancaires et financières conserveraient la capacité de se connecter au réseau international. L’Iran a besoin, pour ses transactions économiques et financières, de rester connectée avec l’Internet mondial. Ce modèle offrirait la possibilité, en cas de crise, de couper l’accès de la Toile à la population, sans que cette coupure n’affecte les décideurs politiques et acteurs économiques. Pour ce faire, les autorités non seulement augmenteraient le coût d’accès au réseau international, mais elles baisseraient davantage encore la vitesse de connexion, afin de convaincre les Iraniens d’utiliser le réseau national, rendu plus rapide et moins cher. Déclarations officielles : annonces et rectifications Le 3 septembre 2012, le ministre des Télécommunications, Reza Taghi Poor, a déclaré que “la première phase du réseau national d’information, qui consiste à séparer le réseau interne du réseau mondial, a été achevée dans 28 provinces du pays. Il nous reste deux autres provinces pour terminer cette phase, mais à partir du 22 septembre (la fin du mois de Shahrivar en Iran), dans le totalité du pays, les deux réseaux Internet, le réseau mondial et le réseau national d’information, seront accessibles”. Afin de ne pas provoquer le mécontentement des internautes, les autorités sembleraient consentir à ne pas couper de manière unilatérale l’accès au réseau international à ce stade du projet. En rebaptisant l’“Internet national”, devenu “réseau national d’information”, le ministre semble tenter de rassurer les internautes. Il a précisé que “ce réseau, au début, aura une vitesse de 8Mb/s puis atteindra la vitesse de 20MB/s”. En revanche, la question de la vitesse de la bande passante pour le réseau international n’a pas été évoquée. Le ministre a ensuite tempéré ses propos le 18 septembre dernier, précisant que 'la connexion des 42 000 départements de la fonction publique au réseau international va être coupée mais, dans cette phase du réseau national d’information, il n’y aura pas d’offre de bande passante pour la population”. Seules les institutions publiques entrent donc ainsi dans l’Internet national à ce jour. Une première phase de l’Internet national déjà lancée La première phase de lancement de l’Internet national avait déjà commencé, dès l’année dernière, par le transfert des serveurs des sites officiels iraniens de l’étranger vers l’Iran. Par exemple, le site du Parlement iranien était hébergé jusqu’en 2011 sur des serveurs basés aux Etats-Unis. Selon des médias iraniens, cette phase n’est pas achevée, plusieurs sites sensibles du régime étant toujours hébergés hors d’Iran. Ainsi, le site de Fars news, l’agence de presse proche des Gardiens de la Révolution, est hébergée en Turquie. Une plateforme nationale d’e-mails est également désormais fonctionnelle. Début septembre 2012, le ministère de l’Information et des Technologies (ITC) a envoyé un texto aux détenteurs de téléphones portables pour annoncer le lancement du système d’e-mail national iranien (http://mail.iran.ir/register/?module=new) et invité les internautes à l’utiliser. Pour créer un compte, l’internaute doit obligatoirement renseigner son prénom et son nom de famille, ainsi que l’adresse, le numéro téléphone et le numéro de sa carte nationale d’identité. Le compte sera actif 24 heures après sa création, le temps nécessaire pour contrôler l’identité du demandeur. Les autorités tentent ainsi d’éradiquer en amont l’anonymat en ligne. Justifications sécuritaires et motivations politiques Les autorités justifient la création de l’Internet national par le ‘danger d’utilisation des réseaux étrangers’, dont le contrôle leur échappe, notamment pour le stockage des données, et par la nécessité de se protéger contre les cyberattaques, en particulier celles qui visent son programme nucléaire. L’Iran accuse les Etats-Unis et Israël d’en être responsables. S’isoler du réseau international pourrait aussi permettre aux autorités de neutraliser les outils de contournement de la censure développés à l’étranger, et d’utiliser un système de filtrage adapté aux besoins de censure. Les autorités estiment “inutiles” les “allers-retours” vers le réseau international. Deux mois plus tôt, le ministre avait commenté que “pour utiliser Internet en Iran, dans 95% des cas, on n’a pas besoin d’une connexion au réseau mondial. Pourquoi doit-on, pour une connexion dans un centre commercial, dans la rue d’à côté, tout d’abord quitter le réseau du pays pour y revenir ensuite ?”. Le lancement de l’Internet national répond également à des considérations politiques et religieuses. Internet et les réseaux sociaux sont régulièrement accusés par le régime de Téhéran d’être à la solde des pays occidentaux, qui les utilisent pour diffuser leurs valeurs et accroître leur influence dans le monde. Couper l’Iran au moins partiellement du Web montre la volonté des autorités de reprendre le contrôle des ‘valeurs’ qui circulent sur le Web. L’Iran fait partie de la liste des pays “Ennemis d’Internet”, dressée chaque année par Reporters sans frontières. À ce jour, 24 journalistes et 18 net-citoyens sont en prison dans le pays. L’Internet national vu par les Iraniens Une journaliste iranienne a confié à Reporters sans frontières qu’il s’agit d’“une ruse du régime. Ils mettent en place d’un côté, l’Internet national, avec une bonne vitesse de connexion, pour consulter seulement les sites autorisés. De l’autre, une connexion faible et filtrée au réseau international. Je ne vois pas pourquoi les internautes iraniens devraient accepter ça. Actuellement, le régime a besoin d’argent et je ne pense pas qu’ils sont prêts à perdre des internautes et leurs cotisations”. Un autre blogueur a confirmé que “le régime est sous pression et ne peut pas couper complètement l’accès à Internet. En revanche, il joue sur deux tableaux : la vitesse et l’augmentation du prix d’Internet. Ceux qui veulent avoir accès au réseau international vont devoir payer plus cher. C’est une manière discriminatoire ‘douce’ pour priver les internautes de leurs droits, sans provoquer les instances internationales”.
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Updated on 20.01.2016