Les anciens présidents, un tabou pour les médias en Tanzanie

Reporters sans frontières (RSF) condamne la suspension pour deux ans du journal privé Mawio après la publication d’un article dénonçant de supposés conflits d'intérêts entre deux anciens présidents tanzanien et le secteur minier. RSF s’inquiète des pressions qui s’exercent contre les journalistes qui couvrent de trop près les activités des entreprises minières en Tanzanie.

Le 16 juin 2017, l’hebdomadaire privé Mawio a été suspendu pour une période de 24 mois par les autorités tanzaniennes. Depuis, son rédacteur en chef Simon Mkina ne cesse de recevoir des menaces de mort anonymes par téléphone.


Le ministre de l’Information Dr Harrisson Mwakyembe, qui a demandé cette suspension, reproche au journal d’avoir publié un article mettant en cause deux anciens présidents de la République, Benjamin Mkapa et Jakaya Kikwete, dans le cadre d’une affaire de fraude fiscale à grande échelle dans le secteur minier. Selon Mawio, ces derniers auraient signé des contrats controversés avec des entreprises d’exploitation minière, qui auraient fait perdre des sommes importantes à l’Etat depuis les années 1990.


“Cette suspension est tout à fait excessive, déplore Clea Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de RSF. Cette mesure liberticide contredit les engagements présidentiels pour une gouvernance démocratique en Tanzanie, et envoie un message d’intimidation à tous les médias du pays.”


Cette publication controversée intervient quelques jours après la publication des résultats d’une commission d’enquête officielle, mandatée par l’actuel président Magufuli, qui a mis à jour d’importantes fraudes dans le secteur minier, ayant occasionné 75 milliards d’euros de pertes fiscales depuis 1988. Ni Benjamin Mkapa, ni Jakaya Kikwete, n’étaient en revanche cités dans les conclusions. L’actuel président avait d’ailleurs mis en garde les médias lors d’une intervention au Palais Présidentiel le mercredi 14 juin, demandant aux journalistes d’arrêter de “ternir la réputation” des deux anciens présidents, au risque de subir de sévères représailles.


Selon le rédacteur en chef de Mawio, Simon Mkina, le journal était déjà publié au moment où le président a fait cette intervention.


Pour rappel, l’ancien Ministre de l’information, Nape Nnauye, avait été limogé sans ménagement en mars 2017 après avoir demandé l’ouverture d’une enquête suite à la violente irruption d’un officiel dans une radio.


Le 25 avril dernier, l’organisation Canadian Journalists for Free Expression avait dénoncé le harcèlement dont sont victimes - parfois avec l’aide de la police tanzanienne - les médias qui couvrent les activités minières d’Acacia Mining, entreprise située au nord-ouest du pays et appartenant à Barrick Gold. Le CJFE évoque notamment le cas de journalistes qui ont reçu l’ordre de ne plus parler dans leurs articles de l’entreprise Acacia Mining, afin de ne pas être accusés d’agir “contre les intérêts de la nation”.


La Tanzanie occupe la 71ème place sur 180 pays dans l’édition 2016 du Classement de la liberté de la presse établi par RSF.

Publié le
Updated on 21.06.2017