Les acteurs de l’information en étau entre l’armée régulière et les groupes d’opposition
Organisation :
Alors que l'hypothèse d'une intervention militaire occidentale en Syrie semble se confirmer, Reporters sans frontières établit que 100 journalistes et citoyens-journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions dans le pays depuis mars 2011. Parmi eux, 25 journalistes (dont six étrangers) et près de 70 citoyens-journalistes, tous syriens. A ce jour, 14 journalistes étrangers et plus de 60 journalistes et citoyens-journalistes syriens sont détenus, arrêtés ou disparus, après avoir été arrêtés ou kidnappés. Reporters sans frontières rappelle aux parties impliquées dans le conflit que les professionnels de l’information sont protégés par les conventions internationales comme tous les civils, et ne doivent pas être pris pour cibles ni privés de liberté, alors qu’ils témoignent sur la réalité d’un conflit qui a fait plus de 100.000 morts.
Alors que le régime syrien poursuit sa politique de répression implacable contre ces témoins gênants, la Syrie est aujourd’hui le pays le plus dangereux pour les acteurs de l’information. Ces derniers sont pris en étau entre l’armée régulière et les groupes d’opposition, ces derniers commettant de plus en plus d’exactions contre les journalistes syriens et étrangers. La multiplication des arrestations et enlèvements par des groupes armés d’opposition, tels les groupes jihadistes Dawla islamiya (aussi appelé lslamic State of Iraq and Sham, ISIS) et Jabhat Al-Nosra, est l’un des éléments de la spirale de violence. Au cours des derniers mois, la plupart des exactions recensées par Reporters sans frontières sont le fait d’ISIS, qui entend imposer sa loi sur les territoires qu’il contrôle. Nombreuses ont été les arrestations, notamment de journalistes, par les “Hayah Al Shareia“ (ou “Comités judiciaires”), mis en place pour rendre la justice.
Arrestations par les tribunaux islamiques Autre tendance inquiétante: la multiplication des arrestations par les “Hayah Al Shareia“ (ou “Comités judiciaires”), en charge de rendre la justice, mis en place par des groupes armés d’opposition dans les zones qu’ils contrôlent. Suite à la prise de l’est d’Alep, la Cour de l'unité d'Alep a été créée en septembre 2012 par les différentes liwa (bataillons), dans un effort de construction de l'administration civile avec pour but de sanctionner les exactions commises par les combattants de l'Armée syrienne libre. Cette cour devait étendre son autorité sur la province d'Alep et coordonner pour chaque ville la mise en place de cours de justice locales. Le manque de ressources pour soutenir cet effort de construction de l'appareil judiciaire a précarisé son fonctionnement quotidien, laissant se développer d'autres initiatives, avec la création en novembre 2012 de “Hayah Al-Shareia“, par Al-Tawheed, Ahrar Al-Sham, Suqqur Al-Sham et Jabhat Al-Nosra. A Alep, les deux systèmes de tribunaux sont par la suite entrés en concurrence, sur fond de compétition, entre la municipalité d’Alep et la “Hayah Al-Shareia“, pour le contrôle de la gestion de la ville. Des négociations pour une réunification des deux tribunaux d'Alep sont actuellement en cours, mais la Cour de l'unité, faute de financement, a perdu de son poids, tandis que la “Hayah Al-Shareia“ refuse de coopérer avec les institutions civiles d'Alep. Si la “Hayah Al Shareia” d’Alep essaie de coordonner les actions de ses homologues des zones libérées afin d’unifier les pratiques et décisions prises, certaines échappent cependant à cette initiative de centralisation.A noter qu’à Alep, la “Hayah Al Shareia” a perdu depuis de son poids et de son influence depuis le retrait de Jabhat Al-Norsra (mars 2013). Et ISIS semble vouloir contrôler des “Hayah Al Shareia” dans les autres zones libérées dont il s’empare. De manière générale, ces différents tribunaux (cour de l’unité, “Hayah Al-Shareia“ répondant de la volonté de centralisation, et les “Hayah Al-Shareia“ autonomes) appliquent des lois différentes, en fonction du juge et donc de l’orientation politique du groupe qui contrôle le territoire. Ces cours s'inspirent directement des textes religieux ou du code pénal arabe unifié (écrit en 1996 au Caire par la ligue arabe). L’absence d’unification de la loi utilisée et de coordination entre ces comités sont sources d’arbitraire, notamment pour les peines prononcées et les droits de la personne arrêtée. Ainsi, le 10 juillet, le photographe Zaid Mohamed a été arrêté par la “Hayah Al Shareia“ d’Alep pour avoir demandé en public l’établissement d’un Etat démocratique et séculaire. Il collabore aux activités de la page Facebook Lens Young Halabi. Il a été libéré le lendemain dans l’après-midi. Un tribunal du rif occidental du district de Azza à Alep (ouest de la ville) a ordonné l’arrestation, le 1er juillet, de l’activiste des média, Abdullah Maraai, après une plainte déposée par le chef de la brigade de Batbo “Abu Baker”. Ce recours faisait suite à un article publié dans l’hebdomadaire local Zi Qar (publié à Attarb), intitulé “Colombe des batailles et fauve sur les pauvres”, critiquant la manière dont ce commandant fait régner l’ordre. On peut également citer l’exemple de Maan Mohamed, qui travaille comme attaché de presse pour le conseil local de Masakin Hanano à Alep, arrêté par la “Hayah Al Shareia“ de Hanano à Alep le 17 mai dernier, pour avoir mis en avant lors d’une manifestation le drapeau de la révolution portant inscription du Tawhid (croyance en l'Unicité de Dieu), au lieu du drapeau noir. Shamil Al-Ahmed, qui travaille au Centre des médias d’Alep, et l’activiste de médias Milad Al-Shabahi, ont également été convoqués. Interrogés, ils ont été frappés, menacés, et leurs appareils photos confisqués, avant d’être relâchés.
Poursuite des arrestations Reporters sans frontières est toujours sans nouvelles d’Abdurahman Rya, ingénieur vidéo, arrêté le 7 juin 2013 par les forces de sécurité à son bureau situé rue de Bagdad à Damas. Père de quatre enfants, âgé de 47 ans, il est un des fondateurs de la chaîne Orient TV. On ignore les charges qui pèsent contre lui. Le 18 juillet, le peintre et caricaturiste Youssef Abdelke a été arrêté avec deux amis à un check-point à l’extérieur de Tartous. Il a été libéré le 22 août, sur décision d’un juge. Il était un des signataires en 2011 des “Principes de la révolution”, qui appelait au départ du président Bashar Al-Assad et de certains de ses ministres, et à l’instauration d’un gouvernement transitoire, sous la houlette des Nations unies. Dans la nuit du 20 au 21 juillet 2013, le journaliste libanais Radwan Murtada, travaillant pour le quotidien Al-Akhbar, a été arrêté à son hôtel à Damas par quatre représentants des forces de l’ordre. Contacté par Reporters sans frontières, il raconte qu’il a été conduit dans les locaux de la sécurité à Kafr Sousseh, où il a été interrogé à cinq reprises le 21, avant d’être relâché le 22 juillet. Le 10 juillet 2013, Shaza Al-Maddad, journaliste pour Al-Khabar et Baladna, arrêtée le 2 novembre 2012, a été libérée contre le versement d’une caution. Elle est toujours dans l’attente de son procès devant le tribunal en charge d’examiner les dossiers de terrorisme. Une semaine plus tôt, le 7 juillet 2013, c’était au tour du journaliste et blogueur Kamal Sheikhou d’être arrêté par les forces de sécurité à Damas. Il a été libéré le 23 juillet dernier. D’après le Syrian Center for Media (SCM), il avait déjà été arrêté le 26 juin 2010 à la frontière libano-syrienne, alors qu’il essayait de quitter la Syrie. Il avait alors été accusé de ‘publication d’informations mensongères susceptibles de porter atteinte au moral de la nation”. L'écrivain et scénariste Fouad Hamira, arrêté le 28 juin dernier alors qu'il tentait de renouveler son passeport à la Direction de l'immigration et des passeports à Lattaquié, a été libéré le 9 juillet. Quatre jours après son arrestation, il avait été transféré à Damas pour poursuite de son interrogatoire, autour notamment de ses activités politiques au sein du « Mouvement pour une Société pluraliste », dont il dirige le bureau politique. Membre de l’Union des écrivains arabes et scénariste de la série télévisée “Walida Min Khassira”, diffusée notamment sur la chaîne de télévision libanaise LBC, Samir Radouane a été arrêté le 17 juin 2013 à la frontière libano-syrienne, alors qu’il rentrait du Liban afin de tourner la troisième partie de la série, intitulée Minbar Al-Mouta. Il a été relâché le 27 juin. Si la raison officielle de cette arrestation reste vague, d’aucuns évoquent un lien entre cette arrestation et la troisième saison de Walida Min Hassira, qui critique de manière détournée les pratiques de corruption politique, sociale et morale de la société syrienne. Samir Radouane est un ancien présentateur à la télévision nationale syrienne et sur la chaîne Al-Dounia. Quant à Waed Al-Mhanna, du journal Al-Thawra, il a été arrêté le 26 mai 2013 par la police syrienne avant d’être relâché le 6 juin dernier. Son arrestation ferait suite à la publication d’articles sur la corruption dans les milieux de l’archéologie.
Procès à répétition Le procès de Mazen Darwish, directeur du Syrian Centre for Media and Freedom of Expression (SCM), et de ses collaborateurs, Hussein Gharir et Hani Zaitani, a repris le 21 août. Arrêtés le 6 février 2012, ils sont poursuivis pour “publicité d’actes terroristes”, en application de l’article 8 de la loi anti-terroriste, promulguée par le président Bashar Al-Assad en 2012, en raison de leur engagement pacifique en faveur de la liberté d’expression. Ils encourent une peine allant jusqu’à 15 ans de prison, assortie de travaux forcés. Sont également visés Mansour Omari et Abdel Rahman Hamada, libérés le 6 février 2013. Le 19 mai dernier, le juge avait repoussé l’audience au 26 juin, avant de la reporter une nouvelle fois au 21 août, puis au 2 octobre. Au cours de cette audience, le juge devrait décider du maintien ou de la levée des accusations portées contre eux par les forces syriennes du Renseignement aérien. Les accusations qui pèsent contre les trois hommes constituent incontestablement une violation de la liberté d’information. En effet, l’acte d’accusation stipule que Mazen Darwish est poursuivi en sa qualité de responsable du SCM. Quant à ses collaborateurs, ils le sont en raison de leurs activités au sein du Centre. Parmi les activités incriminées figurent le suivi des informations publiées en ligne par l’opposition syrienne, la publication de rapports sur la situation des droits de l’homme et des médias en Syrie, la documentation du nombre et de l’identité des personnes détenues, disparues, recherchées ou tuées depuis le début du conflit syrien. L’acte d’accusation dispose que ces activités ont été qualifiées, par le juge d’instruction chargé de l’enquête, comme constitutives d’une tentative de “déstabilisation de la situation intérieure, ayant amené les organisations internationales à condamner la Syrie”. Reporters sans frontières rappelle que Mazen Darwish avait reçu, en 2012, le Prix RSF pour la liberté de la presse. Le 12 juin 2013, Bilal Ahmed Bilal, journaliste et directeur de la chaîne Palestine Today (Falesteen Al-Youm TV), détenu depuis le 13 septembre 2011, a été condamné à 15 ans de prison par une cour militaire, pour avoir couvert les événements de Mo’damieh Sham (ouest de Damas) en 2011.
Les forces d’opposition multiplient les exactions
Les 20 août 2013, Hadi Baghbani, documentariste iranien qui travaillait pour la radio-télévision iranienne et pour des médias proches des Gardiens de la révolution (comme l'agence de presse Tasnim), a été tué le 20 août près de Damas alors qu’il était “embedded” avec l’armée syrienne régulière. Ismail Heydari, tué le 21 août, qualifié de “documentariste” par l’agence iranienne officielle ISNA, était lui un Commandant des Gardiens de la Révolution. L’activiste Mohamed Nour Matar, frère du journaliste Amer Matar, a disparu à Raqqa le 13 août dernier. Il était parti couvrir les affrontements entre ISIS et le bataillon “Ahfad Al-Rasoul” (Descendants du propète) à Raqqa pour le contrôle de la ville. On est sans nouvelles de lui depuis. Aucune trace de son corps n’a pu être décelée dans les hôpitaux. Un secouriste aurait retrouvé, le 13 août, le boîtier de son appareil photo, calciné, sur les lieux de l’attentat-suicide perpétré par ISIS contre “Ahfad Al-Rasoul”. En juillet déjà, Mohamed Nour Matar avait été arrêté alors qu’il se dirigeait, avec sa caméra, vers un un sit-in organisé devant de siège du gouvernorat de Raqqa (Nord-Est), afin de demander la libération des personnes arrêtées arbitrairement par ISIS. Il avait été libéré deux jours plus tard, le 11 juillet. Reporters sans frontières est également sans nouvelle de Sami Jamal, reporter freelance pour Radio Rozana, depuis son enlèvement, le 14 août dernier à Al-Atarib (est d’Alep), par ISIS. On est toujours sans nouvelles d’Aboud Haddad, déserteur devenu photographe en décembre 2011, arrêté le 26 juin 2013 par ISIS dans la région du rif Idlib alors qu’il regagnait la Turquie. On ignore encore les raisons de son enlèvement. Le 21 juillet, Zakaria Haj Jamo, correspondant pour le site Yekiti Media, a quant à lui été enlevé à quelques kilomètres de Tel Abiyad alors qu’il couvrait les affrontements entre combattants kurdes et Jabhat Al-Nosra pour le contrôle de la zone. D’après un journaliste de Yekiti Media interrogé par la radio Rozana, Jabhat Al-Nosra serait responsable de cet enlèvement ainsi que de celui d’autres civils ce jour-là. On est également sans nouvelles du journaliste depuis. Le citoyen-journaliste, Mohaimen Al-Halabi, collaborateur du Syrian Center for Media a été arrêté le 4 août dernier à Deir Hafer (rif Alep) par Abu Jaber, Emir de Ahrar Al-Sham à Raqqa, à l’occasion de l’incorporation de la Liwa “Riyat Al-Nasr” dans Ahrar Al-Sham, parce qu’il tenait une pancarte mentionnant “l’aéroport n’est pas là, mais à 7 km”, en signe de critique à Ahrar Al-Sham. Ali Abu Al-Majed, correspondant de la chaîne Akhbar Al-An, a été arrêté le 27 juillet 2013 par la katiba Khadhifa Bin Al-Iman à Raqqa, avec un étudiant en génie civile. Il a déclaré avoir été violemment frappé ce pendant trois heures avant d’être relâché le lendemain. Lire son témoignage. Le 19 juillet, Jabhat Al-Nosra a interpellé pendant quelques heures le correspondant du site Welati.net à Tel Abiyad, Ahmed Omar. Il aurait été frappé et insulté avant d’être relâché. D’après le site www.welati.info, les forces de sécurité du PYD, la branche syrienne du parti kurde PKK (Assayesh) ont arrêté, le 8 juillet 2013, Abdelrahim Takhoubi, activiste de l’information collaborant avec les LCC de Amuda, avant de le relâcher le 30 juillet. Cette arrestation fait suite aux événements dans cette ville située à l’ouest de Qamishli, proche de la frontière turque, au cours desquels le PYD a violemment réprimé des manifestations pacifiques. Plusieurs manifestants avaient alors trouvé la mort, d’autres avaient été blessés, ou encore arrêtés. Le 9 juin dernier, Jabhat Al-Nosra a arrêté deux activistes de l’information, Mosaab Al-Hamadi et Yalmaz Ibrahim Basha à Tel Abiyad (province de Raqqa) alors qu’ils couvraient les affrontements devant le siège de la 17e division de l’armée régulière entre l’armée régulière et l’armée syrienne libre. Le 11 juin 2013, Mustapha Al-Ahmady, freelance syrien, surnommé "Abou Jaafar Al-Halabi", a été arrêté à Jarabulus (ville frontière au nord de Manbij) par Jabhat Al-Nosra. D’après les informations recueillies, il a été torturé en public avant d’être placé en détention. Il a été relâché le 16 juin 2013. Depuis le début des affrontements en Syrie en mars 2011, ce citoyen-journaliste a fait de nombreux reportages et directs pour les médias arabes sur la situation à Jarabulus. Le 8 mai, les locaux de l’agence de presse Free Syrian News à Raqqa ont été attaqués par ISIS et dix collaborateurs et trois invités arrêtés. Les trois invités ont été libérés au bout de 10 jours, mais les autres membres de l’équipe ont été gardés pendant 25 jours. Ils déclarent avoir été victimes de mauvais traitements et d’actes de torture. Parmi eux : le directeur Dr Jassem Awad, Jameel Salou, rédacteur en chef et fondateur de l’agence, Mo’taz Al-Issa, éditeur à Raqqa, Mohamed Sobhi, directeur des relations publiques et Yalmaz Ibrahim Pasha, correspondant à Ras El-Ein.Arrestations par les tribunaux islamiques Autre tendance inquiétante: la multiplication des arrestations par les “Hayah Al Shareia“ (ou “Comités judiciaires”), en charge de rendre la justice, mis en place par des groupes armés d’opposition dans les zones qu’ils contrôlent. Suite à la prise de l’est d’Alep, la Cour de l'unité d'Alep a été créée en septembre 2012 par les différentes liwa (bataillons), dans un effort de construction de l'administration civile avec pour but de sanctionner les exactions commises par les combattants de l'Armée syrienne libre. Cette cour devait étendre son autorité sur la province d'Alep et coordonner pour chaque ville la mise en place de cours de justice locales. Le manque de ressources pour soutenir cet effort de construction de l'appareil judiciaire a précarisé son fonctionnement quotidien, laissant se développer d'autres initiatives, avec la création en novembre 2012 de “Hayah Al-Shareia“, par Al-Tawheed, Ahrar Al-Sham, Suqqur Al-Sham et Jabhat Al-Nosra. A Alep, les deux systèmes de tribunaux sont par la suite entrés en concurrence, sur fond de compétition, entre la municipalité d’Alep et la “Hayah Al-Shareia“, pour le contrôle de la gestion de la ville. Des négociations pour une réunification des deux tribunaux d'Alep sont actuellement en cours, mais la Cour de l'unité, faute de financement, a perdu de son poids, tandis que la “Hayah Al-Shareia“ refuse de coopérer avec les institutions civiles d'Alep. Si la “Hayah Al Shareia” d’Alep essaie de coordonner les actions de ses homologues des zones libérées afin d’unifier les pratiques et décisions prises, certaines échappent cependant à cette initiative de centralisation.A noter qu’à Alep, la “Hayah Al Shareia” a perdu depuis de son poids et de son influence depuis le retrait de Jabhat Al-Norsra (mars 2013). Et ISIS semble vouloir contrôler des “Hayah Al Shareia” dans les autres zones libérées dont il s’empare. De manière générale, ces différents tribunaux (cour de l’unité, “Hayah Al-Shareia“ répondant de la volonté de centralisation, et les “Hayah Al-Shareia“ autonomes) appliquent des lois différentes, en fonction du juge et donc de l’orientation politique du groupe qui contrôle le territoire. Ces cours s'inspirent directement des textes religieux ou du code pénal arabe unifié (écrit en 1996 au Caire par la ligue arabe). L’absence d’unification de la loi utilisée et de coordination entre ces comités sont sources d’arbitraire, notamment pour les peines prononcées et les droits de la personne arrêtée. Ainsi, le 10 juillet, le photographe Zaid Mohamed a été arrêté par la “Hayah Al Shareia“ d’Alep pour avoir demandé en public l’établissement d’un Etat démocratique et séculaire. Il collabore aux activités de la page Facebook Lens Young Halabi. Il a été libéré le lendemain dans l’après-midi. Un tribunal du rif occidental du district de Azza à Alep (ouest de la ville) a ordonné l’arrestation, le 1er juillet, de l’activiste des média, Abdullah Maraai, après une plainte déposée par le chef de la brigade de Batbo “Abu Baker”. Ce recours faisait suite à un article publié dans l’hebdomadaire local Zi Qar (publié à Attarb), intitulé “Colombe des batailles et fauve sur les pauvres”, critiquant la manière dont ce commandant fait régner l’ordre. On peut également citer l’exemple de Maan Mohamed, qui travaille comme attaché de presse pour le conseil local de Masakin Hanano à Alep, arrêté par la “Hayah Al Shareia“ de Hanano à Alep le 17 mai dernier, pour avoir mis en avant lors d’une manifestation le drapeau de la révolution portant inscription du Tawhid (croyance en l'Unicité de Dieu), au lieu du drapeau noir. Shamil Al-Ahmed, qui travaille au Centre des médias d’Alep, et l’activiste de médias Milad Al-Shabahi, ont également été convoqués. Interrogés, ils ont été frappés, menacés, et leurs appareils photos confisqués, avant d’être relâchés.
Les autorités de Damas poursuivent leur politique de répression
Acteurs de l’information tués Au cours des trois derniers mois, de nombreux citoyens-journalistes et activistes de l’information ont été tués dans l’exercice de la collecte d’information par l’armée régulière syrienne. Le 16 août dernier, Shahir Muaddamani, responsable du bureau des médias du Conseil local de Daraya, a été mortellement blessé par des éclats d’obus alors qu’il se rendait couvrir les affrontements sur le front d’Al-Alali (sur la route de Sahnaiya, banlieue de Damas) . Le 28 juillet 2013, le correspondant de la chaîne Orient TV, Pêsheng Alo, a été blessé par un tir de sniper alors qu’il couvrait les incidents dans le quartier d’Ashrafieh à Alep. Le lendemain, c’était au tour du correspondant d’Orient TV dans la banlieue de Damas, Hadi Al-Menjed, d’être blessé à la jambe et à la main dans un raid de l’armée régulière, alors qu’il couvrait les opérations de l’Armée libre à Ghazlanieh (rif Damas). Déjà le 23 juillet dernier, le correspondant de la chaîne à Jisr Al-Shoughour (Idlib), Ammar Dendech, avait été blessé par un fragment d’un baril d’explosif lancé par l’armée régulière depuis un hélicoptère.Poursuite des arrestations Reporters sans frontières est toujours sans nouvelles d’Abdurahman Rya, ingénieur vidéo, arrêté le 7 juin 2013 par les forces de sécurité à son bureau situé rue de Bagdad à Damas. Père de quatre enfants, âgé de 47 ans, il est un des fondateurs de la chaîne Orient TV. On ignore les charges qui pèsent contre lui. Le 18 juillet, le peintre et caricaturiste Youssef Abdelke a été arrêté avec deux amis à un check-point à l’extérieur de Tartous. Il a été libéré le 22 août, sur décision d’un juge. Il était un des signataires en 2011 des “Principes de la révolution”, qui appelait au départ du président Bashar Al-Assad et de certains de ses ministres, et à l’instauration d’un gouvernement transitoire, sous la houlette des Nations unies. Dans la nuit du 20 au 21 juillet 2013, le journaliste libanais Radwan Murtada, travaillant pour le quotidien Al-Akhbar, a été arrêté à son hôtel à Damas par quatre représentants des forces de l’ordre. Contacté par Reporters sans frontières, il raconte qu’il a été conduit dans les locaux de la sécurité à Kafr Sousseh, où il a été interrogé à cinq reprises le 21, avant d’être relâché le 22 juillet. Le 10 juillet 2013, Shaza Al-Maddad, journaliste pour Al-Khabar et Baladna, arrêtée le 2 novembre 2012, a été libérée contre le versement d’une caution. Elle est toujours dans l’attente de son procès devant le tribunal en charge d’examiner les dossiers de terrorisme. Une semaine plus tôt, le 7 juillet 2013, c’était au tour du journaliste et blogueur Kamal Sheikhou d’être arrêté par les forces de sécurité à Damas. Il a été libéré le 23 juillet dernier. D’après le Syrian Center for Media (SCM), il avait déjà été arrêté le 26 juin 2010 à la frontière libano-syrienne, alors qu’il essayait de quitter la Syrie. Il avait alors été accusé de ‘publication d’informations mensongères susceptibles de porter atteinte au moral de la nation”. L'écrivain et scénariste Fouad Hamira, arrêté le 28 juin dernier alors qu'il tentait de renouveler son passeport à la Direction de l'immigration et des passeports à Lattaquié, a été libéré le 9 juillet. Quatre jours après son arrestation, il avait été transféré à Damas pour poursuite de son interrogatoire, autour notamment de ses activités politiques au sein du « Mouvement pour une Société pluraliste », dont il dirige le bureau politique. Membre de l’Union des écrivains arabes et scénariste de la série télévisée “Walida Min Khassira”, diffusée notamment sur la chaîne de télévision libanaise LBC, Samir Radouane a été arrêté le 17 juin 2013 à la frontière libano-syrienne, alors qu’il rentrait du Liban afin de tourner la troisième partie de la série, intitulée Minbar Al-Mouta. Il a été relâché le 27 juin. Si la raison officielle de cette arrestation reste vague, d’aucuns évoquent un lien entre cette arrestation et la troisième saison de Walida Min Hassira, qui critique de manière détournée les pratiques de corruption politique, sociale et morale de la société syrienne. Samir Radouane est un ancien présentateur à la télévision nationale syrienne et sur la chaîne Al-Dounia. Quant à Waed Al-Mhanna, du journal Al-Thawra, il a été arrêté le 26 mai 2013 par la police syrienne avant d’être relâché le 6 juin dernier. Son arrestation ferait suite à la publication d’articles sur la corruption dans les milieux de l’archéologie.
Procès à répétition Le procès de Mazen Darwish, directeur du Syrian Centre for Media and Freedom of Expression (SCM), et de ses collaborateurs, Hussein Gharir et Hani Zaitani, a repris le 21 août. Arrêtés le 6 février 2012, ils sont poursuivis pour “publicité d’actes terroristes”, en application de l’article 8 de la loi anti-terroriste, promulguée par le président Bashar Al-Assad en 2012, en raison de leur engagement pacifique en faveur de la liberté d’expression. Ils encourent une peine allant jusqu’à 15 ans de prison, assortie de travaux forcés. Sont également visés Mansour Omari et Abdel Rahman Hamada, libérés le 6 février 2013. Le 19 mai dernier, le juge avait repoussé l’audience au 26 juin, avant de la reporter une nouvelle fois au 21 août, puis au 2 octobre. Au cours de cette audience, le juge devrait décider du maintien ou de la levée des accusations portées contre eux par les forces syriennes du Renseignement aérien. Les accusations qui pèsent contre les trois hommes constituent incontestablement une violation de la liberté d’information. En effet, l’acte d’accusation stipule que Mazen Darwish est poursuivi en sa qualité de responsable du SCM. Quant à ses collaborateurs, ils le sont en raison de leurs activités au sein du Centre. Parmi les activités incriminées figurent le suivi des informations publiées en ligne par l’opposition syrienne, la publication de rapports sur la situation des droits de l’homme et des médias en Syrie, la documentation du nombre et de l’identité des personnes détenues, disparues, recherchées ou tuées depuis le début du conflit syrien. L’acte d’accusation dispose que ces activités ont été qualifiées, par le juge d’instruction chargé de l’enquête, comme constitutives d’une tentative de “déstabilisation de la situation intérieure, ayant amené les organisations internationales à condamner la Syrie”. Reporters sans frontières rappelle que Mazen Darwish avait reçu, en 2012, le Prix RSF pour la liberté de la presse. Le 12 juin 2013, Bilal Ahmed Bilal, journaliste et directeur de la chaîne Palestine Today (Falesteen Al-Youm TV), détenu depuis le 13 septembre 2011, a été condamné à 15 ans de prison par une cour militaire, pour avoir couvert les événements de Mo’damieh Sham (ouest de Damas) en 2011.
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20.01.2016