Le site Malaysiakini injustement poursuivi pour outrage à la cour, signe d’une inquiétante dérive du nouveau gouvernement malaisien
Malaysiakini et son rédacteur en chef Steven Gan sont poursuivis en raison de commentaires de lecteurs qui réagissaient à un article sur la réouverture des tribunaux malaisiens. En amont du verdict, Reporters sans frontières (RSF) appelle la justice à abandonner ces accusations fallacieuses, et demande au nouveau pouvoir malaisien de donner de sérieux gages en faveur de la liberté de la presse.
Il risque une peine d'emprisonnement dont la durée sera laissée à la discrétion de la Cour fédérale de Malaisie, qui doit juger l’affaire ce lundi 13 juillet. Le journaliste Steven Gan est poursuivi depuis le 16 juin pour “outrage à la cour”, à l'instar du site d’information Malaysiakini, dont il assure la rédaction en chef. En tant que personnalité légale, le site web risque une amende dont le montant sera également librement déterminé par le tribunal.
Le procureur général Idrus Harun a engagé cette procédure au motif que le média avait “encouragé” la publication de commentaires “humiliants” envers le pouvoir judiciaire, en réaction à un article consacré à la réouverture des tribunaux après la fin du confinement. Alertés par la police deux jours après la mise en ligne desdits commentaires, les modérateurs de Malaysiakini les ont du reste aussitôt retirés.
Steven Gan avait donc logiquement demandé l’annulation de la procédure. Mais les juges ont rejeté cette demande, en arguant qu’en vertu de l'article 114A de la loi sur les preuves, le reporter était lui-même présumé auteur des commentaires, et que c’était à lui d’en apporter la preuve contraire.
Charges ubuesques
“Nous appelons les juges de la Cour fédérale à abandonner immédiatement ces charges absolument ubuesques qui pèsent sur Steven Gan et Malaysiakini, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Alors que la Malaisie a enregistré la plus belle progression du Classement mondial de la liberté de la presse de RSF dévoilé en début d’année, nous notons une alarmante recrudescence des atteintes au libre travail des journalistes depuis l’arrivée de l’actuelle coalition au pouvoir, il y a quatre mois. Nous appelons le gouvernement de Muhyiddin Yassin à enrayer cette tendance funeste en rejetant les pratiques passées de censure et de harcèlement des reporters.”
A la faveur de la première alternance politique de la Malaisie moderne, en mai 2018, l’environnement global dans lequel travaillent les journalistes s’est largement amélioré avec, notamment, l’abandon des poursuites judiciaires orchestrées contre les reporters par l’ancien Premier ministre Najib Razak.
Mais depuis la chute du gouvernement réformiste de Mahathir Mohamad, en février 2020, les atteintes à la liberté de la presse se multiplient. Dernier exemple en date : RSF a dénoncé un acte choquant d’intimidation, mardi 7 juillet, après que la police malaisienne a annoncé qu’elle allait convoquer pour interrogatoire les journalistes du bureau d’Al Jazeera à Kuala Lumpur.
“Héros de l’information”
En cause, un documentaire, diffusé la semaine dernière par la chaîne qatarie, consacré à une vague d'arrestations de migrants dans le cadre de la lutte contre la pandémie de coronavirus. Un film qui “contiendrait des éléments de sédition”, selon le parquet. Une accusation tellement grave qu’un reporter d’Al Jazeera à Kuala Lumpur, interrogé par RSF sous couvert d’anonymat, dit craindre pas moins que la fermeture du bureau.
La correspondante du quotidien hongkongais South China Morning Post en Malaisie, Tashny Sukumaran, avait elle-même signé un article sur ce même coup de filet, ce qui lui a valu d’être interrogée elle aussi par la police pour “insulte entraînant un possible trouble à l’ordre public”. Alors qu’elle risque deux ans de prison, RSF l’avait intégrée à sa liste des trente “héros de l’information” au temps du coronavirus.
Après que la police s’est finalement résignée à abandonner ces charges inconsistantes, Tashny Sukumaran a de nouveau été convoquée pour un interrogatoire le 1er juillet dernier. En cause, sa contribution au livre “Rebirth: Reformasi, Resistance and Hope in New Malaysia”, consacré aux élections législatives de 2018, dont le ministère de l’Intérieur a ordonné l’interdiction le même 1er juillet.
La Malaisie occupe le 101e rang sur 180 pays dans l’édition 2020 du Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF.