Le site internet du journal de Hrant Dink, Agos, piraté par des admirateurs des assassins

Le 12 février 2010, le site internet de l'hebdomadaire bilingue (turc-arménien) Agos, fondé par Hrant Dink (abattu le 19 janvier 2007 à Istanbul) a été piraté. Le site est actuellement inaccessible, mais les pirates ont réussi à afficher pendant quelques minutes une photo d'Ogün Samast, le tireur présumé, sur fond de drapeau turc, et accompagnée d'un texte d'une dizaine de lignes de nature nationaliste, intitulé "Notre bonjour à Ogün Samast". Cette attaque survient quelques jours après la tenue de la douzième audience du procès des assassins présumés du journaliste turc d'origine arménienne, à Istanbul. "Alors même que contretemps et dysfonctionnements s'accumulent et que les parties civiles ont les plus grandes difficultés à se voir communiquer des informations essentielles pour l'enquête sur la mort du journaliste, cette attaque démontre à quel point les éléments nationalistes de la société turque se sentent dans leur bon droit", a déploré Reporters sans frontières. "Nous avons déjà mis en garde sur le fait que l'absence de signe fort de la part des autorités de poursuivre et juger tous les responsables de cet assassinat, serait interprétée comme un encouragement par les groupes ultra-nationalistes. Aujourd'hui nous en avons une nouvelle démonstration. Il est plus que temps que le gouvernement réagisse, avant qu'un nouveau drame ne se produise", a ajouté l'organisation dont une représentante était présente à la 12e audience.
Le texte posté sur le site www.agos.com.tr comportait une dizaine de lignes revendiquant et justifiant l'assassinat de Hrant Dink, "au nom du drapeau de la République de Turquie qui ne figure pas sur le site" d'Agos, et menace les membres de la rédaction. Si des corrections ne sont pas apportées au contenu publié par le journal, "il y aura de nouveaux Ogün Samast et de nouveaux Hrant Dink". En outre, le texte est émaillé des propos tels que "soit vous aimez ce pays, soit vous le quittez, soit vous disparaîtrez comme Hrant Dink" et se conclut par la phrase "Le jeu est terminé ", en majuscules. ---------------------------------------------------------------------- 11 février 2010 Confusion et déception lors de la 12e audience du procès de Hrant Dink "Nous sommes choqués par les conditions dans lesquelles se déroule ce procès", a déclaré Reporters sans frontières, après avoir assisté à la douzième audience du procès des assassins présumés du journaliste turc d'origine arménienne Hrant Dink, abattu à Istanbul le 19 janvier 2007. "D'une part, les conditions matérielles – l'exiguïté de la salle, l'attitude des magistrats dont certains dorment, la désinvolture des accusés – témoignent d'une volonté de ne pas reconnaître la gravité des faits examinés. D'autre part, la lenteur de l'instruction, lors de laquelle des éléments d'information réclamés à des administrations de longue date, n'ont toujours pas été transmis, fait planer de graves soupçons. Tout comme le fait que des témoins essentiels n'ont toujours pas pu être interrogés, soit parce que les magistrats s'y opposent, soient parce qu'ils ont omis de les convoquer", a poursuivi l'organisation. L'audience du 8 février 2010, devant la 14e chambre de la cour d'assises d'Istanbul, où un tournant était attendu dans l'enquête sur le meurtre de Hrant Dink, s'est révélée extrêmement décevante. Les juges, qui dans le système turc sont également chargés de l'instruction, font preuve d'un manque de motivation et de sérieux frappant. Le "témoin secret" qui devait être produit à l'audience n'a finalement pas été convoqué, la police n'ayant pas reçu l'ordre du procureur en ce sens. Le lendemain du procès, le président du tribunal Erkan Canak, a déclaré que le témoin n'avait pas pu se présenter parce que "son interprète arménien n'avait pas été invité". En outre, les juges ont refusé d'entendre trois hauts responsables du renseignement d'Ankara, d'Istanbul et de Trabzon, dont le témoignage était réclamé par les avocats de la famille de Hrant Dink. Tout porte à croire en effet que des responsables de ces services et de la gendarmerie de Trabzon connaissaient l'existence du complot visant à assassiner Hrant Dink et l'identité des meurtriers, et n'ont pas pris les mesures de protection adéquate. La question centrale des complicités au sein de l'appareil d'Etat reste donc pour l'instant sans réponse. Plus inquiétant, le tribunal semble bien déterminé à esquiver toute mention de la responsabilité de l'Etat dans cette affaire. L'avocate Fethiye Çetin a une nouvelle fois demandé d'intégrer dans l'enquête des extraits d'autres dossiers en lien avec les milieux ultra-nationalistes et l'"Etat profond" (procès Ergenekon, plans d'attentats contre des minorités, attaques contre la communauté chrétienne de Trabzon...). Le parquet d'Istanbul doit prochainement statuer sur ces demandes. Les trois témoins Turan Meral, Orhan Özbas et Kaan Gerçek, qui avaient auparavant déclaré que le tireur Ogün Samast leur avait annoncé son intention d'abattre Hrant Dink en leur montrant l'arme du crime, se sont rétractés. Lors du transfert au tribunal, un gendarme leur avait permis de discuter librement avec le tireur présumé. Le renseignement général d'Ankara a refusé de fournir les numéros de téléphone des agents en contact avec le commanditaire présumé, Erhan Tuncel, arguant que transmettre ce "secret d'Etat" pourrait mettre en danger la sécurité de son personnel. "Tout se passe comme si ceux-là mêmes qui sont chargés de rendre la justice, lui faisaient obstruction. Nous sommes scandalisés par le fait que le ministère public, si prompt à poursuivre et condamner Hrant Dink lorsque celui-ci évoquait des faits historiques indiscutables (le génocide arménien de 1915), soit si lent à rechercher et juger tous ceux qui ont fomenté et perpétré l'assassinat de cet homme en plein jour à Istanbul !" Quelque 700 manifestants, dont les proches d'une vingtaine d'intellectuels turcs assassinés depuis cinquante ans, s'étaient réunis place Besiktas, non loin du palais de justice où se tenait l'audience, pour exprimer leur solidarité avec la famille de Hrant Dink et réclamer la fin de l'impunité. Ces militants, qui se décrivent comme la "famille profonde" de Hrant Dink, devaient envoyer aujourd'hui une délégation auprès du Parlement turc, pour exiger la création d'une commission parlementaire sur les meurtres politiques. Lire les précédents communiqués à ce sujet : - Onzième audience du procès Hrant Dink : "Les questions fondamentales demeurent"
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Updated on 20.01.2016