Le rappel à l'ordre de la presse indépendante

"Gigantesque bourde", "du jamais vu depuis Ben Barka", "ubuesque", "le sommet du ridicule", etc. Fin avril 2003, les commentaires de la presse fusent suite aux poursuites judiciaires engagées contre Ali Lmrabet, directeur de publication des hebdomadaires Demain (francophone) et Douman (arabophone), pour, entre autres, "outrage à la personne du roi". Selon le nouveau code de la presse, le journaliste est passible d'une peine de trois à cinq ans de prison. Début mai, il apprend que son imprimeur ne veut plus mettre sous presse ses deux publications. Avec l'accusation d'"outrage à la personne du roi", Ali Lmrabet pensait que les pressions des autorités avaient atteint leur maximum. C'était sans compter sur la détermination du pouvoir à faire taire le journaliste. La presse marocaine a connu un formidable essor depuis la fin des années 90, et tout particulièrement depuis les dernières années du règne de Hassan II. C'est dans les colonnes de plusieurs titres indépendants que s'expriment désormais les opposants de tous bords. Une presse qui, avec le temps, a brisé de nombreux tabous, démystifié les partis politiques et porté un grave coup à la presse partisane, aujourd'hui en perte de vitesse. Cette liberté de ton effraie en plus haut lieu. En juillet 2001 déjà, dans une interview accordée à Al Sharq Al Awsat, journal arabe publié à Londres, le roi Mohammed VI faisait part de ses craintes : "Certes, je suis pour la liberté de la presse. Mais je souhaite que cette liberté soit une liberté responsable (…). Les journalistes ne sont pas des anges non plus. J'apprécie pour ma part le rôle de critique que jouent la presse et les journalistes marocains dans le débat public, mais gardons-nous de succomber à la tentation du modèle importé. Au risque de voir nos propres valeurs aliénées et mettre en cause les libertés individuelles (…). Ce sont les limites que fixe la loi (…). Celle-ci doit être appliquée à tous. Lorsque la presse parle des droits de l'homme, elle oublie parfois de respecter ces droits." "Comme il n'existe pas aujourd'hui de partis politiques qui jouent un vrai rôle d'opposition, ce sont les journaux indépendants qui ont comblé ce vide. Le gouvernement voit ainsi en eux des opposants et les partis, des concurrents, voire des ennemis", souligne Khalid Jamaï, éditorialiste au Journal hebdomadaire et collaborateur au quotidien L'Indépendant. L'"Affaire Lmrabet" résume, à elle seule, les problèmes auxquels sont aujourd'hui confrontés les journaux indépendants : le manque d'indépendance de la justice, la difficulté d'aborder des sujets sensibles comme la personne du roi, un texte de loi qui maintient des peines de prison pour des délits de presse, les interventions croissantes de ceux qu'on appelle les "sécuritaires" (les responsables du ministère de l'Intérieur et de la DST), le boycott publicitaire et les pressions sur les annonceurs et les imprimeurs. Du 22 au 27 avril 2003, un représentant de Reporters sans frontières s'est rendu au Maroc (Casablanca et Rabat) où il a rencontré des journalistes, des écrivains, des militants des droits de l'homme et des avocats. L'organisation qui avait demandé des audiences auprès des ministères de la Communication, de la Justice et du directeur général de la Direction générale de la sécurité du territoire (DST), n'a été reçue que par de hauts fonctionnaires du ministère de la Communication. Le représentant de Reporters sans frontières a pu circuler en toute liberté et rencontrer tous ses interlocuteurs sans entraves. 1. L'émergence d'une presse indépendante L'article 9 de la Constitution marocaine, révisée en 1992, stipule que "la liberté d'opinion, la liberté d'expression sous toutes ses formes" sont garanties. En juillet 1994, la décision du roi Hassan II d'abroger un "dahir" (décret royal) qui avait contribué, depuis 1935, à museler la presse, et de décréter ensuite une amnistie générale, a été un premier pas vers une presse plus libre. Las d'une presse partisane, la seule disponible depuis les années 60, les Marocains, avec l'ouverture démocratique des années 90, se sont tournés vers les journaux indépendants. De nouveaux titres ont vu le jour, à l'instar du Journal, de Demain ou de Assahifa qui ont rencontré un large public. "Pour la première fois, les Marocains vivent un espace de liberté sans commune mesure avec le passé", note Hassan Nejmi, directeur du bureau de Rabat pour le quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki (quotidien de l'Union socialiste des forces populaires, USFP). C'est dans ce cadre que s'est engouffrée une presse audacieuse, parfois irrévérencieuse, à l'image de Demain magazine et Douman, qui ont introduit la caricature et la satire. Néanmoins, le nombre de lecteurs est nettement moins élevé que dans les autres pays du nord de l'Afrique. Tous titres confondus, la presse marocaine ne peut se targuer que de 350 000 exemplaires vendus quotidiennement contre 500 000 pour la Tunisie, 1 300 000 pour l'Algérie et 2 200 000 pour l'Egypte. Le Maroc compte 641 titres (dont une vingtaine de quotidiens) et 1 800 journalistes. "Ces chiffres sont très en dessous des aspirations d'un pays qui s'inscrit dans la construction d'un projet démocratique", reconnaît Nabil Benabdallah, ministre de la Communication. 2. Poursuivi pour "outrage à la personne du roi" Le 2 mai 2003, le directeur de Ecoprint informe Ali Lmrabet, directeur des hebdomadaires satiriques Demain magazine et Douman et correspondant de Reporters sans frontières au Maroc, qu'il n'imprimera plus ses deux publications suite aux pressions dont il est l'objet. "Que voulez-vous que l'on fasse ? Nous sommes vulnérables. Ce sont des méthodes sournoises", avoue Abdelmoumen Dilami, le propriétaire de l'imprimerie qui a néanmoins décidé de poursuivre l'impression le temps que le directeur de Douman trouve un autre imprimeur. Le 7 mai 2003, Ali Lmrabet devrait comparaître devant la justice pour "outrage à la personne du roi", "atteinte à l'intégrité territoriale" et "atteinte au régime monarchique". Le 1er avril 2003, le journaliste avait été convoqué par la brigade judiciaire de Rabat, sur instruction du procureur du roi auprès du tribunal de première instance de Rabat. L'interrogatoire porte - durant cinq heures - sur une série d'articles et dessins concernant le budget de la liste civile royale voté au Parlement (document officiel du ministère des Finances distribué aux parlementaires), une bande dessinée sur l'histoire de l'esclavage et un photomontage mettant en scène des personnalités politiques du royaume, parus au cours des derniers mois. "Etes-vous conscient que vous avez porté atteinte à la sacralité des institutions ?", demande-t-on au journaliste. Egalement questionné sur les extraits d'une interview d'un républicain marocain qui se prononçait notamment pour l'autodétermination du peuple sahraoui, le journaliste est accusé d'avoir "porté atteinte à l'intégralité territoriale du Maroc". Le 17 avril, alors qu'Ali Lmrabet s'apprête à prendre un vol pour Paris, depuis l'aéroport de Rabat, deux agents de la Direction de la surveillance du territoire (DST) lui signifient qu'il est interdit de sortie du territoire "sur instruction de la DST". Lorsque le journaliste leur demande s'il y a une décision judiciaire, ils répondent par la négative. Le même jour, dans son point de presse, Nabil Benabdallah, porte-parole du gouvernement, justifie cette décision : "Il y a plusieurs actions en justice contre Ali Lmrabet . C'est une décision conservatoire prise par la PJ pour garantir la présence de M. Lmrabet aux procès. " Les procès auxquels fait référence le ministre concernent quarante plaintes déposées par des journalistes du quotidien Al Ahdate Al Maghribia contre Ali Lmrabet, pour un dessin paru dans Demain magazine, le 11 mai 2002, qui qualifiait la publication arabophone de "pornographique". "Ce n'est pas la DST qui a pris la décision mais la DGSN, qui s'occupe de la police des frontières. Laquelle a agi selon le souhait de la police judiciaire (…). Je ne suis pas habilité à m'exprimer sur le sujet, c'est à la justice de dire son mot", précise le ministre. Dans cette affaire, les responsables du ministère de la Justice sont restés muets et n'ont pas voulu répondre aux questions de Reporters sans frontières. "En interdisant à Ali Lmrabet de quitter le territoire national, les autorités lui font non seulement un procès d'intention, mais elles se sont substituées à l'autorité judiciaire, seule compétente pour le priver de sa liberté de circulation", s'insurge Ahmed Benjelloun, l'avocat du journaliste. Une semaine plus tard, lors d'un nouveau point de presse, M. Benabdallah annonce qu'Ali Lmrabet peut quitter le pays… "Ali Lmrabet sera jugé par des magistrats dont la carrière dépend de celui qui poursuit le directeur de Demain magazine et de Douman en justice (…). M. Lmrabet devra répondre des faits qui lui sont reprochés devant des juges dont l'avenir professionnel dépend du Conseil supérieur de la magistrature présidé par le … roi. Qui peut croire qu'Ali Lmrabet aura un jugement équitable ? ", écrit Aboubakr Jamaï, directeur du Journal hebdomadaire, dans son éditorial du 26 avril. De son côté, Ali Lmrabet est catégorique : "On ne peut pas prendre une telle décision de poursuites judiciaires sans l'aval du roi." En novembre 2001, le journaliste avait déjà été condamné, en première instance, à une peine de quatre mois de prison et une amende de 30 000 dirhams (environ 3 000 euros) par le tribunal de Rabat. Le journaliste était poursuivi pour "diffusion de fausses informations portant atteinte à l'ordre public ou susceptibles de lui porter atteinte". L'article de Demain Magazine intitulé "Le Palais de Skhirat serait en vente", publié le 20 octobre 2001, avait été qualifié par le procureur de "tissu de fausses informations et d'allégations totalement mensongères". Pour Ali Lmrabet, les véritables raisons de ces poursuites étaient, entre autres, la publication (dans le numéro du 27 octobre 2001) des bonnes feuilles d'un ouvrage du journaliste du quotidien français Le Monde Jean-Pierre Tuquoi, sur le Maroc, "Le Dernier roi", et de ses propres articles sur Moulay Hicham, le cousin du roi. 3. Les "sécuritaires" et leurs méthodes … Si la presse peut aujourd'hui écrire sur Hamidou Laânigri, le patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST), le critiquer et même le caricaturer - chose impensable du temps de Driss Basri, ministre de l'Intérieur de Hassan II -, il n'en reste pas moins que certains sujets relatifs à la DST demeurent sensibles. "Les services" ne veulent pas que certaines affaires soient évoquées et n'hésitent pas à le faire savoir. Le 13 mars 2003, Maria Moukrim, journaliste de l'hebdomadaire arabophone Al Ayyam, est menacée sur son téléphone portable alors qu'elle sort de son bureau, à Casablanca. "On m'a insultée comme jamais. La personne que j'avais en ligne a clairement fait référence à mon article paru le 2 mars dans Al Ayyam sur un centre secret de détention. Elle m'a dit que si je continuais à écrire ce genre d'articles, je risquais d'être victime d'un accident de voiture", déclare-t-elle. Lorsque la journaliste demande à son interlocuteur de s'identifier, celui-ci lui répond : "Nous sommes ceux que vous avez eu le culot de critiquer dans votre article." Peu après, il lui précise où elle se trouve, dans la rue près d'un taxi. Un jeune homme la blesse alors à la main gauche avec un objet contondant. Son interlocuteur lui téléphone à nouveau et lui demande si elle a retenu la leçon. En janvier, Maria Moukrim avait écrit un article sur le centre secret de détention appelé la "prison verte" (à Témara, banlieue de Rabat), en référence à la couleur des visages de ceux qui ont été torturés dans ce centre. Si la journaliste n'avait pas pu entrer dans le centre, elle avait recueilli des témoignages de personnes qui y avaient été détenues ou d'autres encore qui habitaient à proximité. Pourquoi la DST aurait-elle attendu deux mois pour faire savoir son mécontentement ? "On ne sait pas", affirme Nordine Miftah, directeur de publication de Al Ayyam. "C'est sans doute une façon de nous dire qu'ils nous ont toujours à l'œil, qu'ils n'oublient jamais." Choquée, la journaliste a porté plainte contre "X" mais ne se fait guère d'illusions. Le 23 octobre 2002, Ali Amar et Mouaad Rhandy, respectivement directeur général et journaliste du Journal hebdomadaire, sont retenus trois heures au poste frontière de Ceuta (enclave espagnole au nord du Maroc) par la police marocaine. Les deux journalistes sont conduits dans un bureau de la police judiciaire où on leur remet une convocation dans le cadre de l'affaire Zahidi. Ils sont ensuite interrogés par des membres de la DST sur cette même affaire. Le 19 octobre, Ali Amar et Mouaad Rhandy avaient publié une interview de Moulay Zine Zahidi, l'ancien directeur du Crédit immobilier et hôtelier (CIH) alors en cavale. L'entretien contenait des révélations concernant la gestion du CIH qui avait déjà fait l'objet d'une enquête parlementaire, et mettait en cause plusieurs personnalités politiques. "Notre véhicule a été fouillé de fond en comble. Ils ont arraché les sièges et nous ont pris nos téléphones portables, nos documents et notre appareil photo", a précisé Ali Amar. Le 15 octobre 2002, la direction du quotidien arabophone Al Ahdate Al Maghribia informe l'une de ses journalistes, Latifa Boussaâdan, qu'elle est licenciée pour "faute grave". La direction l'accuse d'avoir envoyé par e-mail à Demain magazine une photographie du général Hamidou Laânigri, directeur général de la DST. La journaliste nie. Ce cliché avait été pris par un photographe d'Al Ahdate Al Maghribia, ce même mois d'octobre, lors d'un conseil de gouvernement. Surpris d'avoir été pris en photo, le général Laânigri avait menacé le photographe devant plusieurs témoins et lui avait ordonné de ne pas diffuser la photo. Un "souhait" qu'avait respecté le quotidien, selon la journaliste. Pour celle-ci, le général Hamidou Laânigri est derrière son licenciement. "Le rédacteur en chef, Abdelkrim Lemrani, m'a dit textuellement : 'Pourquoi as-tu envoyé la photo de Laânigri ? Tu ne sais pas que nous entretenons d'excellentes relations avec lui ? Et tu ne sais pas que, s'il veut, il peut monter un dossier sur toi ?'" Toujours selon la journaliste, on l'aurait également licenciée pour avoir refusé de porter plainte, à l'instar de ses collègues, contre Ali Lmrabet. De son côté, la direction du journal conteste avoir fait pression sur les journalistes pour qu'ils portent plainte contre le responsable de Demain magazine. Depuis plusieurs années, le mouvement islamiste Al-Adl Wal Ihsane, dirigé par le cheikh Yassine, est dans le collimateur de la DST. Le 6 avril 2001, le numéro 34 de Rissalat Al Foutouwa est saisi par les autorités qui ne fournissent aucune explication. Mohamed Aghnaj, directeur de publication de l'hebdomadaire islamiste, détient pourtant un récépissé en bonne et due forme, daté de février 1999, l'autorisant à éditer son journal. Selon lui, "les autorités exercent de fortes pressions auprès des imprimeries et des distributeurs sollicités par le journal pour en empêcher la diffusion". Le numéro 35/36 est à son tour saisi dans la nuit du 22 mai 2001. La saisie est effectuée dans les locaux de la société de distribution. Par la suite, plusieurs imprimeries ont expliqué aux responsables de Rissalat Al Foutouwa qu'ils ne mettraient plus sous presse l'hebdomadaire sur ordre de Hamidou Laânigri, le "patron" de la DST. La direction de l'hebdomadaire a alors dû assurer l'impression ainsi que la distribution, via un réseau de militants de l'association Al-Adl Wal Ihsane. Mais ces derniers ont fait l'objet, à plusieurs reprises, d'arrestations pour avoir distribué des numéros à la sortie des mosquées. Le journal avait déjà connu plusieurs saisies en 2000 sans qu'aucune explication ait été fournie par les autorités. Face à ces difficultés, la direction du journal a été contrainte d'interrompre la publication. Celle-ci est aujourd'hui interdite de fait. "Les sécuritaires utilisent des journaux dits 'indépendants' pour leur politique : certains sont utilisés pour s'attaquer aux grandes figures de la société civile qui dérangent, comme Al Ahdate Al Maghribia. D'autres ont pour mission de véhiculer le discours officiel comme Le Matin du Sahara. La distribution des tâches est claire", explique Hassan Nejmi, président de l'Union des écrivains marocains et journaliste au quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki. Ce journaliste a été l'objet d'une campagne d'insultes dans les colonnes du quotidien Al Ahdate Al Maghribia. De son côté, Mohamed Brini, le directeur d'Al Ahdate Al Maghribia, se défend d'être à la solde du pouvoir. Les écoutes téléphoniques et les filatures, selon de nombreux journalistes interrogés, sont, par ailleurs, une pratique assez courante de la DST. 4. Des sujets toujours sensibles Bien que de nombreux tabous aient été brisés ces dernières années, des sujets demeurent toujours difficiles à traiter. Et si certains journaux indépendants tentent de repousser les "lignes rouges", ce n'est pas sans risque. - Le roi et la famille royale Selon l'article 23 de la Constitution marocaine, "La personne du Roi est inviolable et sacrée". "Le système politique marocain a un nom, c'est le makhzen. Et le roi en est la pierre angulaire. Ne pas être libre de l'inclure dans une analyse mène droit à la schizophrénie : on écrit une chose alors qu'on pense son contraire. Et on se choisit une galerie de boucs émissaires (…) sur lesquels on tapera avec d'autant plus de rage qu'on s'interdit d'évoquer le Palais pour ce qu'il est, l'acteur politique majeur de ce pays", analyse, en mars 2002, Ahmed Benchemsi, directeur de publication de l'hebdomadaire Tel Quel. Le 30 novembre 2002, alors que Le Journal hebdomadaire commence d'être tiré sur les rotatives, des policiers en civil se présentent à l'imprimerie : "Police, arrêtez tout. On a reçu l'ordre de suspendre le tirage et la diffusion de ce journal. Qu'entendez-vous par 'Le roi et Dieu' ?" Le journal titrait en effet en une "Le roi et Dieu, retour sur les fondements religieux d'un régime". Au terme de cinq heures d'échanges téléphoniques avec l'imprimeur et le diffuseur, le journal est finalement autorisé à paraître. Les policiers n'ont jamais pu présenter d'ordre écrit. En mars 2002, l'hebdomadaire français VSD, daté du 7, n'est pas distribué dans les kiosques marocains. Il est retenu par la société de distribution Sochepresse. La direction de VSD, qui demande des explications aux autorités, n'obtient aucune réponse. Ce numéro, qui contenait un dossier intitulé "L'homme qui ne veut pas être roi", faisait notamment référence à deux ouvrages très polémiques sur le Maroc : Notre ami le roi de Gilles Perrault (1990) et Le dernier roi de Jean-Pierre Tuquoi (2001). Les auteurs de l'article dressaient un portrait sans complaisance du roi et un bilan critique de plus de deux ans de règne. Le quotidien français Libération, daté du 22 janvier 2002, n'est pas distribué dans les kiosques marocains le lendemain, comme c'est habituellement le cas. Il a été retenu par la société de distribution Sochepresse. Ce numéro contenait un article intitulé "Moulay Rachid : les très chères vacances du frère du roi du Maroc". L'auteur faisait allusion aux notes d'hôtel de Moulay Rachid à Acapulco, soit 10 200 dollars (11 547 euros) par jour. L'article précisait également que le frère du roi "occupait la suite impériale du luxueux hôtel Quinta Real ainsi que vingt-quatre autres chambres" et qu'il était "accompagné de seize personnes dont trois ravissants mannequins". Le numéro de l'hebdomadaire français Le Canard enchaîné, daté du 31 octobre 2001, est retenu chez le distributeur Sochepresse. L'un des articles, intitulé "Sa Majetski M6", commentait le dernier ouvrage de Jean-Pierre Tuquoi sur le Maroc "Le dernier roi" (éditions Grasset). Le journaliste écrivait notamment : "Après deux ans et demi de règne, son fils n'a pas fait grand-chose sinon réprimer la presse, céder aux islamistes sur les droits des femmes, gérer son immense fortune et faire du sport…" - Le prince Moulay Hicham Si certains journaux indépendants donnent la parole au prince Moulay Hicham, le cousin du roi aujourd'hui en disgrâce, ce dernier demeure un sujet que la presse partisane aborde rarement. Le 6 mai, des policiers en civil saisissent à l'imprimerie Najah, à Casablanca, 8 000 exemplaires du numéro 15 de la revue trimestrielle Wijhat Nadhar. Selon Abdellatif Hosni, directeur de publication, cette saisie est opérée "sans justification". Le numéro contenait la traduction d'une conférence donnée par le prince Moulay Hicham à l'Institut français des relations internationales de Paris, en mai 2001. Dans cette allocution, le prince, qui résidait alors aux Etats-Unis, déclarait notamment que la monarchie marocaine devait se "réformer". - Le Sahara occidental La question du Sahara occidental est à traiter avec des pincettes. Le moindre écart peut être sanctionné. D'où, par exemple, l'accusation d'"atteinte à l'intégrité territoriale" portée contre Ali Lmrabet. Il n'avait pourtant que reproduit les extraits d'une interview (parue à l'origine dans le quotidien espagnol Avui) d'un républicain marocain, Abdallah Zaâzaâ prenant position pour "l'autodétermination du peuple sahraoui". Le journaliste avait même pris soin de couper certains passages. Les 8 et 9 mars 2002, Ignacio Cembrero, journaliste du quotidien espagnol El Pais, fait l'objet d'une filature. Il était arrivé la veille à Rabat pour écrire des articles sur le Sahara occidental. En mars 2001, c'est le numéro 1528 de l'hebdomadaire espagnol Cambio 16, daté du 19 mars 2001 qui est interdit de distribution par les autorités marocaines. Si celles-ci ne fournissent aucune explication, on peut noter que le journal contenait un dossier intitulé "Le Sahara se prépare à la guerre". L'auteur de l'article, Rocio Castrillo, écrivait notamment : "Une armée composée de 30 000 soldats (…) se prépare à affronter l'envahisseur marocain." Il interviewait Brahim Ghali, un membre du secrétariat national du Front Polisario, qui dénonçait "la volonté intransigeante et colonialiste du régime expansionniste du Maroc". - Les islamistes Les législatives de septembre 2002 ont été marquées par le score important réalisé par les islamistes. Aussi, le pouvoir est très fébrile sur cette question. Exemple : le 16 août 2002, alors que Nordine Miftah, directeur de l'hebdomadaire Al Ayyam, se trouve à Agadir, il reçoit un appel téléphonique d'un commissaire de police lui demandant de venir "immédiatement" à Casablanca. Il sera interrogé plusieurs heures durant sur une interview d'un leader islamiste, Abdallah el Chadli, parue le 11 juillet 2002. Deux jours plus tard, c'est au tour de l'auteur de l'interview, Anas Mezzour, d'être convoqué pour les mêmes raisons. Il sera questionné pendant près de cinq heures. Le 7 janvier 2002, ce même Anas Mezzour avait rendu visite à des détenus islamistes dans la prison centrale de Kénitra, accompagné d'un avocat et d'un membre d'une organisation humanitaire locale. En fin d'après-midi, alors qu'ils s'apprêtaient à quitter le bâtiment pénitentiaire, les trois hommes sont arrêtés par un groupe d'individus en civil. Anas Mezzour est alors conduit dans le bureau du directeur. Là, un homme, identifié par le journaliste comme un agent des services secrets, l'immobilise de force et lui arrache son appareil enregistreur. Retenu pendant trois heures, il ne sera autorisé à sortir que lorsque le directeur de la prison se sera décidé à faire appel au procureur du roi à Kénitra. - Ahmed Sanoussi dit "Bziz" L'humoriste Bziz est interdit de télévision et de radio depuis plus de dix ans. "Quand je pose la question à de hauts responsables sur cette interdiction, ils me répondent que c'est 'là-haut' que la décision de me censurer a été prise." Durant les manifestations de mars 2003 contre la guerre en Irak, l'humoriste a été interviewé par la chaîne de télévision publique 2M. La séquence n'a jamais été diffusée. Peu après, le sujet d'Al-Jazira, dans lequel il était interrogé, a également été censuré (voir plus bas). "La classe politique actuelle est pourtant une matière première formidable pour la caricature et la satire", ironise Bziz. 5. Code de la presse et avant-projet de loi antiterroriste liberticides Dans un document du 18 janvier 2000, Abid Hussain, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, a demandé "à tous les gouvernements de veiller à ce que les délits de presse ne soient plus passibles de peines d'emprisonnement, sauf pour des délits tels que les commentaires racistes ou discriminatoires ou les appels à la violence", et précisé que "l'emprisonnement en tant que condamnation de l'expression pacifique d'une opinion constitue une violation grave des droits de l'homme". Or, pas moins de vingt articles de la loi n°77-00 (promulguée le 3 octobre 2002), qui modifie et complète le Dahir n°1-58-378 du 15 novembre 1958, sanctionnent des délits de presse de peines d'emprisonnement. Plusieurs journalistes ont ainsi été condamnés ces deux dernières années. Le 14 février 2002, la cour d'appel de Casablanca inflige à Aboubakr Jamaï, directeur de la publication du Journal hebdomadaire, et à Ali Amar, directeur général du même journal, respectivement trois et deux mois de prison avec sursis. Ils étaient poursuivis pour "diffamation" suite à une série d'articles parus dans l'hebdomadaire Le Journal (interdit à la fin de l'année 2000) qui dénonçait les conditions dans lesquelles l'ambassadeur Mohammed Benaissa avait acheté, en 1996, une résidence à Washington pour le compte du Maroc. Le nouveau code de la presse maintient, par ailleurs, le principe des saisies administratives. Selon l'article 77, le ministre de l'Intérieur peut, en effet, ordonner la saisie d'un journal susceptible de "troubler l'ordre public". C'est en vertu de ce texte - qui figurait déjà dans le code de la presse de 1958 - que les hebdomadaires Le Journal, Assahifa et Demain ont été interdits fin 2000. Si ce nouveau code de la presse contient un certain nombre de points positifs - l'allègement des sanctions pénales, la réduction du montant des amendes, l'assouplissement des procédures lors de la création d'un titre, la nécessaire justification des saisies -, il maintient en revanche des peines allant de trois à cinq ans de prison (contre cinq à vingt ans dans le texte de 1958) en cas de diffamation du roi, des princes et des princesses. A cet article a été ajouté un alinéa : "La même peine est applicable lorsque la publication d'un journal ou écrit porte atteinte à la religion islamique, au régime monarchique ou l'intégrité territoriale." C'est en vertu de ces textes qu'Ali Lmrabet est poursuivi. Autant de termes qui peuvent prêter à des interprétations très larges. Par ailleurs, l'article 29 réaffirme le droit, pour le gouvernement, d'interdire des journaux marocains ou étrangers "si les publications concernées sont de nature à porter atteinte à l'islam, à l'institution monarchique, à l'intégrité territoriale ou à l'ordre public". Pour avoir notamment critiqué ce texte, Younès Moujahid, journaliste au quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki et, par ailleurs, secrétaire général du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), a été licencié par Abderrahmane Youssoufi, directeur du journal et, alors, Premier ministre. Pour Khalid Jamaï, éditorialiste au Journal hebdomadaire, "ce code de la presse reflète les hésitations du pouvoir : sur un point on avance, sur un autre on recule". L'avant-projet de loi antiterroriste ou "loi Laânigri" Un avant-projet de loi antiterroriste, en étude au Parlement début 2003, a provoqué unvéritable tollé dans la société civile. "La Justice, l'Intérieur et les Affaires étrangères ne sont que des exécutants de la besogne. Des tâcherons qui se sont attelés à tailler à la DST un costume d'honorabilité sur mesure, pour légaliser ce qu'elle se permet déjà : enlever les gens, les séquestrer, les priver de toute assistance juridique, les isoler de tout moyen de communication, etc.", dénonçait Le Journal hebdomadaire dans son édition du 25 janvier 2003. Et d'enchérir : "Le projet de loi, quand il passera avec succès tous ses examens, reviendra au final à surarmer la DST qui n'en avait pas spécialement besoin." Concernant la liberté de la presse, c'est le paragraphe 12 de l'article 1 qui est tout particulièrement inquiétant. Selon cette disposition, "la propagande, la publicité ou l'apologie d'un acte constituant une infraction de terrorisme" sont elles-mêmes qualifiées d'actes terroristes. De plus, la notion de "publicité" est tellement vague qu'elle peut viser à peu près n'importe quel article ou reportage sur un acte terroriste. C'est, selon certains, une manière de limiter la liberté des journalistes qui, soumis à l'arbitraire des interprétations, seront à la merci du pouvoir. Et de remarquer que ce projet de loi a été présenté peu après la publication, dans plusieurs journaux, d'articles sur les dérapages de la DST dans plusieurs affaires, comme celle concernant des islamistes accusés de terrorisme et détenus au secret début 2003. A la mi-avril, sous la pression d'organisations de défense des droits de l'homme, le gouvernement a retiré, pour l'amender, ce projet de loi. Néanmoins, plusieurs journalistes rencontrés par l'organisation doutent que les points qui posent problème soient retirés du texte qui sera à nouveau présenté. 6. Une presse étrangère sous surveillance Certains journalistes ne sont pas en odeur de sainteté dans le royaume, comme le journaliste Ignacio Cembrero du quotidien espagnol El Pais. Le 1er octobre 2002, il a été, une nouvelle fois, l'objet d'une filature de plusieurs heures à Casablanca par quatre personnes qu'il identifie comme des membres de la DST. La veille, le journaliste avait rencontré Driss Basri, ancien ministre de l'Intérieur, à son domicile, près de Rabat. Une façon, selon lui, de lui faire comprendre qu'"on" n'avait pas apprécié cette rencontre. Le 22 janvier 2002, alors qu'il arrive à l'aéroport Ibn Battuta de Tanger, Nicolas Pelham, journaliste britannique free-lance, est "interdit d'entrée sur le territoire", sans autres explications. Il est alors retenu dans des locaux de l'aéroport à Tanger où il passe la nuit. A l'aube, il est "transféré" en avion à Casablanca où il doit prendre un vol pour Londres via Madrid. Le journaliste voulait réaliser un reportage sur l'émigration pour le compte de la BBC. "Al-Jazira continue d'exercer son travail d'information librement." Iqbal Ilhami, la correspondante d'Al-Jazira au Maroc, fulmine lorsqu'elle lit le communiqué du ministre de la Communication, Nabil Benabdallah. "Libre de travailler ? A quoi sert de faire un sujet si je ne peux pas le diffuser ?" Retour en arrière : le 30 mars 2003, Iqbal Ilhami couvre une manifestation contre la guerre en Irak, au cours de laquelle elle interviewe Mohamed Lyazghi, le ministre de l'Aménagement du territoire, ainsi que l'humoriste Bziz. Après avoir monté son sujet, la journaliste se rend au siège de la RTM, la chaîne publique marocaine, afin de transmettre son sujet, par satellite, à Doha. Depuis des années, la RTM met ses moyens de diffusion au service de la chaîne qatarie. La journaliste va attendre en vain que le sujet soit envoyé. Un employé de la RTM prétexte qu'il n'a pas reçu de fax de Doha. Etonnée, la journaliste contacte le ministre de la Communication pour demander des explications. Nabil Benabdallah l'informe qu'il n'est au courant de rien et qu'il va se renseigner. Quelques heures plus tard, Iqbal Ilhami rappelle le ministre qui, cette fois, confirme la censure qu'il "assume". "Il faut que vous vous montriez plus coopérative avec nous et que vous nous garantissiez qu'il n'y aura plus, dans l'avenir, des informations qui perturbent l'ordre public au Maroc", ajoute-t-il. "Déjà, une première fois, raconte la journaliste, ils n'avaient pas apprécié que l'on montre des Marocains en train de brûler un drapeau américain. J'avais alors été informée que Fouad Ali Al Himma (ministre délégué à l'Intérieur) était mécontent. La seconde manifestation, ce n'est pas passé." De leur côté, les représentants du ministère justifient la décision de la RTM en expliquant que la chaîne qatarie avait diffusé plusieurs "fausses informations" et "n'avait pas daigné faire de démentis". Reporters sans frontières a notamment eu copie d'un fax envoyé par l'ambassade des Etats-Unis au Maroc à la MAP (Maghreb Arabe Presse - agence de presse officielle) précisant que l'ambassade était ouverte, contrairement à ce qu'avait affirmé la correspondante d'Al-Jazira à l'antenne. Dans un communiqué, le ministre de la Communication a précisé qu'Al-Jazira pouvait très bien se tourner vers des sociétés privées pour diffuser ses sujets. Mais, selon plusieurs personnes interrogées par Reporters sans frontières, ces sociétés privées n'existent pas au Maroc, ce qui fait dire à sa correspondante qu'Al-Jazira est donc censurée de fait. Le 14 avril 2003, devait sortir le premier numéro du quotidien français Le Monde directement imprimé au Maroc. La direction du journal était en négociation avec les autorités, depuis des mois, pour que le quotidien soit mis sous presse sur les rotatives de "Ecoprint", la société qui imprime le quotidien L'Economiste. Une décision qui nécessite un arrêté ministériel. Le 14 avril devait, par ailleurs, coïncider avec le lancement d'une série de reportages, dans les pages "Horizon" du journal, sur le Maroc à l'heure de la guerre en Irak, signées par Stephen Smith. Pourquoi Le Monde n'a-t-il pas été imprimé à la date prévue ? Les autorités marocaines ont expliqué que la direction du Monde avait envoyé des cartons d'invitation, avant même que le décret ne paraisse. De leur côté, certains journalistes marocains voient dans ce retard un avertissement au quotidien français connu pour n'avoir jamais ménagé ses critiques à l'égard du royaume. 7. Autres moyens de pressions : la publicité et les subventions Si la multiplication des titres rend le marché de la publicité de plus en plus concurrentiel, force est de constater qu'au-delà du tirage, c'est la ligne éditoriale des différentes publications qui pèse sur le choix des annonceurs, d'autant qu'il n'existe au Maroc aucun organisme chargé de vérifier les chiffres de diffusion. En 2002, l'hebdomadaire arabophone Al Ayyam publie une interview d'Abderrahim Berrada, avocat et militant des droits de l'homme, titré en une : "Le roi doit s'excuser sur les années de plomb." Alors que le journal est en cours d'impression, Nordine Miftah, le directeur du journal, reçoit un appel téléphonique d'un annonceur : "Soit vous changez votre une, soit je retire ma publicité." Comment l'annonceur pouvait-il connaître la une, si ce n'est par des personnes qui se trouvaient à l'imprimerie ? Le directeur n'a pas cédé. Il a perdu cet annonceur. Les recettes publicitaires de Mediatrust (le groupe qui édite Le Journal hebdomadaire et Assahifa Ousbouiya) ont diminué de 80 % entre 2000 et 2002. "Il y a eu clairement un boycott de nos publications. Certaines sociétés comme Maroc Telecom ou Royal Air Maroc ont reçu des instructions pour cesser de nous donner de la publicité. D'autres ont préféré nous boycotter car elles ne souhaitaient pas que leur image soit associée à notre ligne éditoriale", note Ali Amar, directeur du Journal hebdomadaire. De son côté, Ali Lmrabet a fait depuis longtemps le deuil de toute publicité. Après avoir frappé à la porte de nombreux annonceurs, il s'est rendu compte que ce serait vain. Un système de subventions accordées par l'Etat a été mis en place par Driss Basri, ministre de l'Intérieur du temps de Hassan II, pour aider la presse partisane. Il a été ensuite étendu à des titres privés comme Al Ahdate Al Maghribia. "Nous recevons une subvention parce que notre tirage est le plus important de la presse marocaine et parce que nos comptes sont transparents", déclare Tahar Meddoun, directeur de l'imprimerie d'Al Ahdate Al Maghribia. Néanmoins, certains journalistes estiment que les critères d'octroi de ces subventions prennent surtout en compte la ligne éditoriale des différents titres. "Certes, les journaux partisans reçoivent une aide de l'Etat mais le vrai cadeau qu'on leur fait, c'est de ne pas leur réclamer l'argent qu'ils doivent aux banques. Dans ce cas, de nombreux journaux feraient faillite", souligne Khalid Jamaï. Et là encore, c'est le règne du deux poids deux mesures. "Nous avons été le premier titre à nous faire "coincer" alors que des journaux qui doivent des millions de dirhams de dettes ont obtenu un échelonnement du remboursement sur plusieurs années ", accuse Ali Amar, du Journal hebdomadaire. Même son de cloche du président du Syndicat national de la presse marocaine dont le secrétaire général, Younès Moujahid, dénonce ces pratiques mais aussi les financements douteux : "Certains journaux vivent sans publicité, sans argent. Comment croyez-vous qu'ils font ? Ce sont les services qui paient." Conclusion "Nous tenons à réaffirmer notre ferme volonté de consolider la liberté de la presse, de préserver la pluralité de l'information et d'assurer la modernisation du secteur qui représente un des piliers de notre projet de société démocratique modernisée", déclarait, le 15 novembre 2002, le roi Mohammed VI. Nul doute que la presse marocaine est l'une de celles qui, aujourd'hui, jouissent de laplusgrande liberté dans le monde arabe et ce, tout particulièrement depuis la fin du règne de Hassan II. Au cours de ces dernières années, des journaux indépendants ont brisé bien des tabous. Des affaires ont été portées à la connaissance de tous : l'implication de la gauche marocaine dans la tentative de coup d'Etat de 1972 contre le roi Hassan II, la corruption impliquant des personnalités politiques, le manque de transparence dans les élections législatives de septembre 2002, etc. Autant de révélations qui ont dérangé. L'intrusion de la satire et de la caricature dans le paysage de la presse écrite a également fait grincer des dents. Cette nouvelle liberté de ton déplaît souvent en haut lieu. Pour "calmer" les ardeurs de la nouvelle génération de journalistes, le régime réagit, tantôt frontalement (trois hebdomadaires ont été interdits fin 2000), tantôt indirectement, à coups de pressions sur les annonceurs ou sur les imprimeurs. Il a également recours à l'arme "législative" comme dans l'affaire Lmrabet. Pour Hassan Nejmi, président de l'Union des journalistes marocains, "deux forces sont actuellement en présence : d'un côté les 'sécuritaires' qui pensent que les Marocains ne méritent qu'une chose : le bâton. Ils sont totalement allergiques à la liberté de la presse. D'un autre côté, il y a ceux qui pensent qu'il ne faut pas se cramponner aux vieux réflexes. Ils soutiennent la société civile et la presse indépendante". Les autorités, bien sûr, se défendent de vouloir restreindre la liberté d'expression. "C'est une erreur de dire qu'il existe une volonté de museler la liberté de la presse", explique Khalil Idrissi, le chef de cabinet du ministère de la Communication. Pour preuve, précise-t-il, les réformes annoncées, en avril 2003, par le ministre de la Communication : réforme du secteur audiovisuel, mise à niveau de l'entreprise de presse, organisation et développement du secteur de la publicité, etc. Qui censure au Maroc ? Le roi ? Le ministre de l'Intérieur ? Le ministre de la Communication ? Le ministre de la Justice ? le patron de la DST ? Il est parfois difficile de déterminer où se situent les responsabilités. Dire qu'il existe une stratégie du pouvoir pour museler la presse indépendante est manifestement exagéré. En revanche, le harcèlement judiciaire contre certains journalistes, les textes coercitifs ou encore les coups bas envers les journalistes constituent incontestablement des signes inquiétants. Recommandations Reporters sans frontières recommande aux autorités marocaines : - de modifier la loi n°77-00 (promulguée le 3 octobre 2002) : . en ne sanctionnant plus de peines d'emprisonnement les délits de presse. Et ce, comme le stipule, dans un document du 18 janvier 2000, Abid Hussain, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, qui a demandé "à tous les gouvernements de veiller à ce que les délits de presse ne soient plus passibles de peines d'emprisonnement, sauf pour des délits tels que les commentaires racistes ou discriminatoires ou les appels à la violence", et précisé que "l'emprisonnement en tant que condamnation de l'expression pacifique d'une opinion constitue une violation grave des droits de l'homme", . en précisant, dans l'alinéa 2 de l'article 41, les termes "atteinte à la religion islamique, au régime monarchique ou à l'intégrité territoriale" qui peuvent prêter à des interprétations très larges, - de définir plus précisément les termes du paragraphe 12 de l'article 1 de l'avant-projet de loi antiterroriste, notamment ceux de "propagande" et de "publicité" d'un acte constituant une infraction de terrorisme, - de veiller à ce que les écoutes téléphoniques ne puissent être mises en place que sur décision d'un juge d'instruction, - de s'assurer que les subventions et les publicités de l'Etat et d'organismes publics ou parapublics soient octroyées aux journaux en toute transparence, en fonction notamment des tirages de journaux, - de mettre un terme à l'interdiction de fait de Rissalat Al Foutouwa et Al-Jazira.
Publié le
Updated on 20.01.2016