Le projet de remplacer le Conseil national de la presse au Maroc menace un peu plus l’indépendance de la profession

Le gouvernement a approuvé un projet de loi qui remet en cause l’autonomie de l’instance d’autorégulation des journalistes. Reporters sans frontières (RSF) dénonce la volonté manifeste des autorités de renforcer leur contrôle sur le secteur des médias.

 

Le Conseil national de la presse est un organe d’autorégulation créé en vertu de la Constitution de 2011. Sa mise en place a permis d’abolir la tutelle du gouvernement sur le secteur des médias. Le mandat de cette instance, est arrivé à expiration en octobre 2022. Au lieu d’organiser de nouvelles élections, comme le prévoient les statuts du Conseil, les autorités ont opté de prolonger son mandat. Cette décision était censée être ’une “solution exceptionnelle et temporaire”  au prétexte que “la situation particulière” ne permettait pas d’élire ses nouveaux membres.

Plus de six mois après cette mesure, qui ne devait être que transitoire, le projet de loi, déposé par le gouvernement d’Aziz Akhanouch prévoit désormais de transférer les prérogatives du conseil vers un comité temporaire dans lequel les dirigeants du conseil sont maintenus, à l’exception toutefois des représentants de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux et de l’Union marocaine du journalisme affiliée à l’Union marocaine de travail. Il se trouve que ces deux organisations étaient les seuls membres à demander la réélection des représentants du Conseil, alors que les autres y étaient opposés. 

Pour les observateurs, cette décision, inexpliquée, est le signe d’une volonté manifeste de l’exécutif de contrôler les médias et de mettre fin à l’autorégulation du secteur.  Il s’agit clairement, selon eux, d’un retour en arrière qui remet en cause la finalité même de ce Conseil de la presse à savoir “une auto-organisation” chargée de “l’autorégulation de la profession”.  Un acquis certes minime, souligne un expert des médias au Maroc, mais qui aidait à maintenir l’indépendance des journalistes, son rôle étant notamment d’attribuer les cartes de presse ou d’élaborer une charte déontologique.   

« Le remplacement du Conseil national de la presse, sans passer par une élection comme le prévoit la loi, est un acte de plus commis contre la liberté de la presse au Maroc. La remise en cause de l’existence de ce conseil, qui survient dans un contexte répressif, illustré par l’emprisonnement injuste et injustifié des journalistes Omar Radi, Soulaiman Raissouni et Taoufik Bouachrine, est inquiétante à plus d’un titre. Elle traduit de toute évidence une volonté des autorités d’assurer un contrôle total de la presse. Il n'y a pourtant rien à gagner à étouffer les dernières voix libres et critiques du pays. Les autorités se doivent de respecter la constitution marocaine et l’autonomie du Conseil de la presse. 

Khaled Drareni
Représentant de RSF en Afrique du Nord

Parmi les prérogatives prévues du nouveau comité temporaire figure la révision des textes régissant l’activité de la presse avec notamment un verrouillage de l’accès à la profession en conditionnant la création d’un média au dépôt d’une caution équivalente à 100.000 euros.

La fédération marocaine des éditeurs de journaux et l’association marocaine de la presse, de l’information et de la communication critiquent « un projet inconstitutionnel,” marquant “un recul gravissime  de l’indépendance de la presse” en raison de l'ingérence du pouvoir exécutif. 

Même son de cloche chez nombre de partis politiques dans le pays qui dénoncent vigoureusement la décision du gouvernement. Le Parti de la justice et du développement, (opposition),  y voit une « nouvelle étape de régression, remettant en cause les principaux acquis démocratiques accumulés par le pays. » Pour le président du groupe du Progrès et du socialisme à la chambre basse du parlement, cette mesure est anti-démocratique. « Un projet de contournement gouvernemental qui vient tuer la presse libre, indépendante, responsable et efficace », a déploré le député Rachid Hamouni dans un communiqué.  Pour le journaliste de l’hebdomadaire AlAyam24, Karim Boukhessas, cette nouvelle décision sonne comme une “mise à mort de l’autorégulation du secteur de la presse au Maroc”.

Le projet de loi doit encore être approuvé par le parlement. La date d’examen n’a pas encore été fixée.

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