Le Premier ministre albanais doit respecter la liberté de la presse et le travail des journalistes

Reporters sans frontières (RSF) et le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias condamnent le comportement du Premier ministre albanais, Edi Rama, qui a menacé d'engager des poursuites judiciaires contre un journaliste politique réputé du quotidien allemand BILD.


Le 5 juin 2019, le journal a publié un article accusant le chef du gouvernement d'avoir utilisé l'argent de la mafia pour acheter des voix lors des élections de 2017. BILD fonde ses accusations sur des écoutes téléphoniques qui font craindre des liens entre le gouvernement albanais et la mafia et assure que les enregistrements sont authentifiés. 

Edi Rama a immédiatement annoncé qu'il poursuivrait le journaliste Peter Tiededevant les tribunaux allemands et a justifié sa décision en expliquant qu’en Allemagne, le pouvoir judiciaire ne jouait pas à des jeux stupides et que la dignité du peuple et de l'État y était respectée. 

Mardi 25 juin 2019, dans un message sur Twitter, le Premier ministre a ajouté qu'il avait mandaté un avocat allemand spécialiste des médias, Matthias Prinz pour plaider cette affaire. 

“La justice allemande doit décider qui a raison et qui a tort. J’agis ainsi parce que les Albanais méritent de connaître la vérité, prononcée par la justice d’un pays irréprochable."

Peter Tiede, le journaliste de BILD, a rétorqué avec une question : "De quoi suis-je accusé, d’avoir publié des enregistrements authentifiés ?"

Le Premier ministre albanais Edi Rama a une approche très particulière de la démocratie et des droits humains, déclare le Directeur général de la section allemande de Reporters sans frontières, Christian Mihr. Il incombe aux médias de demander des comptes aux puissants. C'est exactement ce que le journal BILD a fait, étayant ses faits avec des sources solides.” 

 Au lieu de poursuivre en justice les journalistes, le Premier ministre devrait s’employer à améliorer la liberté de la presse dans le pays et cesser d’appeler les journalistes des poubelles", ajoute Flutura Kusari, responsable juridique auprès de l’ECPMF. 

L'Albanie aspire à rejoindre l'UE, mais Bruxelles a reporté les négociations d'entrée. Depuis des semaines, des milliers de personnes défilent dans les rues des grandes villes pour protester contre leur gouvernement qu’elles accusent d’être corrompu et lié au crime organisé. Les manifestations ont repris de plus belle après la publication des écoutes qui ont été réalisées en 2016 et 2017 dans le cadre d'une enquête anti-mafia. Les retranscriptions proviennent de dossiers du procureur de la République qui les a d'abord tenus secrètes et n'a réagi que lorsque BILD les a révélées. Toutefois, jusqu'à présent, selon le procureur général albanais interrogé par Deutsche Welle, aucune plainte officielle concernant des manipulations électorales n'a été déposée. 

L’opposition demande la démission du Premier ministre dont le parti fait l’objet d’intenses débats à l’aube des élections locales.

Des représentants de Reporters sans frontières (RSF), du Centre européen pour la liberté de la presse et des médias, d’Article 19, du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), de la Fédération européenne des journalistes, de l'Institut international de la presse et de SEEMO se sont récemment rendus en Albanie pour rencontrer des professionnels des médias, des représentants de la société civile et de hauts responsables du gouvernement - y compris le Premier ministre Edi Rama.

 Il est clair que la situation de la liberté de la presse en Albanie se détériore de jour en jour : l’impunité règne en matière d’ attaques contre des journalistes, les dirigeants politiques insultent et diffament les professionnels des médias, et tant le bureau du Premier ministre que celui du maire de Tirana agissent  dans l’opacité et stigmatisent les journalistes dits “critiques”. 

Edi Rama a déclaré à la délégation qu'il "n'utiliserait pas personnellement les lois pénales sur la diffamation contre des journalistes mais continuerait à engager des poursuites en diffamation au civil contre des journalistes dans des cas "extrêmes".

C’est dans ce contexte que le gouvernement a récemment proposé des amendements à la législation sur les médias électroniques, qui permettraient d’imposer des sanctions draconiennes aux médias albanais et étrangers.

L’Albanie a reculé de 7 places et se situe à la 82e place sur 180 pays dans le Classement de la liberté de la presse 2019 établi par Reporters sans frontières.


Publié le
Updated on 02.07.2019