Le président du journal elPeriódico emprisonné : la dérive autoritaire du gouvernement du Guatemala

Le 29 juillet, à Guatemala City, José Rubén Zamora a été arrêté et les locaux de son quotidien perquisitionnés. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités guatémaltèques à le libérer immédiatement, et à mettre fin à leur croisade contre la presse critique et indépendante.

“Avec l’emprisonnement de José Rubén Zamora, le gouvernement guatémaltèque a franchi une ligne rouge. Cette instrumentalisation du système judiciaire à des fins de censure est inacceptable. Elle constitue une énième tentative des autorités de réduire le journal elPeriódico et la presse critique au silence, déclare Emmanuel Colombié, directeur du bureau Amérique latine de Reporters sans frontières. RSF exige le retrait de l’ensemble des charges ainsi que la libération immédiate de José Rubén Zamora, dont le travail d'information et l’engagement contre la corruption sont cruciaux pour la population du Guatemala.

Dans l’après-midi du vendredi 29 juillet à Guatemala City, capitale du pays, la police nationale (PNC) et le Parquet spécial contre l’impunité (FECI) ont procédé à l’arrestation de José Rubén Zamora. Il se trouvait en compagnie de sa famille, notamment de ses petits-enfants, lorsque plusieurs escadrons de policiers cagoulés et lourdement armés ont fait irruption à son domicile. Ils l'ont ensuite conduit en prison sans ménagement et sans lui fournir d’explications. Pendant l’opération, les forces de police ont confisqué les téléphones et les passeports des membres de la famille présents dans la maison. Au même moment, les locaux de la rédaction d’elPeriódico étaient perquisitionnés par la police. Les membres de la rédaction présents sur place ont été empêchés de communiquer et de boucler l’édition du journal.

 

José Rubén Zamora est accusé de chantage, de trafic d’influence et de blanchiment d’argent. Ces charges, selon le Parquet, sont liées à son travail de chef d’entreprise et en aucun cas “à ses activités de journaliste et de fondateur de journal”.  Une précision pour le moins surprenante : après avoir gelé le compte bancaire de José Rubén Zamora, dès le vendredi 29 juillet, les autorités ont gélé également les comptes bancaires du journal pendant le weekend, plaçant la rédaction en grande difficulté.

Initialement prévue le 1er août, l’audience préliminaire a finalement eu lieu ce mercredi 3 août. Suite à l’énoncé des charges, José Rubén Zamora a demandé une suspension d’audience afin de procéder au changement de son équipe de défense, ses avocats étant accusés dans la même affaire. 

L’arrestation de José Rubén Zamora a provoqué de nombreuses réactions et manifestations de soutien à travers le pays et au niveau international. Âgé de 65 ans, fondateur de trois journaux (Siglo Veintiuno en 1990, elPeriódico en 1996 et Nuestro Diario en 1998), José Rubén Zamora est un journaliste chevronné, lauréat de nombreux prix de journalisme, connu pour son professionnalisme et son engagement sans faille en faveur de la liberté de la presse.

Son journal elPeriódico est devenu au fil du temps un quotidien de référence au Guatemala. Pour avoir révélé de nombreux scandales de corruption impliquant des membres des gouvernements successifs, puis enquêté et dénoncé les abus de pouvoirs de la classe politique et du secteur privé, le journal est depuis près de deux décennies la cible régulière d’intimidations, de menaces, de pressions financières, de poursuites judiciaires abusives ou encores de cyberattaques.

Près de deux décennies d'enquêtes qui dérangent

En 2003, après la publication d'une enquête révélant des liens entre l’armée guatémaltèque et des groupes mafieux locaux, José Rubén Zamora et sa famille ont été séquestrés à leur domicile par un groupe armé de 17 personnes se faisant passer pour des membres de la PNC. Suite à cet épisode, plusieurs membres de sa famille ont quitté le pays et la Commission Interaméricaine des droits de l’Homme a contraint l'État guatémaltèque à garantir sa protection avec des mesures préventives de sécurité. Des mesures mises en place mais finalement abandonnées quelques mois plus tard. 

En 2008, une nouvelle enquête du journal dénonçait le financement illégal du parti politique Unidad Nacional de la Esperanza (UNE) par des narcotrafiquants. Aussitôt après, José Rubén Zamora a été kidnappé, drogué et torturé avant d’être abandonné au bord d’une route. 

En 2021, elPeriódico révélait que le président Alejandro Giammattei avait reçu des pots-de-vin d'entrepreneurs russes en échange d’autorisations d'exploitations minières dans le pays. Cette enquête a engendré une série de révélations en cascade et un scandale de corruption international, baptisé “La Trama Rusa”, provoquant l’ire du président et déclenchant une nouvelle avalanche d’attaques et de poursuites judiciaires abusives contre les membres de la rédaction et son fondateur. 

Pour José Zamora, l’un des fils de José Rubén Zamora interrogé par RSF, l’affaire de la “Trama Rusa” a marqué un point de rupture. “Depuis 2021, les pressions contre le journal se sont intensifiées. Plusieurs sources nous ont prévenu de l’arrestation imminente de mon père lors des derniers mois”. José Zamora, lui aussi journaliste, est exilé aux États-Unis depuis 18 ans. C’est de la censure, déplore-t-il. Une stratégie du gouvernement pour réduire la presse critique au silence. elPeriódico dénonce depuis sa création la corruption qui gangrène toujours un peu plus notre pays, c’est pour cela qu’il est stigmatisé et harcelé en permanence. D’abord ils s’en sont pris aux procureurs, ensuite aux magistrats, et maintenant à la presse".

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alejandro Giammattei en 2020, le gouvernement du Guatemala et la procureure générale et chef du ministère public (MP), Consuelo Porras, cherchent à criminaliser l'ensemble des magistrats et fonctionnaires en charge des affaires anti-corruption. En 2021, l’ancienne procureure générale Thelma Aldana et Juan Francisco Sandoval, alors chef du Parquet anticorruption (FECI) ont fuit le pays par peur pour leur intégrité physique. Ce dernier venait d'être limogé par Consuelo Porras après que ses enquêtes aient mis en évidence des pratiques de corruption dans l'entourage proche de la présidence.

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