Le petit-fils de Staline débouté de sa plainte contre "Novaïa Gazeta"

Reporters sans frontières salue le jugement du tribunal de Basmanny (Moscou), le 13 octobre 2009, rejetant la plainte du petit-fils de Staline à l'encontre du journal indépendant Novaïa Gazeta : "Cette décision relève du pur bon sens. Toute autre décision, interdisant le débat sur le bilan du stalinisme, aurait constitué un grave recul de la liberté d'expression, et un signe très préoccupant quant au climat politique en Russie." Contactée par l'organisation, Nadejda Prusenkova, porte-parole de la rédaction, a exprimé sa satisfaction à l'issue de cette "première victoire". "Le tribunal d'arrondissement de Basmanny n'était sans doute pas en mesure de lancer un large débat de société sur le stalinisme ; l'accès aux archives militaires que nous demandions pour juger des faits historiques a été refusé. Mais les nostagiques de Staline souhaitaient se servir de ce procès comme d'une tribune, et du moins cette décision porte-t-elle un premier coup d'arrêt à leurs tentatives de réhabilitation du dictateur." Evgueni Djougachvili estimait qu'un article paru le 22 avril 2009 dans un supplément de Novaïa Gazeta portait "atteinte à l'honneur et à la dignité" de son grand-père, Joseph Staline. Ce dernier y était décrit comme un dictateur sanguinaire, personnellement responsable de l'exécution de citoyens soviétiques et des milliers d'officiers polonais abattus à Katyn en 1940. Par ailleurs, le journal n'a toujours pas reçu de notification officielle quant à une autre plainte pour "diffamation" à son encontre, annoncée par le président tchétchène Ramzan Kadyrov le 6 octobre. (Photo ITAR-TASS/ gazeta.ru) ---------------------------- 08.10.2009 - Le président tchétchène et le petit-fils de Staline ligués contre Novaïa Gazeta Le 8 octobre 2009, s'est ouvert à Moscou le procès intenté au journal indépendant Novaïa Gazeta par le petit-fils de Staline, Evgueni Djougachvili. Ce dernier estime qu'un article paru le 22 avril 2009 porte "atteinte à l'honneur et à la dignité " de son grand-père. L'article en question, intitulé "Béria reconnu coupable", mettait en cause le "petit père des peuples" pour avoir signé personnellement les ordres d'exécution de citoyens soviétiques et de plusieurs milliers de prisonniers polonais abattus par le NKVD (ancêtre du KGB) à Katyn en 1940. En particulier, Evgueni Djougachvili réclame 10 millions de roubles (environ 229 000 euros) de dommages et intérêts à la rédaction et à l'auteur de l'article, Anatoly Yablokov, pour la phrase suivante : "Staline et les tchékistes sont liés par tout le sang qu'ils ont versé, par les graves crimes qu'ils ont commis, avant tout contre leur propre peuple." Le président tchétchène Ramzan Kadyrov a lui aussi annoncé, le 6 octobre, le dépôt d'une plainte pour "diffamation" contre Novaïa Gazeta, suite à un article consacré au meurtre de son ancien garde du corps devenu opposant, Oumar Israilov, à Vienne, en janvier 2009. L'article, intitulé "Coup de feu à Vienne", établissait un lien entre le président tchétchène et cet assassinat. Malgré cette annonce publique, la rédaction n'a pas encore reçu de document officiel. Mais Ramzan Kadyrov ne peut qu'être conforté dans sa détermination à faire taire toute critique, après le verdict rendu en sa faveur le jour même par un autre tribunal de Moscou. L'organisation de défense des droits de l'homme Memorial et son directeur Oleg Orlov, qui avait jugé M. Kadyrov "responsable" de l'assassinat de Natalia Estemirova le 15 juillet 2009, ont, selon le juge Tatiana Fedosova, "porté atteinte à l'honneur" du président tchétchène. En conséquence, ils ont été condamnés à publier un démenti et à verser au plaignant 70 000 roubles (environ 1 600 euros) de dommages et intérêts. Le commentaire de l'avocat de Ramzan Kadyrov n'a pas tardé à suivre : "Dommage que l'amende soit si faible, cela aurait été une bonne leçon pour les autres menteurs !" "Ce n'est pas un hasard si, à deux jours d'intervalle, la rédaction de Novaïa Gazeta est mise en cause par deux représentants de ce que la Russie compte de plus réactionnaire et de plus autoritaire", a déclaré Reporters sans frontières. "Ces attaques soulignent l'importance du combat que livrent Novaïa Gazeta et les autres médias indépendants en Russie, ainsi que l'urgence de les soutenir." De nombreux défenseurs des droits de l'homme russes dénoncent actuellement une réhabilitation rampante de Staline, crédité pour avoir transformé son pays en hyperpuissance et vaincu les envahisseurs nazis. L'an dernier, le dictateur soviétique est arrivé en troisième place dans le palmarès national des "héros de la Russie" réalisé après un vote télévisé. Le 25 août 2009, une inscription à sa gloire a fait sa réapparition dans une station de métro rénovée de Moscou, d'où elle avait disparu dans les années 1950. Depuis le 25 septembre 2009, l'ancien dissident Alexandr Podrabinek est contraint de se cacher du fait de menaces de mort, reçues après qu'il avait dénoncé l'occultation des crimes commis sous Staline. "Au-delà de l'explication de texte, nous espérons que les juges se prononceront sur le fond de l'affaire, auquel cas nous pourrons appuyer notre défense sur des documents historiques", a déclaré Sergueï Sokolov, directeur adjoint de Novaïa Gazeta. "Alors que les meurtres de vingt-deux journalistes, dont cinq collaborateurs de Novaïa Gazeta, restent encore impunis, ces plaintes participent d'un pesant climat d'intimidation", a poursuivi Reporters sans frontières. "Elles soulignent la mise en place progressive et silencieuse de deux tabous sur lesquels les journalistes sont priés de fermer les yeux : le passé soviétique et la situation dans le Caucase russe."
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Updated on 20.01.2016