Le parquet investi d'une mission de surveillance des médias : entre lutter contre la crise ou contre la presse, les autorités ont choisi
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Le 4 décembre 2008, le Premier ministre Vladimir Poutine doit reconduire son exercice de dialogue avec les citoyens, qu'il pratiquait lorsqu'il était chef de l'Etat, et répondra à une sélection de questions lors de l'émission spéciale “Conversation avec Vladimir Poutine”, diffusée sur les chaînes Rossia, Vesti, ainsi que sur les radios Mayak et Radio Rossii, à partir de midi (heure locale). Parmi les questions les plus fréquemment posées, figurent celles concernant la crise économique, les prix de l'essence et le crédit hypothécaire.
De toute évidence, les Russes souhaitent savoir quelle politique le gouvernement entend mettre en oeuvre pour lutter contre les effets de la crise économique. Et ils ne sont pas satisfaits de l'information qui leur est accessible via les médias, si l'on en croit les résultats d'un sondage rendus publics par l'agence de presse Interfax. Selon celle-ci, seules 3 % des personnes interrogées pensent que la situation économique intérieure décrite dans la presse - y compris audiovisuelle - reflète bien la réalité.
Pourtant, les autorités ont choisi de faire planer la menace de poursuites judiciaires sur les médias qui entendent couvrir la situation économique du pays. A cette fin, le ministère public russe est devenu le plus inattendu des acteurs du dispositif de lutte contre la crise.
“La surveillance du contenu des articles traitant de la situation économique russe est un choix politique inquiétant et surréaliste. Inquiétant parce qu'il témoigne de l'ancrage profond du réflexe de censure chez les autorités. Et surréaliste, car celles-ci se trompent si ces dernières croient en l'efficacité d'un tel mécanisme. Elles peuvent essayer de priver la population d'informations. non seulement elle n'empêcheront pas les effets de la crise de se répandre, mais, de surcroît, elles se discréditeront, ainsi que la justice”, a déclaré Reporters sans frontières.
Le 18 novembre 2008, une instruction émanant du parquet général a chargé les procureurs de vérifier les informations publiées dans les médias et de s'opposer “aux attaques contre les banques au moyen d‘informations”. Ces derniers doivent s'appuyer, dans cette mission, sur l'instruction du parquet général relative à “l'organisation de la surveillance en lien avec les mesures gouvernementales de redressement de la situation dans la finance et les autres secteurs de l'économie”. Cette surveillance est placée sous le contrôle direct du procureur général, Iouri Tchaïka.
Première victime de cette politique, le quotidien d'affaires Vedomosti a fait l'objet, fin novembre 2008, d'une mise en garde pour avoir publié, le 6 novembre, l'avis d'un sociologue sur les possibles conséquences de la crise. Il a été conseillé à la rédaction du quotidien de se conformer aux dispositions de la loi sur l'“extrémisme”, votée durant l'été 2007 et déjà source de nombreuses poursuites contre des médias. Depuis, la justice russe a étendu aux régions son activité de surveillance de la presse.
Le 18 novembre, le parquet s'est ainsi intéressé à l'activité de l'agence de presse Ura.ru (Ekaterinbourg), qui a couvert dans ses colonnes les problèmes du secteur bancaire de la région de Sverdlovsk. La rédactrice en chef, Aksana Panova, a été convoquée pour une “conversation”. “On m'a demandé comment nous recevions notre information. Au final, j'ai passé près d'une heure à détailler la situation financière des entreprises de la région”, a-t-elle déclaré dans le quotidien Kommersant.
Le 27 novembre 2008, lors d'une conférence de presse, le parquet de Sverdlovsk a fait savoir que la surveillance serait réalisée avec la participation des directions régionales du FSB (ex-KGB), du ministère de l'Intérieur et du service fédéral de contrôle des communications et des organes d'information (Rossviazkomnadzor). Leur action s'étendra aux articles, aux publicités, mais aussi aux attaques contre des établissements de crédit, via les autres moyens de communication. Le directeur d'une banque d'Ekaterinbourg (Oural) s'est ainsi directement adressé au parquet pour se plaindre du comportement d'employés de banques concurrentes, qui feraient circuler des sms indiquant que son établissement ne pourrait pas honorer ses engagements vis-à-vis de ses clients.
La télévision fait tout particulièrement l'objet de pressions. Ainsi, le 26 novembre, à Saratov, alors que le Parlement local venait de voter le budget 2009, inférieur de 9 milliards de roubles à celui de 2008, la télévision locale Vesti-Saratov n'en a rien dit. Elle a, en revanche, repris les déclarations des députés du parti “Russie Unie” (majoritaire) sur la préservation de la plupart des programmes sociaux. La presse écrite, elle, se heurte surtout à des difficultés pour accéder à l'information, qui se raréfie. C'est l'avis de la rédaction du quotidien local, Saratovskii Vzgliad, qui s'efforce de tenir informés ses lecteurs des répercussions de la crise financière dans l'”économie réelle”.
Pour les autorités, il ne s'agit pas de censure, mais de “prévention d'infractions”, selon les propos du conseiller du directeur du service fédéral de contrôle des communications et des organes d'information, Evguéni Streltchik. Un avis que ne partagent pas les représentants des médias. L'Union des journalistes, en la personne de Mikhail Fedotov, a insisté sur le fait que la plus grave violation de la loi sur les médias serait, pour un journaliste, de dissimuler une information, surtout sur un sujet aussi critique. Il a précisé que non seulement ce serait une violation de la loi sur la presse, mais aussi du droit des citoyens à l'information, défendu par la Constitution. Pavel Goutiontov, qui appartient à la même organisation, a soulevé une question : “Qui décidera ce qui relève de l'attaque au moyen d‘informations et ce qui relève de l'information des citoyens sur la mauvaise situation des organismes de crédit ?”
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20.01.2016