Au moins six journalistes ont été surveillés par le BND depuis le début des années 1990, tandis que d'autres étaient recrutés pour livrer des informations sur leurs confrères. Reporters sans frontières demande l'ouverture d'une enquête et la publication de toutes les informations sur cette affaire.
Le Bundestag (parlement allemand) a publié, le 26 mai dans la soirée, sur son site Internet www.bundestag.de/aktuell/pkg/index.html, une partie du rapport d'un ancien magistrat qui dénonçait l'espionnage de journalistes par les services de renseignements extérieurs (BND). Certains passages ont été retirés et des noms remplacés par des initiales, à la demande des journalistes concernés.
Le président du BND, Ernst Uhrlau, a présenté des excuses publiques pour avoir fait surveiller des professionnels des médias pendant plusieurs années, mais également pour en avoir rétribué d'autres afin qu'ils donnent des informations sur leurs confrères.
Le gouvernement allemand a annoncé la nomination prochaine d'un « enquêteur spécial », chargé d'établir les responsabilités des employés de l'Etat dans cette affaire. Il a également évoqué des sanctions disciplinaires, mais rejeté la nécessité d'un procès public.
Reporters sans frontières avait demandé, le 16 mai, qu'une enquête soit ouverte pour identifier à la fois les exécutants et les donneurs d'ordre de ces pratiques illégales, afin qu'elles ne se reproduisent plus.
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16 mai 2006
Affaire des journalistes employés par les services secrets : Reporters sans frontières demande la publication du rapport qui accuse et l'ouverture d'une enquête
Les services de renseignements allemands (BND) doivent être entendus par la commission de contrôle de la Chambre des députés (Bundestag), le 16 mai 2006 dans l'après-midi. A cette occasion, Reporters sans frontières appelle les autorités à enquêter sur les graves révélations publiées par le quotidien Süddeutsche Zeitung, le 12 mai. Celui-ci a évoqué un rapport de l'ancien magistrat de la Cour fédérale suprême, Gerhard Schäfer, qui affirme que le BND surveillait depuis plusieurs années des journalistes d'investigation. D'autres étaient utilisés comme informateurs par les services secrets et rémunérés.
« Les autorités doivent faire toute la lumière sur ces graves entraves à la liberté de la presse commises par les services de renseignements d'un Etat démocratique. Une enquête doit être ouverte afin que la responsabilité de ces services et des journalistes qui ont collaboré avec eux soit clairement établie. Le rapport faisant état de ces révélations doit être rendu public », a déclaré Reporters sans frontières.
Le BND, chargé des opérations d'espionnage à l'étranger, aurait placé sous surveillance des journalistes du début des années 1990 jusqu'à l'automne 2005, dans le but d'enquêter sur des fuites provenant de ses propres services. Le rapport Schäfer mentionne six journalistes employés par le BND ayant accepté de donner des informations sur leurs collègues ou contraints de le faire lors d'interrogatoires.
« La liberté de la presse est garantie par l'article 5 de la Constitution allemande et il ne peut lui être porté atteinte pour les raisons de sécurité invoquées par le BND. La protection des sources et des informateurs est la pierre angulaire du journalisme d'investigation et un droit absolu. Si elle n'était plus respectée, les médias ne seraient plus en mesure de remplir leur mission d'information et de contribuer à la démocratie», s'est inquiétée l'organisation.
« Le fait que des journalistes aient été employés par des services secrets est fondamentalement contraire à l'éthique du journalisme. Les journalistes qui dévoilent des informations confidentielles et compromettent leurs confrères portent gravement atteinte à la crédibilité de toute la profession. Les professionnels qui ont collaboré avec les services secrets ont violé le chapitre 6.2 du code de la presse allemand », a affirmé Reporters sans frontières.
Sont mentionnés dans le rapport Schäfer : un journaliste ayant travaillé pour le magazine Stern et collaborant aujourd'hui pour le Süddeutsche Zeitung, suivi de janvier à février 1996 ; un rédacteur du quotidien Südwest Presse, également surveillé ; le journaliste Erich Schmidt-Eenboom à Weilheim, qui avait publié en 1993 un livre sur les conflits internes provoqués par la nomination d'un nouveau responsable du BND ; un rédacteur du magazine Spiegel, lui aussi placé sur écoutes.
« Nous saluons la déclaration de la chancellerie, le 15 mai, ordonnant aux services secrets de ne plus prendre à l'avenir de mesures contre les journalistes et leur interdisant de leur demander de révéler leurs sources. En revanche, le gouvernement n'a toujours pas désigné clairement les responsables de ces pratiques illégales, ni expliqué quelles mesures de contrôle seront mises en place pour s'assurer que ces violations ne se reproduiront plus », a souligné l'organisation.
Le rapport Schäfer affirme que la liste complète des journalistes surveillés à leur dépens par le BND n'est pas connue. Les services de renseignements sont responsables, non seulement d'avoir jeté le doute sur des journalistes, mais aussi de les avoir encouragés à espionner leurs propres confrères dans le but d'obtenir des informations sur leurs enquêtes. Un journaliste de Focus aurait ainsi empoché 600 000 marks (plus de 306 000 euros), pour ses services rendus au BND de 1982 à 1998, sous les pseudonymes de « Dali » et de « silencieux ».
Un journaliste indépendant, Erwin Decker, ancien correspondant de guerre en Irak pour les quotidiens Tagesspiegel, Handelsblatt et Bild, a avoué qu'il avait livré des informations sur l'un de ses confrères, Josef Hufelschulte, qui travaillait pour l'hebdomadaire Focus et a été suivi pendant plusieurs années.