Le maire de Mogadiscio édicte des règles "inadmissibles et ridicules" pour les derniers médias de la capitale
Organisation :
Reporters sans frontières condamne la décision du maire de Mogadiscio, Mohamed Omar Habeb, dit "Mohamed Dhere", d'imposer aux médias de la capitale somalienne des exigences inadmissibles dans leur couverture du conflit qui oppose le gouvernement et les insurgés.
"Les règles édictées par Mohamed Dhere sont ridicules, d'autant qu'elles n'ont aucun fondament légal. Une ville dont les médias les plus populaires ont été fermés arbitrairement, que des dizaines de journalistes fuient chaque semaine et où ceux qui restent vivent sous la menace d'être arrêtés ou assassinés, aurait davantage besoin d'un maire protecteur et ouvert au dialogue. Au lieu de cela, Mohamed Dhere leur a imposé le règne de la loi martiale", a déclaré l'organisation.
Le 26 novembre 2007, le maire de Mogadiscio a mis à exécution sa menace d'édicter des règles strictes pour la couverture de la situation sécuritaire pour les derniers médias opérant dans la capitale. Parmi ces règles figurent notamment l'interdiction de rendre compte "des opérations militaires du gouvernement fédéral de transition et des troupes éthiopiennes" sans "l'accord écrit" des autorités, et l'interdiction de diffuser des interviews des "opposants au gouvernement, à l'intérieur ou à l'extérieur" du territoire somalien. Tout contrevenant à ces règles serait considéré comme "criminel", ajoute la décision du maire, ancien chef de guerre et gouverneur de la ville de Jowhar (centre).
------------
16.11.2007 - Reporters sans frontières appelle le président Abdullahi Yusuf à clarifier la position du gouvernement sur la liberté de la presse
Dans une lettre adressée au président du Gouvernement fédéral de transition somalien, Abdullahi Yusuf Ahmed, Reporters sans frontières a protesté contre "la violation de ses engagements que constituent les propos du maire de Mogadiscio, Mohamed Omar Habeb, exigeant des médias et journalistes de s'enregistrer auprès des autorités pour pouvoir travailler dans la capitale".
Le 14 novembre 2007, Mohamed Omar Habeb a appelé "tous les médias", y compris "les représentants des médias étrangers", à s'enregistrer auprès des autorités "dans les 30 jours pour continuer à travailler à Mogadiscio, sinon ils ne seront pas autorisés".
"Outre qu'il n'existe pas de base légale à cette décision, aucune loi en Somalie n'étant susceptible de la justifier, il n'appartient pas au maire de la capitale de déterminer qui est autorisé à couvrir l'actualité et qui ne l'est pas. Les règles élémentaires de la profession stipulent que les seules autorités habilitées à assigner des missions aux journalistes sont leurs rédactions en chef", peut-on lire dans le courrier, daté du 16 novembre 2007.
Quatre radios privées (Radio Quran Karim, Radio Mogadishu, Voice of Democracy, Radio Somaliweyn), une chaîne de télévision (Universal TV, basée à Londres) et cinq correspondants locaux de médias internationaux (AFP, Reuters, Associated Press, BBC, VOA) sont les derniers journalistes à pouvoir travailler à Mogadisicio.
"Certes, la délivrance d'accréditations par les autorités, pratiquée par de nombreux pays, peut se comprendre dans une situation de conflit armé. Mais l'enregistrement sélectif des médias, dans un contexte où trois radios privées ont été récemment fermées arbitrairement par la force et où des journalistes sont régulièrement incarcérés hors de toute procédure légale, constitue une mesure supplémentaire de censure et de contrôle de l'information, incompatible avec les engagements du gouvernement que vous présidez", a ajouté l'organisation.
Reporters sans frontières cite l'exemple de la fermeture, les 12 et 13 novembre 2007, de Radio Shabelle, Radio Banadir et Radio Simba, et de la détention arbitraire du photographe indépendant Salah Mohammed Adde, arrêté le 15 novembre par la brigade criminelle lors d'un meeting au stade de football Banadir, dans le nord de Mogadiscio. Le journaliste a été interpellé alors qu'il prenait des photographies de manifestants qui soutenaient l'opération de police lancée par les troupes somaliennes, appuyées par l'armée éthiopienne, dans le centre de la capitale. Il est toujours en détention depuis.
L'organisation estime que ces incidents "violent la Charte fédérale de transition de février 2004, qui sert de corpus législatif suprême à la Somalie, sur plusieurs points". L'article 3, alinéa 1, stipule que le gouvernement fonde son action sur "la suprématie de la loi" et sur "une gouvernance conforme à la Charte". L'article 4, alinéa c, précise que l'interprétation de la Charte doit privilégier "ce qui fait avancer la dignité humaine, l'intégrité, les droits et les libertés fondamentales, ainsi que l'Etat de droit". Enfin, l'article 20, alinéa 1, engage le gouvernement fédéral de transition à "garantir la liberté de la presse et des médias indépendants, conformément à la loi".
"Ces trois dispositions essentielles de la Charte donnent manifestement tort au maire de Mogadiscio. Du reste, ce dernier, en tant qu'ancien gouvernement de Jowhar sous le nom de guerre de 'Mohamed Dhere', a déjà, par le passé, fait la démonstration de son mépris pour la liberté de la presse, en faisant régulièrement arrêter des journalistes selon son bon vouloir", a écrit Reporters sans frontières.
L'organisation appelle donc Abdullahi Yusuf Ahmed "à prendre des engagements publics clairs en faveur de la presse indépendante somalienne, qui a payé un lourd tribut à la guerre cette année et qui se trouve prise entre les feux croisés des insurgés et de votre armée. De deux choses l'une, soit votre gouvernement fonde son action sur la Charte fédérale de transition et le maire de Mogadiscio ne doit pas mettre ses menaces en pratique, Radio Shabelle, Radio Banadir et Radio Simba doivent être autorisées à reprendre leurs activités et Salah Mohammed Adde doit être libéré ; soit votre gouvernement décide de s'affranchir de ses règles fondatrices et il est indispensable que son président l'assume publiquement", a conclu l'organisation.
Publié le
Updated on
20.01.2016