Le journaliste Vedat Kursun a reçu un prix pour la Liberté de la presse mais… il est toujours derrière les barreaux, condamné à plus de 166 ans de réclusion

En raison de leurs articles, plusieurs journalistes des médias kurdes purgent actuellement des peines de prison, allant jusqu’à 166 ans de privation de liberté. Reporters sans frontières dénonce l’acharnement des autorités contre les professionnels des médias, qui tentent de couvrir objectivement les événements relatifs à la question kurde en Turquie. En détention depuis le 30 janvier 2009, et condamné à plus de 166 ans de prison dans le cadre d’une trentaine d’affaires de presse, le journaliste Vedat Kursun a reçu, le 24 juillet dernier, le prix pour la liberté de la presse de l’Association turque des journalistes. « Je m’adresse à l’opinion publique turque et internationale, défendez le droit de tout le monde à la liberté de pensée. Malheureusement aujourd’hui, ce prix va en prison », a déclaré le père du journaliste à qui le prix a été remis. Le cas de Vedat Kursun, ancien rédacteur en chef de Azadiya Welat, est emblématique des dérives découlant de la loi anti-terroriste (LAT). Elle permet à la justice de poursuivre et de condamner à de lourdes peines les journalistes des médias kurdes, entretenant ainsi une logique répressive à leur égard. C’est en vertu de cette même loi que le rédacteur en chef du bimensuel Express, Irfan Aktan, a été condamné le 4 juin dernier à un an et trois mois de prison pour «propagande du PKK par voie de presse ». Comme Vedat Kursun, il a été récompensé, le 24 juillet dernier, par un prix de l’Association turque des journalistes, alors qu’il se trouve en détention. Depuis sa création en 1994, Azadiya Welat, seul quotidien de langue kurde, est victime d’un véritable harcèlement de la part des autorités qui l’associent au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en lutte armée contre la Turquie depuis 1984 et placé sur la liste des organisations terroristes par le gouvernement. Ainsi, le journal a déjà été suspendu une dizaine de fois et Ozan Kilinç, le directeur de publication qui avait remplacé Vedat Kursun, a été incarcéré, le 22 juillet dernier, à la prison de Diyarbakir (sud-est de la Turquie) suite à l’échec de son appel de la décision de justice du 9 février dernier. La cour l’a reconnu coupable de « propagande du PKK » et de « collaboration » avec cette organisation interdite et l’a condamné à 21 ans et 3 mois de prison. Hamdullah Yilmaz, son prédécesseur, avait lui fui la Turquie, face aux 21 procès intentés contre lui. Reporters sans frontières ne peut que condamner la pression exercée sur les médias militant pour les droits de la minorité kurde, tels que Azadiya Welat, et leurs dirigeants. Le rejet de l’appel de Ozan Kilinç ne fait que confirmer la contradiction des autorités, qui, d’un côté, étouffent les voix de la minorité kurde (un quart de la population du pays) et, de l’autre, lancent une soi-disant politique d’ouverture, « l’initiative kurde ». Cette contradiction se retrouve dans les décisions rendues par les 5ème et 6ème chambres de la Cour d’assises de Diyarbakir, qui ont récemment refusé de libérer Bedri Adanir, propriétaire de la maison d’édition Aram et rédacteur en chef du périodique en langue kurde Hawar, ainsi que Gurbet Cakar, rédactrice en chef de la revue féminine Rengê Hevïya Jinê, tous deux en prison depuis plusieurs mois. Reporters sans frontières rappelle également le sort de Erdal Güler, rédacteur en chef du périodique Devrimci Demokrasi, en prison à Amasya (nord de la Turquie) depuis le 26 décembre 2007 pour des articles soupçonnés de « propagande du PKK et du Parti communiste maoïste (MPK) ». Il ne sera libéré qu’en septembre 2014, si d’autres condamnations ne viennent pas s’ajouter à sa peine d’ici là… Reporters sans frontières réitère son soutien aux journalistes emprisonnés ainsi qu’à ceux qui continuent d’exercer, malgré les pressions judiciaires et physiques. « Nous allons continuer à faire notre travail », a déclaré le chef du bureau du quotidien Günlünk, lors d’une conférence de presse tenue le 21 juillet dernier dans les locaux de l’Association turque des journalistes.
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Updated on 20.01.2016