Le journal privé gabonais La Loupe, victime d'abus de pouvoir
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Le ministre de la Communication accuse le quotidien La Loupe de "trouble à l'ordre public, incitation à la haine, appel au meurtre et à la désobéissance civile" et a saisi le Conseil national de la communication et la justice gabonaise. Reporters sans frontières dénonce ces mesures arbitraires qui outrepassent les responsabilités ministérielles du nouveau titulaire du poste.
Le 3 novembre, le journal privé La Loupe publiait un article relayant les conclusions d'un rapport gouvernemental d'août 2015 sur l'immigration illégale. Dans la même édition, un éditorial s'inquiétait des problèmes de gouvernance dans le pays et allait jusqu'à invoquer le recours aux armes comme possible remède. Le lendemain, un communiqué publié dans le journal gouvernemental L'Union, et signé de la main du nouveau ministre de la Communication, Alain-Claude Bilie By Nzé, décrétait que ces articles portaient atteinte à la sécurité nationale et déclarait l'ouverture d'une procédure devant le Conseil national de la communication (CNC) ainsi que de poursuites judiciaires contre le journal pour "trouble à l'ordre public, incitation à la haine, appel au meurtre et à la désobéissance civile".
"Reporters sans frontières ne cautionne pas le contenu de ces deux écrits, pétris d'opinions personnels et qui vont au delà d'un simple travail d'information journalistique, déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières. Néanmoins, l'organisation s'inquiète des prérogatives que s'octroie ici le nouveau ministre de la Communication Alain Bilie By Nzé. Celles-ci font craindre qu'au delà de la rigueur journalistique, c'est le journal et la voix dissidente qu'il fait entendre, qui sont ici sanctionnées".
Le communiqué du nouveau ministre de la Communication use d'une série de raccourcis qui laissent douter de la bonne foi de la démarche gouvernementale.
Tout d'abord le communiqué qui incrimine le journal La Loupe, signé de la main du ministre, amalgame, comme s'il s'agissait d'un même article, les deux articles incriminés: le sujet sur l'immigration clandestine et l'éditorial sur les problèmes de gouvernance. Ainsi il fait tenir au journal des propos qui vont au-delà du contenu, déjà véhément, des articles.
Par ailleurs, il ne revient pas à l'exécutif de dicter au CNC ou à la justice de quelle affaire ils doivent se saisir. A ce jour l'éditeur du journal n'a reçu aucune notification de la part du CNC ou de la justice sur l'ouverture de procédures. Cette annonce a donc surtout comme impact d'intimider ceux étant associés de près ou de loin au journal. Ainsi l'imprimeur et le distributeur de La Loupe ont suspendu leur collaboration avec le journal dès le lendemain du communiqué, invoquant "le principe de précaution".
Enfin, le ministre de la Communication se fonde sur l’ordonnance 18/PR/2015 de 2015 qui remplace le Code de la Communication de 2001pour justifier des poursuites contre le journal. Or ce texte, résultant des travaux de réforme du Code de la Communication que le gouvernement gabonais a amorcé il y a deux ans est très peu connu des professionnels des médias. De plus le fait de remplacer une loi par une ordonnance, une mesure réservée dans la Constitution gabonaise aux situations d'urgence, laisse planer un doute sur la volonté de transparence annoncée par le gouvernement.
Un journal déjà dans le viseur
Quelques jours avant ces évènements, dans la nuit du 29 au 30 octobre, les locaux de La Loupe, partagés avec L'Aube, ont fait l'objet d'un cambriolage au cours duquel tous les ordinateurs et plusieurs documents importants ont été volés. Ce n'est pas la première fois que les journaux de l'éditeur Alphonse Ongouo font l'objet d'attaques mystérieuses. En septembre 2014, le journal La Loupe avait fait l'objet d'un piratage grossier, sa une contenant des articles critiques du gouvernement ayant été remplacée en dernière minute chez l'imprimeur par une autre version.
Ancien porte-parole de la présidence, Alain Billie By Nzé a été nommé ministre de la Communication début octobre. Il hérite d'un portefeuille difficile, comprenant de nombreux chantiers comme la viabilité de la chaîne Africa N°1 ou du journal Gabon Matin, qui ne paraît plus depuis le 23 octobre. Ses premiers pas dans ce poste semblent avoir déjà braqué la communauté médiatique qui lui reproche son interférence dans la programmation des chaînes publiques et ses velléités "d'encadrer la liberté de la presse".
Le Gabon occupe la 95e place au Classement 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
Publié le
Updated on
20.01.2016