Le journal d’investigation L’Evénement suspendu pour un mois
Organisation :
Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète de la suspension brutale du journal L’Evènement par le Conseil supérieur de la communication du Burkina Faso.
Le Conseil supérieur de la communication (CSC) vient de suspendre le journal bimensuel L'Évènement pour une durée d'un mois à compter du 19 février 2016. Motif? "Récidive" de la divulgation de "secrets militaires".
En fait de secrets militaires, le journaliste avait simplement publié dans son édition du 10 février 2016, consacrée à l'attaque du dépôt de munition de Yimdi par des anciens éléments de la garde présidentielle, une carte des différents dépôts de munitions utilisés par l'armée au fil des ans, et aujourd’hui désaffectés.
Convoqué par la justice militaire le 18 février, en compagnie de son rédacteur en chef Newton Hamed Barry, Germain Nama Bitiou, le directeur de L'Évènement a pu expliquer que son but était d'expliquer le fonctionnement des infrastructures militaires dans le pays et que les anciens dépôts de l'armée ne pouvaient être qualifiés de dispositifs stratégiques. Une réponse apparemment bien reçue par les officiers de l'information de l'armée.
La sanction arrivée au lendemain de cette rencontre avec la justice militaire - sans que les journalistes aient jamais été contactés par le CSC afin de pouvoir présenter leurs arguments devant le Conseil - est ainsi d'autant plus surprenante.
"Reporters sans frontières déplore cette mesure, la façon dont elle a été prise et les motifs invoqués, déclare Clea Kahn-Sriber responsable du bureau Afrique. Le journal L'Evènement est connu pour ses dossiers d'investigation incisifs et constitue en cela une référence du paysage médiatique burkinabé. Les médias du pays se sont illustrés par leur sérieux et leur courage pendant les évènements difficiles des deux dernières années et il serait dommage que le nouveau régime cède à la tentation de la censure alors que la démocratie vient d'être rétablie."
Germain Nama Bitiou, lui, dénonce la "malveillance" du CSC et ajoute: " Il y a un glissement dangereux du CSC qui passe de sa fonction de régulation à celle de « juge des médias ». Dans son réquisitoire, le CSC confond beaucoup de choses ou les convoque à tout le moins maladroitement pour servir sa décision". Le journaliste défend le bilan de son journal et les enquêtes qui lui sont reprochées. "Que cette information contrarie (…), on peut bien le comprendre. Mais elle n'est pas fausse (..). Qu'est-ce qu'on demande aux journalistes si ce n'est s'assurer que les faits sont vrais ! “
Le 15 octobre 2015, le CSC avait invoqué la particularité du contexte national, du au coup d'Etat avorté du 16 septembre, pour "inviter les médias à s'abstenir de publier ou de diffuser des informations stratégiques militaires et/ou de défense et toute autre information pouvant porter atteinte à la sûreté de l'Etat, ou compromettre l'action des Forces de Défense et de Sécurité sur le terrain".
Et Germain Nama Bitiou de conclure, "Si ce que nous avons grossièrement mentionné sur une carte, (…), constitue des secrets, alors il faut vraiment s'inquiéter de ce que nos secrets ne sont pas bien gardés !"
Au Burkina Faso les deux épisodes de contestation armée (en novembre 2014 puis en septembre 2015) ont pu être contenus et ont laissé place à une transition démocratique puis à des élections reconnues comme légitimes. Le pays occupe la 46ème place sur 180 pays dans le Classement 2015 de Reporters sans frontières.
Publié le
Updated on
08.03.2016