Le filtrage du Net porte atteinte à la liberté d’information, selon la Cour de Justice de l’Union Européenne
Organisation :
Reporters sans frontières se réjouit de la décision prononcée par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), le 24 novembre 2011. La CJUE a estimé que le filtrage généralisé du Net porte atteinte aux droits fondamentaux des citoyens européens, et notamment à la libre circulation de l’information sur le Net. Elle a également rappelé que la protection des droits d’auteur ne devait pas se faire au détriment d’autres libertés fondamentales, comme la liberté d’information et la protection des données personnelles.
“Nous saluons cette interprétation de la CJUE qui rappelle que la liberté d’informer est fondamentale, et la protège contre toute législation abusive sur la protection du droit d’auteur, a déclaré Reporters sans frontières.
Les gouvernements européens doivent prendre acte de cet arrêt et abandonner tout projet de législation sur le filtrage du Net. Les parlementaires européens qui vont débattre de l’adhésion de l’UE à l’ACTA, d’ici fin décembre 2011, doivent également prendre en compte cette mise en balance du droit d’auteur avec les droits fondamentaux à la liberté d’information et la protection des données personnelles.
Nous espérons enfin que cette interprétation aura un impact au-delà de l’Europe, et notamment aux Etats-Unis où le Stop Online Piracy Act (SOPA), projet de loi liberticide, est actuellement à l’étude”, a poursuivi l’organisation.
La Cour d’appel de Bruxelles avait saisi la CJUE dans le cadre de l’affaire opposant la SABAM (société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs - équivalent belge de la SACEM) au fournisseur d’accès Internet (FAI) Scarlet Extended, suite au refus de ce dernier de filtrer les communications de ses clients dans le but de lutter contre l’échange en peer-to-peer de “fichiers électroniques reprenant une œuvre musicale” protégée par la SABAM.
La CJUE devait interpréter le droit européen afin de décider si “le droit de l'Union permet aux États membres d'autoriser un juge national à ordonner à un fournisseur d'accès à Internet de mettre en place, de façon générale, à titre préventif, aux frais exclusifs de ce dernier et sans limitation dans le temps, un système de filtrage des communications électroniques afin d'identifier les téléchargements illégaux de fichiers.”
En s’appuyant sur quatre directives européennes, la CJUE s’est prononcée contre le filtrage généralisé. Dans l’arrêt de la Cour, il est clairement affirmé que “des mesures qui obligeraient un FAI à procéder à une surveillance générale des informations qu'il transmet sur son réseau” sont contraires au droit européen, et viole les droits fondamentaux.
La CJUE précise, au paragraphe 52, que le filtrage généralisé du Net “risquerait de porter atteinte à la liberté d’information”, car un tel système de filtrage généralisé ne distingue pas le contenu licite du contenu illicite et entraîne souvent un surblocage. La CJUE a donc reconnu l’impact du filtrage du Net sur la liberté d’expression et la liberté d’information. Il s’agit d’une avancée cruciale pour la défense de la liberté du Net, puisque cette interprétation s’impose désormais aux Etats membres de l’UE.
La CJUE a également rappelé, au paragraphe 43, que le droit de propriété intellectuelle, qui doit certes être protégé, n’est nullement intangible et que sa protection ne doit donc pas “être assurée de manière absolue”, mais toujours mise “en balance avec (...) les autres droits fondamentaux”. En l’occurrence, la CJUE estime que la liberté d’information et la protection des données personnelles des utilisateurs (comme leur adresse IP) prévalent dans ce cas sur la protection du droit d’auteur.
Aux paragraphes 48 et 49, la CJUE ajoute que l’injonction de la SABAM porte également préjudice à la liberté d’entreprise du FAI, en l’obligeant à mettre en place un système de filtrage coûteux à ses frais.
Cette interprétation a été saluée par de nombreux défenseurs de la liberté du Net, et notamment la député européenne Françoise Castex, qui a salué une décision qui porte “un coup d'arrêt à la logique de filtrage qui prévaut en Europe”, une logique qui sacrifie selon elle les “libertés fondamentales sur l'autel du droit de la propriété intellectuelle”.
Publié le
Updated on
20.01.2016