Le chef de l'Etat inaugure une salve d'attaques verbales des autorités contre les journalistes
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Reporters sans frontières est sidérée par le comportement inquisitorial des autorités rwandaises envers deux correspondants de la presse étrangère à Kigali, après que le ministre de l'Information, le directeur de la radio publique et le porte-parole de la police les eurent gravement mis en cause en public, le 26 janvier 2006. Ces attaques surviennent alors que le président rwandais, Paul Kagame, avait violemment pris à partie les journalistes, deux jours plus tôt, lors d'une réunion avec son gouvernement.
« Hier, la presse indépendante était physiquement attaquée. Aujourd'hui, la presse internationale doit faire face à un tribunal politique informel. La preuve est faite que les journalistes rwandais qui ne chantent pas les louanges du gouvernement sont traités avec mépris et agressivité, a déclaré Reporters sans frontières. Que faut-il de plus pour démontrer qu'au Rwanda, la liberté de la presse ne s'exerce qu'à ses risques et périls ? Il est urgent que les autorités réfléchissent au sort qu'elles réservent au droit à l'information et qu'elles changent de comportement. Faute de quoi, nous ne cesserons de répéter que le Rwanda n'est pas parvenu à construire une démocratie réelle. »
Lors d'une conférence-débat organisée par le ministère de l'Information, le 26 janvier, les responsables du gouvernement ont instruit le procès de Lucie Umukundwa, correspondante de la radio publique américaine Voice of America (VOA), et de Jean-Claude Mwambutsa, correspondant de la radio publique britannique British Broadcasting Corporation (BBC).
Joseph Bideri, directeur de l'Office rwandais de l'information (ORINFOR) et porte-parole du gouvernement, a estimé que le correspondant de la BBC avait « exagéré » les conclusions du rapport annuel de l'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW). Publié le 19 janvier, ce rapport critiquait le bilan du Rwanda en matière de droits de l'homme, estimant notamment que les tribunaux populaires « gacaca », mis en place en 2003 pour juger les génocidaires, avaient, à cause de la lenteur des procédures et de nombreuses aberrations, failli à leur mission.
Lucie Umukundwa de VOA a, quant à elle, été mise en cause pour sa couverture de la polémique née de la contestation par trois directeurs de journaux privés du rapport annuel du Haut Conseil de la presse (HCP), l'organisme de régulation des médias au Rwanda, publié le 9 décembre 2005. Alors qu'elle faisait état de la mauvaise évaluation de la situation de la liberté de la presse au Rwanda par l'organisation Amnesty International, le ministre de l'Information, Laurent Nkusi, l'a accusée de ne s'intéresser qu'aux informations « critiquant le pouvoir », faisant ainsi la preuve qu'elle est « la seule source d'information de Reporters sans frontières et d'autres organisations ».
S'en prenant alors aux deux journalistes, le directeur de la station publique Radio Rwanda, Willy Rukundo, a estimé que leur attitude est de la « trahison » et que Jean-Claude Mwambutsa et Lucie Umukundwa ne sont « pas patriotes ». Le porte-parole de la police, Theos Badege, a alors estimé que « l'idéologie de ces journalistes doit être revue ».
Lors d'une réunion entre le Président et ses ministres, le 24 janvier, Paul Kagame leur avait déclaré : « Je ne vois pas comment un pitoyable journaliste rwandais peut déstabiliser les hommes et les femmes responsables que vous êtes. » Il avait ajouté que « la presse semble quasi inexistante », estimant en outre que de nombreux « marginaux » au chômage s'aventuraient dans le métier de journaliste afin de gagner de l'argent. Cette déclaration a provoqué la colère de la profession, qualifiant les propos du Président de « calomnieux » et « scandaleux ».
Dans la nuit du 14 au 15 janvier, le directeur de publication du bimensuel d'opposition Umuco, Bonaventure Bizumuremyi, a été attaqué à son domicile de Kigali par des inconnus armés qui ont mis sa maison à sac et l'ont sommé de cesser de publier des articles défavorables au Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir).
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20.01.2016