L'ancien rédacteur en chef du seul quotidien kurde risque 525 ans de prison

Le 30 mars 2010, l'ancien rédacteur en chef et actionnaire majoritaire du quotidien Azadiya Welat (Pays Libre), Vedat Kursun, a été condamné à trois ans de prison pour "propagande du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)" en lien avec des articles publiés dans les numéros des 11 et 12 août 2007. La 4e chambre de la cour d'assises de Diyarbakir (sud-est du pays) l'a reconnu coupable en vertu de l'article 7 de la Loi 3713 antiterroriste LAT). Reporters sans frontières dénonce les pressions dont font l'objet le journal et ses dirigeants. Ces sanctions, disproportionnées, éclairent les contradictions de la politique du gouvernement turc et en particulier "l'initiative kurde" lancée l'été dernier. Les réformes annoncées doivent assurer de plus amples droits à la population kurde du pays (environ 25 millions de personnes, soit plus d'un quart de la population totale), et se rapprocher des standards internationaux. Mais l'Etat turc semble incapable d'abandonner une logique répressive y compris lorsque celle-ci prend pour cible le seul journal en langue kurde du pays. Une décision on ne peut plus symbolique. Si la cour d'assises de Diyarbakir a condamné le rédacteur en chef à de la prison, celle d'Istanbul a décidé, toujours en vertu de la LAT, la suspension du journal pour une période de deux mois. Le tribunal a estimé que les responsables d'Azadiya Welat avaient enfreint l'article 6 de la LAT, prévoyant qu'une suspension d'un mois minimum peut être requise pour un média qui aurait "dans le cadre des activités terroristes, incité ouvertement au crime, fait l'éloge d'un crime et d'un criminel ou fait la propagande d'une organisation terroriste". Les autorités reprochent notamment au quotidien d'avoir qualifié le dirigeant du PKK, Abdullah Öcalan, de "leader du peuple kurde", dans le numéro du 27 mars. De nombreux autres articles parus dans Azadiya Welat sont visés par la LAT. Pour les autorités, leurs auteurs et le journal les ayant publiés sont coupables d'actes de propagande pro-PKK. Le Parti des travailleurs Kurdes, créé en 1978, lutte depuis 1984 pour l'indépendance, puis l'autonomie, des régions à population kurde de l'est et du sud-est du pays. Ce parti est placé sur la liste des organisations terroristes par le gouvernement turc. Ayant déjà été emprisonné en 2009 pour les mêmes charges, Vedat Kursun, s'il est condamné pour le moment à trois ans de prison, risque d'y séjourner pour une durée bien plus longue. La menace d'une peine de prison de 525 ans pèse sur lui, pour des articles publiés entre 2006 et 2008. Les assises de Diyarbakir l'accusent de 103 infractions distinctes à l'article 7 de la LAT, auxquelles s'ajoute une accusation en vertu de l'article 6, stipulant que "quiconque réalise un acte au nom d'une organisation illégale doit être sanctionné comme un membre de cette organisation". Lors de la dernière audience, ce dernier a nié toute propagande et déclaré : " Je n'ai pas publié ces contenus afin de faire la propagande du PKK mais bien dans le cadre du droit à obtenir des informations et de les communiquer au public." Azadiya Welat, seul quotidien en langue kurde du pays, est suspendu pour la septième fois depuis qu'il sort de manière quotidienne en 2006. Ce journal est régulièrement la cible des foudres du pouvoir, qu'il s'agisse de poursuites ou de saisies. Ozan Kilinç, le nouveau directeur de la publication (qui avait remplacé Vedat Kursun après sa condamnation en 2009) a aussi été condamné à 21 ans et 3 mois de prison le 10 février dernier. En 2009, la Turquie a été condamnée 12 fois par la Cour européenne des droits de l'homme pour des affaires de violation de la liberté d'expression. Près de 17% des arrêts rendus par la CEDH depuis 1959 concernent ce pays.
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Updated on 20.01.2016