A la veille de la 56e Journée internationale des droits de l'homme, le 10 décembre prochain, Reporters sans frontières a adressé un courrier au président syrien Bachar el-Assad lui demandant de mettre un terme aux atteintes quotidiennes à la liberté de la presse en Syrie.
« L'ouverture économique et la modernisation politique de la Syrie ne resteront que de vaines promesses si les autorités s'obstinent à empêcher l'instauration d'une presse libre et indépendante dans le pays », a écrit l'organisation.
« Depuis trente ans déjà, les méthodes d'intimidation et de répression des services de sécurité ont transformé le paysage médiatique syrien en un quasi-désert. En Syrie, l'information est aux ordres à la fois du parti Baas et du gouvernement. Si les autorités souhaitent sincèrement réintégrer la communauté internationale et améliorer leur image, elles doivent dès maintenant tolérer l'émergence d'un journalisme indépendant dans le pays.»
Dernière atteinte à la liberté de la presse en date : la détention pendant trois jours de Taha Hamid, journaliste politique syrien d'origine kurde. Arrêté à son retour de Turquie, le 2 décembre 2004 à Kamichli (nord-est du pays), Taha Hamid a été détenu dans la prison des services de renseignements de l'armée à Damas. D'après l'avocat et défenseur des droits de l'homme Anwar el-Bounni, il a été a été libéré le 5 décembre.
Inscrit à la faculté de journalisme de Damas, Taha Hamid publiait régulièrement des articles politiques et culturels sur des sites Internet d'informations en langue kurde, notamment le site www.amude.com, basé en Allemagne.
Taha Hamid, 37 ans, père de quatre enfants, avait trouvé refuge en Turquie après les affrontements de mars 2004 entre Kurdes, tribus arabes et forces de sécurité syriennes dans la ville de Kamichli. Ces événements ont fait un nombre élevé de morts, mais qui reste jusqu'à aujourd'hui invérifiable auprès de sources indépendantes compte tenu du contrôle des autorités sur l'information.
Autre illustration des violations quotidiennes de la liberté de la presse en Syrie : le journaliste Louai Hussein, qui publiait ses articles dans la presse libanaise et dénonçait les problèmes de corruption, a été interdit d'écrire par le ministère de l'Intérieur.
Le 21 novembre dernier, deux membres des mukhabarat (services de renseignements) syriens se sont rendus à son domicile, dans la ville côtière de Lattaquié (Nord-Ouest). Ils lui ont remis une interdiction écrite de publication émanant du bureau de la sécurité politique du ministère de l'Intérieur. Le journaliste a refusé de signer l'ordre d'interdiction.
Joint par téléphone, Louai Hussein a confié à Reporters sans frontières qu'il ne comptait pas arrêter de publier dans la presse libanaise, notamment dans les quotidiens An-Nahar et As-Safir. Selon lui, c'est un article publié dans An-Nahar au mois de septembre, intitulé « La malédiction du passeport », qui lui aurait valu cette sanction.
Reporters sans frontières rappelle qu'un journaliste est emprisonné depuis plus de seize mois en Syrie. Étudiant en journalisme de 29 ans, Massoud Hamid a été condamné le 10 octobre dernier par la Cour de sûreté de l'Etat à trois ans de prison. Il a été reconnu coupable d' « appartenir à une organisation secrète » et d'avoir « tenté de rattacher une partie du territoire syrien à un pays tiers ». Il avait été arrêté le 24 juillet 2003 à l'université de Damas. Un mois auparavant, il avait publié sur le site www.amude.com des photographies d'une manifestation pacifique kurde devant les locaux de l'Unicef à Damas. Massoud Hamid a depuis été incarcéré à la prison de Adra (près de Damas) où il aurait subi des tortures.
Massoud Hamid fait partie des prisonniers dont la campagne lancée par le « Comité pour la libération des prisonniers politiques » réclame la remise en liberté immédiate. Le 18 novembre, ce comité a lancé une pétition demandant la libération de 400 prisonniers politiques et environ 200 prisonniers kurdes, arrêtés depuis mars 2004. cette campagne se terminera par un sit-in devant le siège du Conseil des ministres à Damas, le 10 décembre prochain, date de la 56e Journée internationale des droits de l'homme.
Contacté par Reporters sans frontières, la figure de proue de ce comité, l'avocat Anwar el-Bounni, a déploré qu'aucun média syrien n'ait pris le risque de rendre publique cette campagne.
« Bien sûr, les médias syriens ont ignoré l'information, contrairement aux médias arabes et occidentaux qui en ont parlé. Ils n'ont même pas envoyé de représentant à la conférence de la presse
(le 18 novembre) lors de laquelle nous avons lancé notre appel à signatures », a déclaré Anwar el-Bounni.
« Cela ne m'étonne pas étant donné que les médias syriens suivent les consignes à la lettre. C'est une presse d'Etat. Les journalistes sont des fonctionnaires, plus préoccupés par leur salaire que par la recherche de la vérité. Ils savent que tous ceux qui dépassent la ligne rouge subiront le même sort que le journal Addomari. Ce journal a été fermé et les autorités ne veulent toujours pas rétablir sa licence », a-t-il expliqué.
Le « Comité pour la libération des prisonniers politiques » est constitué de cinq anciens détenus politiques :
- Anwar el-Bounni, avocat.
- Imad Shi'ha, libéré il y a quelques mois après 30 ans de prison.
- Hassiba Abdrahmane, romancière, détenue pendant sept ans.
- Yacine Haj Saleh, écrivain-journaliste, emprisonné pendant
16 ans.
- Kamal Labwani, médecin, arrêté après le printemps de Damas en 2001, condamné à trois ans de prison et libéré en septembre 2004.
Pour signer la pétition en arabe, en français et en anglais, vous pouvez vous rendre sur le site :
www.togetherforsyria.org
La Syrie, où la liberté de la presse est inexistante, est arrivée à la 155e place du troisième classement mondial de la liberté de la presse publié en octobre 2004 par Reporters sans frontières. Bachar el-Assad est considéré par l'organisation comme l'un des 32 prédateurs de la liberté de la presse dans le monde.