La Turquie se décrédibilise en plaçant le journaliste Can Dündar sur une liste de personnes recherchées pour terrorisme
Le ministère turc de l'Intérieur a inclus le journaliste exilé Can Dündar dans la liste “grise” des personnes recherchées pour collaboration avec l’organisation classée terroriste “Feto” (Fethullah Terrorist Organisation), proche de l'imam turc résidant aux États-Unis, Fethullah Gülen. Reporters sans frontières (RSF) demande la fin de cet acharnement administratif envers ce journaliste d’investigation.
Le ministère turc de l'Intérieur a inclus l’ancien rédacteur en chef du quotidien Cumhuriyet (République), Can Dündar, dans la liste “grise” des personnes les plus recherchées dans le cadre d’une mesure qui vise “l’organisation terroriste fethullahiste / Structure d’état parallèle” (“FETO/PDY”), un mouvement proche du l'imam turc résidant aux États-Unis, Fethullah Gülen, désigné comme responsable de la tentative de putsch de juillet 2016.
Sur son site web, le ministère a publié l’identité de Can Dündar, assortie de sa date et de son lieu de naissance ainsi que de la mention de l’organisation “Feto” (Fethullah Terrorist Organisation) liée au prédicateur Gülen, dont Ankara demande l’extradition des États-Unis. Sachant que le ministère de l'Intérieur offre une récompense de 500 000 livres turques (environ 25 000 euros) à tous ceux qui contribuent à la capture des personnes figurant sur cette “liste grise”, l’acte est évidemment délibéré.
“Nul doute que cet acharnement administratif et judiciaire contre Can Dündar vise à l’intimider alors même qu’il poursuit ses activités journalistiques depuis Berlin. En l’incluant dans une liste des personnes les plus recherchées, le pouvoir turc franchit un autre cap dans sa répression transnationale visant les journalistes en exil.
Les ennuis de Can Dündar ont débuté à la suite de la publication en 2015, d’un article intitulé “Voici les armes dont Erdogan nie l'existence” (“İşte Erdoğan’ın yok dediği silahlar”) dans le quotidien Cumhuriyet, dont il était alors le rédacteur en chef. Suite à ces révélations, Cumhuriyet obtiendra, cette même année, le Prix RSF-TV5 Monde de la Liberté de la Presse.
Des photos et des vidéos montraient que les renseignements turcs avaient participé à des livraisons d’armes à destination de groupes islamistes en Syrie. Le président Recep Tayyip Erdogan avait alors menacé sur l’antenne de la TRT officielle : “Celui qui a signé cet article exclusif le paiera très cher. Je ne le laisserai pas comme ça”.
Acharnement politico-judiciaire sans fin
C’est ce qui s’est effectivement produit. Les ennuis judiciaires de l’ancien rédacteur en chef de Cumhuriyet s’accumulent depuis six ans : incarcéré en novembre 2015 pendant trois mois, il est libéré sur la base d’une décision de la Cour constitutionnelle turque qualifiant son arrestation d’anticonstitutionnelle. Le 6 mai 2016, le journaliste échappe de justesse à une attaque armée devant le palais de justice de Caglayan à Istanbul, alors qu’il sort d’une audience pour accorder des interviews. Cette tentative d’assassinat le pousse à s’exiler en Allemagne, où il lance le site d’information Özgürüz (Nous sommes libres).
Finalement, le 23 décembre 2020, Can Dündar est condamné par contumace par la Cour d’assises d’Istanbul à 27 ans de prison pour “espionnage” et “assistance à une organisation terroriste''. Émise par la Turquie, sa demande d’extradition est immédiatement rejetée par Berlin, au motif que “par principe, l’Allemagne ne procède jamais à l’extradition pour des condamnés d’affaires politiques”.
Le journaliste est également accusé, avec plusieurs membres de la société civile, dont le mécène Osman Kavala, d’être responsable des importantes manifestations survenues à Gezi en 2013 et risque, pour cela, la prison à vie. Dissocié des autres accusés depuis le 25 avril 2021, son dossier est “en attente de son arrestation”.
Enfin, Can Dündar risque toujours plusieurs dizaines d’années de prison pour avoir diffusé le 1er mars 2017 sur le site d'information Özgürüz (créé en exil) une vidéo sur cette même affaire de transfert d’armement.
Son procès se poursuivra le 5 avril prochain, devant la cour d’assises d’Istanbul.
La Turquie occupe le 149e rang sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.