La surveillance : un marché mondial lucratif qui se nourrit de la chasse aux dissidents
Organisation :
Reporters sans frontières dénonce à nouveau la coopération criminelle d'entreprises occidentales des nouvelles technologies avec des régimes autoritaires alors que le site WikiLeaks a rendu public le 1er décembre les “SpyFiles”, une série de documents qui révèlent l’ampleur du marché mondial de la surveillance et de l’interception de masse, un marché qui pèserait 5 milliards de dollars.
Près de 1 100 documents internes concernant 160 entreprises présentes dans 25 pays sont ainsi révélées au grand public, en partenariat avec plusieurs médias (OWNI, The Washington Post, The Hindu, l’Expresso, l’ARD) et une ONG (le Bureau of Investigative Journalism).
Les outils de surveillance de ces entreprises sont utilisés à travers le monde entier par des forces militaires, des agences de renseignement, des gouvernements de pays démocratiques, mais également de régimes répressifs. Les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie, ainsi qu’Israël, figurent parmi les principaux pays exportateurs de ces technologies. Parmi les entreprises montrées du doigt, on compte BlueCoat (Etats-Unis), Elaman (Allemagne), Gamma (Royaume-Uni), Amesys et Qosmos (France) et Aera SpA (Italie). Une carte interactive permet de naviguer parmi les différents pays et entreprises concernés.
Le matériel et les logiciels fournis rendent possible tout un arsenal de mesures de surveillance. N’importe quel ordinateur ou téléphone portable peut être géolocalisé, piraté à distance, voire infecté par un Trojan grâce à l’utilisation d’outils de surveillance téléphonique (SMS, appels, géolocalisation), de surveillance et d’analyse d’Internet (mails, surf), d’analyse de la voix, de déclenchement de cyberattaques.
"Ces nouvelles révélations de Wikileaks viennent confirmer et mieux documenter la collaboration honteuse entre entreprises occidentales et régimes autoritaires ébranlés par les remous du Printemps arabe et soucieux de contrôler la dissidence à tout prix. En armant le bras de régimes d'oppression en leur donnant les moyens de surveiller et d’arrêter des cyberdissidents et des militants des droits de l’homme, ces entreprises se rendent complices de graves crimes. Il est temps de mettre fin à l’impunité des entreprises et de leur imposer des sanctions financières."
Reporters sans frontières réitère sa proposition du 2 septembre 2011 de mettre en place une saisine de la Cour pénale internationale lorsque ces entreprises apportent de fait un soutien technologique à des dictateurs coupables de crimes de guerre.
L’organisation demande aux gouvernements des pays concernés de mettre en place un dispositif fort pour réguler ce marché, en empêchant l’exportation de matériel, de technologies et de logiciels vers les pays où ils sont susceptibles d’être utilisés pour violer la liberté d’expression et les droits de l’homme. Les entreprises doivent aussi adopter des procédures de suivi pour contrôler le détournement potentiel de matériel d’un pays “autorisé” à acquérir ce matériel à un autre qui n’en a pas le droit. Ces régulations doivent également être mises en place au niveau de l’Union européenne et d’organisations internationales comme l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE).
Le député américain Chris Smith s’apprête à introduire une nouvelle version du Global Online Freedom Act de 2006, qui prévoit notamment l’interdiction d’exportation de ces technologies vers des pays comme la Syrie et l’Iran qui restreignent la liberté d’expression en ligne et s’en prennent aux dissidents.
La version européenne du GOFA présentée en 2008 au Parlement européen, par l’eurodéputé hollandais Jules Maaten (ALDE), se donnait pour vocation de prévenir les possibilités de censure sur la Toile et de réguler les activités potentiellement liberticides des entreprises européennes du secteur de l’Internet. Elle doit être modifiée pour prendre en compte les dernières révélations et renforcer les mesures de contrôle.
Le Réseau Sakharov, qui s’est réuni à Bruxelles le 23 novembre 2011 à l’invitation du Président du Parlement européen Jerzy Buzek, a condamné très fermement les implications des sociétés commerciales dans la mise en place des outils d’espionnage et de contrôle de l’Internet et des réseaux de mobilophonie. Les lauréats du Prix Sakharov ont unanimement souligné l’importance d’une action rapide de l’Union européenne dans la mise en place de règles et de législations claires et contraignantes dans la conduite des marchés, encourageant le Parlement européen à poursuivre les premiers pas initiés dans la résolution adopté en octobre 2011 qui interdit la vente de moyens et de technologies de surveillance à des pays qui en feraient usage en violation des principes démocratiques, de la liberté d’expression et des droits de l’homme.
Quelques exemples tirés des SpyFiles :
WikiLeaks publie le contrat signé par Amesys, filiale de Bull, avec les autorités libyennes. En septembre 2011, des documents trouvés par des journalistes du Wall Street Journal et la BBC dans les quartiers généraux du colonel Khadafi avaient révélé qu’Amesys avait fourni au régime libyen des équipements de surveillance du Web très perfectionnés. L'entreprise a notamment mis à disposition des autorités un système baptisé “Eagle”, qui permet l’interception des emails sur les messageries Hotmail, Gmail et Yahoo!, ainsi que la surveillance des messageries instantanées MSN et AIM.
La société italienne Area SpA met actuellement en place un système très élaboré de surveillance du Web en Syrie, nommé Asfador, dont le prix de vente dépasserait les dix millions d’euros. Une fois installé, le système Asfador devrait permettre au régime de Bachar Al-Assad de surveiller tous les échanges d’e-mails effectués sur l’intégralité du réseau syrien et l’accès aux données personnelles des internautes. Area SpA utilise des technologies fournies par d’autres entreprises occidentales, comme la société française Qosmos, qui a récemment décidé de se retirer du projet, ce qui n’a pas freiné le développement du système Asfador.
Consulter d’autres exemples d’agissement d’entreprises déjà condamnées par Reporters sans frontières, notamment BlueCoat en Syrie et Nokia Siemens Networks au Bahreïn.
Publié le
Updated on
25.01.2016