La répression des médias en Turquie : le grand trucage des élections

Erdogan affronte Kilicdaroglu au deuxième tour de la Présidentielle

Un scrutin inéquitable. Alors que la Turquie se prépare au second tour de l’élection présidentielle entre Recep Tayyip Erdogan et le candidat d’opposition Kemal Kiliçdaroglu, Reporters sans frontières (RSF) dénonce un traitement médiatique discriminatoire.

Au pouvoir depuis 20 ans, Recep Tayyip Erdogan a tout mis en œuvre pour remporter le second tour de la présidentielle prévu ce dimanche 28 mai, quitte à bafouer le droit à l’information de ses concitoyens. Au fil des années, la répression tous azimuts avec des incarcérations massives, le contrôle renforcé des médias d’Etat, le rachat du plus grand groupe de médias privés en Turquie par un milliardaire proche du pouvoir et un système de subventions vers les médias qui lui sont favorables ont permis au président turc d’avoir la mainmise sur 85 % des médias nationaux.

Cette emprise a des conséquences multiples. Au contrôle éditorial généralisé s’ajoute un déséquilibre des temps de parole : en l’espace d’un mois, entre le 1er avril et le 1er mai 2023, le président sortant a bénéficié de 60 fois plus de couverture médiatique que son principal rival sur la chaîne publique TRT Haber (TRT Info). En cumulé, cela équivaut à 32 heures d’antenne pour Recep Tayyip Erdogan, contre 32 minutes pour Kemal Kiliçdaroglu, selon des membres du Conseil supérieur de l’audiovisuel (RTUK). Une chaîne publique qui se comporte non seulement en chaîne d’Etat, mais en chaîne au service d’un candidat contre l’autre.

A deux jours des élections législatives et du premier tour de la présidentielle, le 12 mai, Recep Tayyip Erdogan n’a pas hésité à mobiliser l’audiovisuel en sa faveur. Pendant près d’une heure et demi, lors d’une émission conjointe organisée par 14 chaînes de télévision (dont A Haber, 24 TV, TV100, Akit TV, etc), le président sortant a multiplié les attaques et les accusations contre son principal rival, sans que ce dernier puisse bénéficier du moindre droit de réponse. Cette tribune dont a bénéficié  Recep Tayyip Erdogan est d’autant plus choquante et contraire à l’éthique journalistique qu’à aucun moment il n’a été sérieusement interrogé sur la corruption politique, la crise économique, la gestion controversée du tremblement de terre, ou tout autre sujet sensible qui préoccupe pourtant les Turcs actuellement. 

"En Turquie, un système a été construit pour porter des atteintes gravissimes à la liberté de la presse et au pluralisme.On peut toujours débattre des qualités et défauts des deux candidats, de leurs programmes ou de la sociologie politique du pays : la vérité c’est que le système médiatique mis en place constitue un trucage massif des élections en privant les citoyens turcs d’une délibération démocratique. L'iniquité flagrante porte évidemment atteinte à la sincérité du scrutin.”  

Erol Onderoglu,

Représentant en Turquie de RSF. 

Le système déloyal de hyper-présidentialisation de Recep Tayyip Erdogan a aussi été renforcé ces dix dernières années par les attaques et subterfuges multiformes du pouvoir qui ont fragilisé les médias d’opposition, et tué le pluralisme de l’information.

La justice, à la botte d’Ergodan, n’a de cesse d’emprisonner et de harceler les journalistes. Depuis juin 2022, au moins 32 journalistes et collaborateurs de médias pro kurdes ont été arrêtés pour “appartenance à l’organisation illégale du PKK”. Seuls neuf d’entre eux ont retrouvé la liberté le 16 mai dernier. Depuis 20 ans, environ 200 journalistes comparaissent chaque trimestre devant les tribunaux, sur la base de la législation antiterroriste (TMK) ou du code pénal (TCK) en raison de leur activité professionnelle. Le “délit de lèse majesté” toujours en vigueur dans le code pénal turc, a aussi permis de poursuivre quelque 200 autres journalistes depuis août 2014 pour “insulte envers le président Erdogan”. Soixante-quatorze d’entre eux ont été condamnés à de la prison ou amende.

D’après le site Bianet, partenaire de RSF en Turquie, en 2022, la justice a également censuré sur Internet pas moins de 550 contenus journalistiques (articles, éditoriaux, enquêtes), en grande partie sur la corruption et clientélisme politique et les mauvaises pratiques des cercles proches du pouvoir. 

A ces pressions judiciaires s’ajoutent celles du Conseil chargé des annonces publiques (BIK) qui a modifié le code éthique de la presse qui conditionne l’accès à la publicité publique et qui peut pénaliser les quotidiens récalcitrants. Le Haut Conseil de l’audiovisuel (RTÜK) contribue aussi à affaiblir financièrement des chaînes critiques, en les sanctionnant avec des amendes astronomiques. En 2022, 75 % des amendes infligées l’avaient été aux dépens des sept principales chaînes critiques (Halk TV, Fox TV, Tele1, KRT, Habertürk TV, Flash TV et TGRT Haber)…

La Turquie a perdu 16 places au dernier Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF et se situe désormais à la 165e place sur 180 pays. 

 

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