La protection des sources mise à mal
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Reporters sans frontières se dit déçue et inquiète par la décision rendue par la Cour suprême canadienne, ordonnant au journal, National Post, de remettre à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) des documents prouvant un conflit d’intérêts entre la Banque canadienne de développement et un proche de l’ancien Premier ministre, Jean Chrétien. Cette décision met à mal la protection des sources, principe fondamental sans lequel le journalisme d’investigation ne peut exister, estime l’organisation.
Le haut tribunal du pays a confirmé, vendredi 7 mai, le mandat de la gendarmerie d’accéder à des documents censés prouver que la Banque de développement du Canada aurait favorisé un ami de l’ancien premier ministre canadien, Jean Chrétien, la remise de ces documents revenant à révéler l’identité de la source du journaliste Andrew McIntosh à l’origine de l’enquête.
La Gendarmerie royale du Canada (GRC) enquête depuis plusieurs années sur la nature de ces documents qui seraient, selon la défense et les enquêteurs, des faux. Les juges ont estimé que l’intérêt public à la production des preuves matérielles l’emportait sur l’intérêt public de la protection des sources. Il réaffirme que la protection des sources est importante, mais n’est pas un absolu et relève du cas par cas.
L’affaire, appelée le « shawinigate », remonte à 2001 quand le journaliste Andrew McIntosh travaillant à l’époque au National Post, avait révélé que Jean Chrétien, Premier ministre en exercice, avait favorisé un ami pour l’obtention d’un prêt auprès de la Banque de développement du Canada dans son comté de Shawinigan. La Banque de développement estimait que les documents bancaires, servant de base à l'enquête, étaient des faux. Elle avait porté plainte et exigé la remise des documents en question comme éléments de preuves de la falsification. La gendarmerie ayant ouvert une enquête, la banque avait obtenu un mandat de perquisition en 2002, invalidé par la cour de l’Ontario en 2004. La cour d’appel était revenue sur cette décision en 2008.
Reporters sans frontières estime avec la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) que la décision de la Cour suprême est un précédant dommageable, jetant le doute sur la capacité d’un journaliste à garantir l’anonymat d’un témoin ou la confidentialité de documents. Il rend ainsi plus difficile le travail des journalistes d’investigation. L’organisation rappelle l'obligation déontologique fondée sur la Déclaration des droits et devoirs des journalistes de Munich de 1971 qui impose à tous les journalistes de ne pas révéler leurs sources.
L’organisation rappelle également que la protection des sources ne peut être jugé au cas par cas. Qualifié de "pierre angulaire de la liberté de la presse" par la Cour européenne des droits de l'homme (CDEDH), ce principe ne peut être restreint que dans des situations exceptionnelles et limitées. La CEDH considère qu'il ne peut être porté atteinte au secret des sources que "sous réserve d'un motif prépondérant d'intérêt public".
Les exceptions prévues par la loi belge, dont la législation est la plus avancée en la matière, sont limitées à la "prévention des crimes ou délits constituant une menace grave pour l'intégrité des personnes". Les conditions d'une telle restriction n'étaient pas réunies dans l'affaire en cause. La France a adopté le 4 janvier une loi forte reconnaissant le principe du secret des sources qui autorise cependant la justice de passer outre "lorsqu’un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement proportionnées au but légitime poursuivi".
Publié le
Updated on
20.01.2016