La menace d’expulsion d’une journaliste française envoie un signal inquiétant pour l’avenir du journalisme en Inde
Alors que le président de la République française, Emmanuel Macron, est attendu en Inde pour une visite officielle ce jeudi 25 janvier, une journaliste française, établie depuis plus de vingt ans dans le pays, est menacée d’expulsion. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités de ne pas mettre à exécution cette décision et de permettre à la correspondante, ainsi qu’à l’ensemble des journalistes étrangers, de pouvoir poursuivre leur mission d’information sans craintes.
Installée en Inde depuis 2001, la collaboratrice de plusieurs médias francophones, dont l’hebdomadaire Le Point et les quotidiens Le Soir et La Croix, Vanessa Dougnac, s’est vu notifier, le 18 janvier, par le ministère de l’Intérieur, le retrait de sa carte OCI (Overseas Citizen of India) – un permis de résidence accordé à vie aux étrangers d’origine indienne et aux conjoints de citoyens indiens, comme c’est le cas pour cette journaliste. Elle a jusqu’au 2 février pour contester la décision. Si celle-ci était confirmée, elle serait alors forcée de quitter le pays.
Selon le document consulté par RSF, les autorités indiennes lui reprochent notamment des activités journalistiques “malveillantes et critiques dans la mesure où elles créent une perception négative biaisée de l'Inde”, et “contraires aux intérêts de la souveraineté et de l'intégrité de l'Inde, à la sécurité de l'Inde et aux intérêts du grand public.” Or, la journaliste a cessé toute activité journalistique sur l’Inde, selon les informations de RSF, depuis septembre 2022, date à laquelle elle a reçu un refus à sa demande de permis de travail. Vanessa Dougnac s’était conformée à cette décision et réalisait, depuis cette date, des reportages uniquement dans les pays voisins.
“Combien de journalistes étrangers vont-ils pouvoir continuer à travailler en Inde si une professionnelle comme Vanessa Dougnac venait à être expulsée ? Aucune des accusations portées contre elle n’est étayée. Si la menace se concrétise alors que le président français est en visite officielle dans le pays, cela enverrait un signal terrible pour l’avenir du journalisme en Inde. RSF demande aux autorités de ne pas mettre à exécution cette menace d’expulsion, et de permettre aux correspondants de médias étrangers d’exercer librement leur métier dans le pays.
Les journalistes étrangers détenteurs de cartes OCI pouvaient jusqu’en 2022 exercer librement leur métier. Les autorités ont décidé cette année-là d’imposer un permis spécial qui a été refusé à la journaliste, sans justification. Elle a reçu cette notification : “Votre demande d'autorisation d'activité pour entreprendre une activité journalistique en Inde a été refusée par l'autorité compétente."
Une campagne de diffamation en ligne
Depuis l’annonce de sa menace d’expulsion, Vanessa Dougnac est ciblée par une vague de trolls proches du parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), particulièrement sur X (ex-twitter). Ils ont notamment réagi par dizaines au post de soutien à Vanessa Dougnac publié par le directeur du bureau Asie du Sud du Financial Times à New Delhi, John Reed.
De très nombreux commentaires diffamant la journaliste française sont aussi alimentés par un portrait calomnieux de Vanessa Dougnac sur le site en ligne pro-BJP OpIndia. Ces messages jouissent d’une inquiétante visibilité, avec des publications en lignes touchant jusqu’à plus de 45 000 personnes à la fois.
Un climat de plus en plus liberticide pour les journalistes
Les accusations surréalistes dont Vanessa Dougnac est l’objet sont symptomatiques des dérives autoritaires du gouvernement de Narendra Modi, qui entend mettre au pas les médias et discréditer toute voix indépendante. La liberté de la presse du pays qui se revendique comme “la plus grande démocratie du monde” connaît ainsi une dégradation continue depuis son arrivée au pouvoir en 2014. Si les médias indépendants, et les journalistes de la région du Cachemire sont dans la ligne de mire des autorités, les correspondants de médias étrangers basés dans le pays ne sont pas épargnés.