La liberté de la presse victime de l'Etat de non-droit

Aujourd'hui, les journalistes algériens - et tout particulièrement les correspondants locaux - sont victimes des menaces et des intimidations de notables locaux, d'affairistes et de certains " délégués " des Aârchs à la tête de la révolte en Kabylie. Des pressions qui peuvent conduire parfois au pire, comme dans le cas de Abdelhaï Beliardouh, qui a mis fin à ses jours après avoir été agressé par un responsable d'une chambre de commerce. Un rapport de mission de Reporters sans frontières fait le point sur les difficultés rencontrées par la presse algérienne.

Aujourd'hui, les journalistes algériens sont encore loin de pouvoir exercer librement leur métier même si la menace des groupes armés islamistes est moins pesante. Ils demeurent confrontés à des intimidations, pressions, agressions et poursuites judiciaires émanant principalement de notables, d'hommes d'affaires locaux ou encore de délégués des Aârchs. Les correspondants locaux sont les principales victimes de ces exactions. A Annaba, par exemple, des journalistes rencontrent de grandes difficultés à enquêter sur des affaires de corruption. Même chose en Kabylie où un journaliste de Tizi-Ouzou explique : "Le problème, c'est que non seulement les affaires de corruption que l'on dénonce ne débouchent jamais sur des enquêtes (…) mais, qu'en plus, on est menacé pour avoir écrit ces articles !" Depuis le printemps 2001, la couverture des émeutes en Kabylie a été particulièrement difficile pour la presse de la région, prise en tenaille entre les différentes forces en présence. Nombre de journalistes font état de pressions et de menaces provenant de délégués des Aârchs, les représentants du "mouvement citoyen". La liberté de la presse est victime de "la déliquescence de l'Etat", "du pouvoir de l'argent", ou encore de "l'Etat de non-droit", selon de nombreux journalistes. Et l'impunité est trop souvent la règle. Dans les affaires de disparitions de journalistes notamment. Cinq d'entre eux ont "disparu" entre 1994 et 1997. Alors que Reporters sans frontières avait conclu, lors d'une précédente mission d'enquête, en janvier 2001, à l'enlèvement de trois d'entre eux par les forces de sécurité, les enquêtes n'ont nullement progressé. De façon générale, les professionnels des médias sont confrontés à la censure et l'autocensure, les sujets tabous restant encore nombreux : les droits de l'homme, l'influence des généraux, etc. Certains hommes d'affaires n'hésitent pas, par ailleurs, à acheter la presse pour qu'elle soit bienveillante à leur égard. Les autorités disposent d'une véritable épée de Damoclès pour faire pression sur la presse. Le 16 mai 2001, l'Assemblée nationale populaire a adopté un projet d'amendement du code pénal dont l'article 144 bis prévoit notamment des peines de deux à douze mois de prison et des amendes de 50 000 à 250 000 dinars (environ 720 à 3 600 euros) contre toute "atteinte au président de la République en termes contenant l'injure, l'insulte ou la diffamation (…)". Toutes ces sanctions sont également applicables quand les délits sont commis à l'encontre du "Parlement ou de l'une de ses deux Chambres, ou de l'ANP (l'Armée nationale populaire)". Aujourd'hui, plusieurs journalistes sont sous le coup de poursuites judiciaires suite à des plaintes émanant du ministère de la Défense. Le 14 octobre 2002, l'avant-projet de loi sur l'information, présenté par le ministre de la Communication, constitue, selon Khaled Bourayou, avocat spécialisé dans les affaires de presse, "un verrou supplémentaire pour bâillonner la presse, après le code pénal". Suite à une invitation des autorités algériennes pour assister à un "Colloque international sur le terrorisme" à Alger, un représentant de Reporters sans frontières s'est rendu en Algérie pour une mission d'enquête du 25 octobre au 1er novembre 2002. Il a pu travailler en toute liberté et rencontrer de nombreux journalistes à Alger, Annaba et Tizi-Ouzou, ainsi que Farouk Ksentini, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH) (1). En revanche, l'organisation n'a pas pu rencontrer Khalida Toumi, ministre de la Communication et de la Culture et porte-parole du gouvernement, à qui elle avait pourtant demandé une audience. 1. Les correspondants locaux victimes des autorités locales et des notables Un téléphone-fax, un bureau, une chaise, un meuble où sont empilés quelques dossiers. Les murs nus. Le dépouillement est total. Quant à Internet, c'est un véritable luxe. Il faut aller dans les cybercafés pour pouvoir se connecter. Tel est le cadre de travail de la plupart des correspondants locaux, les "parents pauvres du journalisme" comme les appellent certains de leurs confrères d'Alger. Lorsque Reporters sans frontières demande à un journaliste, correspondant du Soir d'Algérie dans une petite localité près de Tizi-Ouzou, s'il reçoit souvent des menaces téléphoniques, celui-ci rétorque, ironique : "Les menaces ne risquent pas d'être téléphoniques puisque je n'ai même pas de téléphone…" Impunité pour les auteurs de menaces De nombreux journalistes ont confié à Reporters sans frontières que la menace terroriste, bien qu'encore présente, était beaucoup moins pesante que dans les années 1993-1996 (2). Ils ne croient guère aux allégations de certains de leurs confrères qui fuient l'Algérie pour la France, prétendant être en danger à cause des groupes terroristes (3). "En fait, on est logé à la même enseigne que le reste de la population. C'est sûr que s'ils nous attrapent, ils nous tuent", déclare l'un d'eux. Youssef Bournil, chef du bureau du Soir d'Algérie à Tizi-Ouzou, précise : "C'est très difficile de faire un article sur le terrorisme. Et si on le fait, on ne signe pas de son vrai nom. C'est trop dangereux. Lorsque l'on va faire une enquête sur les lieux d'un massacre, on se dépouille de tout signe distinctif : pas de carte de presse, pas d'appareil photo. On s'y rend généralement en taxi et on ne décline jamais son identité sauf à certaines personnes lorsque l'on est sûr qu'elles sont 'fiable'." "Le vrai terrorisme aujourd'hui, c'est la mafia locale", déplore un correspondant d'un quotidien algérois à Annaba (Est du pays). Et l'un de ses confrères d'ajouter : "Il existe plusieurs types de réactions suite à des articles qui déplaisent : insultes, agressions, lettres, appels téléphoniques, ou enfin la tentative de soudoyer le journaliste pour qu'il ne poursuive pas son travail." Les exemples ne manquent pas. En 2000, Ghanem Khemissi, correspondant du quotidien arabophone An Nasr (gouvernemental) à Annaba, écrit un article sur un "trou" de 700 000 dinars (8 780 euros) dans les caisses des Oeuvres sociales des travailleurs de l'Education d'Annaba. Peu après, il est agressé par un des membres de cette association. La même année, ce journaliste est interdit d'accès à la mairie d'Annaba suite à la publication d'un article sur la mauvaise gestion de l'hôtel de ville. Il est même frappé par des agents de sécurité devant la mairie. Le maire serait allé voir le directeur du journal le menaçant, s'il ne licenciait pas le journaliste, de ne pas lui remettre un budget publicitaire promis au journal. Dans un premier temps, celui-ci a refusé. Mais, suite aux pressions du maire, et après en avoir discuté avec le journaliste, il a été jugé préférable que ce dernier démissionne… En août 2001, Ali Hemici, correspondant du quotidien Ech Chorouk el Yaoumi à Annaba, critique le syndicat d'une entreprise publique basée dans cette ville. Suite à cet article, le directeur de la société, un personnage très puissant dans la région, se rend à son bureau et, en présence d'un témoin, lui lance : "Je te poursuivrai jusqu'à ce que tu ailles en prison." Peu après, le directeur dépose plainte pour diffamation. "Cet homme est prêt à aller loin. J'ai plus peur de lui que de la justice", explique le journaliste. L'affaire est en cours. En 2001, Amar Bouasmi, correspondant à Annaba pour le quotidien Al Khabar, écrit un article sur la mauvaise gestion de la commune d'El Bouni, à 5 km d'Annaba. Il fait état d'un détournement de 240 millions de dinars (environ 3 millions d'euros) au profit du maire. Peu après, alors qu'il se trouve chez lui avec son épouse et ses enfants, des hommes pénètrent de force dans son domicile, volent de nombreuses affaires et cassent du mobilier. Il est contraint de s'enfermer dans l'une des pièces pour se protéger. Quelque temps plus tard, il est arrêté sur la route par plusieurs hommes qui lui lancent : "Si tu écris un mot de plus sur la commune, on te supprime de la surface de la terre." Par peur, le journaliste n'a pas osé porter plainte. Il a même dû résilier sa ligne téléphonique tant il était harcelé. Mi-février 2002, Hamid Benatia, correspondant du quotidien arabophone El Youm à Annaba, est l'objet d'un véritable harcèlement administratif de la part de la police locale qui lui réclame de nombreux documents concernant le statut légal de son bureau de correspondant. Cette campagne d'intimidation intervient peu après la publication d'articles sur des émeutes dans la région, dans lesquels le journaliste avait notamment critiqué le comportement des forces de police. Il est convoqué à plusieurs reprises par la police, en avril et en mai. C'est suite à une rencontre avec le wali (4) que ce harcèlement administratif prend fin. Hamid Benatia a confié à Reporters sans frontières qu'il avait été menacé plusieurs fois dans la rue par des individus suite à des articles critiques sur des grands patrons d'industrie. Mi-septembre, Ali Hemici, correspondant à Annaba du quotidien arabophone El Ahdath, et Ghanem Khemissi, correspondant dans la même ville du quotidien arabophone d'Oran Erraï, sont menacés par un ancien élu du Rassemblement national démocratique (RND), au siège de ce parti. Il a fallu l'intervention de militants du RND pour que ce notable local ne frappe pas les journalistes. "Que vous écriviez ou non sur moi, je ne serai jamais inquiété", lance le notable. "C'est bien une preuve que l'Etat est totalement absent. Ces gens-là se considèrent comme intouchables", constate, amer, l'un des deux journalistes. Ces derniers avaient publié des articles critiquant l'ancien élu. Le 19 septembre, Nabil Chaoui, correspondant à Annaba du quotidien Le Jeune Indépendant, est menacé dans son bureau par deux hommes. Peu avant, il avait reçu un appel téléphonique. "On nous a traités de tous les noms et on nous a menacés de nous tuer, si l'on écrivait encore sur le fameux industriel de Barrahal (banlieue d'Annaba), Hadjaji Amara", raconte le journaliste. Le 16 septembre, le journaliste avait fait paraître un article dans lequel il rapportait les propos du président de la Chambre de commerce et d'industrie de Seybouz - Annaba qui mettait en cause cet industriel de la région. "Les auteurs des menaces étaient des hommes de main de l'industriel", a précisé le journaliste à Reporters sans frontières. Une plainte a été déposée par Le Jeune Indépendant auprès du procureur de la République, près le tribunal d'Annaba. Depuis que l'affaire est sortie dans la presse, les menaces ont cessé. Néanmoins, Nabil Chaoui a précisé qu'il reçoit souvent des menaces téléphoniques ou des insultes. Selon Majid Laribi, ancien chef de bureau du quotidien La Tribune à Tizi-Ouzou et aujourd'hui réfugié en France, les correspondants locaux sont très souvent contraints à l'autocensure. Pour lui, au moins quatre sujets sont tabous : "Les informations de type sécuritaire, notamment lorsqu'il s'agit d'attentats où est impliquée la Sécurité militaire (5), les affaires de terrorisme devant les chambres criminelles, les détournements de fonds des collectivités locales ou encore le paiement des miliciens." "Le problème, c'est que non seulement les affaires de corruption que l'on dénonce ne débouchent jamais sur des enquêtes de la part des autorités locales mais qu'en plus, on est menacé pour avoir écrit ces articles !", se plaint un correspondant de Tizi-Ouzou. L'affaire Abdelhaï Beliardouh L'année 2002 a été marquée par l'agression dont a été victime Abdelhaï Beliardouh (voir photo), correspondant d'El Watan à Tébessa "où les barons de l'import-import (6), de la contrebande et du terrorisme ont pignon sur rue." (7) Le 20 juillet, Saâd Garboussi, président de la Chambre de commerce et d'industrie des Nememchas (wilayas de Tébessa et de Souk Ahras), se présente, avec trois fonctionnaires de la Chambre de commerce, dont un est armé, au domicile d'Abdelhaï Beliardouh. Le journaliste est roué de coups devant sa famille avant d'être traîné, par le col de sa chemise, dans les rues de la ville jusqu'à la place du 1er Novembre. Il est alors de nouveau violenté et insulté. Selon El Watan du 21 juillet, ni la police ni la gendarmerie ne sont intervenues pour porter secours au journaliste. Il est ensuite conduit, en voiture, dans la cave de la villa de Saâd Garboussi où il est interrogé sur la source d'une information, parue le jour même, dans le quotidien francophone. Il est relâché quelques heures plus tard. Cette agression fait suite à la parution, dans l'édition du 20 juillet d'El Watan, d'un article intitulé "Arrestation du président de la Chambre". Abdelhaï Beliardouh écrivait notamment que Saâd Garboussi "aurait été cité par un repenti comme étant un pourvoyeur de fonds pour le terrorisme" et "aurait participé au blanchiment des fonds du GIA, fruits du crime et du racket qui ont endeuillé les régions de Médéa et de Jijel". Peu avant l'agression, Saâd Garboussi avait appelé Fayçal Métaoui, rédacteur en chef du quotidien, pour lui demander d'inclure, dans l'édition du lendemain, une mise au point. Quand Fayçal Métaoui lui a expliqué que cela ne serait pas possible avant l'édition du lundi, le président de la Chambre de commerce et d'industrie a lancé : "Vous allez voir, je vais lui en faire voir de toutes les couleurs." Le 21 juillet, la rédaction d'El Watan a déposé plainte auprès du procureur de la République de Tebessa pour "séquestration et intimidation". De son côté, le président de la Chambre de commerce a démenti l'agression. Après quatre heures d'audition chez le procureur et douze heures d'audition devant un juge d'instruction, Saâd Garboussi a été mis en liberté provisoire. Des huit personnes qui devaient témoigner en faveur du journaliste, trois seulement se sont présentées devant le juge d'instruction. Le 23 juillet, dans un communiqué, l'association des correspondants de presse de la wilaya de Tébessa a souligné que "Saâd Garboussi a préféré appliquer sa propre loi et sa justice ainsi que la logique de la force, sans donner le moindre crédit à l'Etat, comme si cet individu était convaincu qu'il n'y a pas d'Etat dans la wilaya de Tébessa." L'association a également envoyé une lettre au wali de Tébessa sollicitant l'autorisation de porter des armes : "Nous considérons que nos vies ainsi que celles de nos familles sont en danger, et il ne nous reste aucune autre solution que celle de compter sur nous-mêmes pour défendre notre honneur et notre droit à la vie". Pour Salima Tlemçani, journaliste à El Watan, il est nécessaire d'armer rapidement les journalistes et correspondants "dont la vie se décide désormais chez les barons de la contrebande et les terroristes". Le 19 octobre, Abdelhaï Beliardouh a tenté de se suicider en avalant de l'acide pur. Il a été transporté d'urgence dans un hôpital d'Alger. Le journaliste est décédé dans la nuit du 19 au 20 novembre. L'acide avait provoqué de graves lésions internes, notamment à l'œsophage et à l'estomac. Certains journalistes rencontrés par Reporters sans frontières vont jusqu'à mettre en cause la mafia du foncier dans l'assassinat d'un journaliste survenu il y a quelques années. Le 3 septembre 1995, le correspondant du quotidien algérois Le Matin à Tizi-Ouzou, Saïd Tazrout, est assassiné. Selon des témoins, les assassins seraient arrivés à bord d'un taxi. Atteint d'une ou plusieurs balles à la jambe, Saïd Tazrout est tombé à terre puis a été achevé de deux balles dans la tête. Le journaliste avait, une semaine avant sa mort, fait paraître un dossier sur une affaire foncière. Son article concluait : "Dans le prochain numéro, nous vous donnerons des noms." Selon un confrère, certaines personnes impliquées dans "ce lobby" seraient les commanditaires du meurtre. "Le journaliste a été tué à 400 mètres de la gendarmerie. Il avait sur lui deux armes. Depuis ce jour, personne n'a osé écrire sur cette mafia du foncier à Tizi-Ouzou", a-t-il expliqué à Reporters sans frontières. Pour un autre journaliste de Tizi-Ouzou, Saïd Tazrout "avait touché aux intérêts de groupes extrêmement puissants". Un troisième journaliste a précisé à Reporters sans frontières qu'en 1998, suite à un article sur la "mafia du foncier" dans la région, un individu était venu à son bureau et l'avait menacé. "Me souvenant du journaliste assassiné en 1995, lorsque ma direction m'a demandé, plus tard, de retravailler sur ce sujet, j'ai refusé. J'avais trop peur." A l'époque, la presse avait rapporté que Saïd Tazrout avait été tué par des groupes armés islamistes. "Le journalisme d'investigation est quasiment impossible", s'accordent à dire les journalistes. Tout particulièrement dans le domaine économique. "C'est un système souvent très opaque où l'on ne peut identifier les responsables", confie Abrous Outoudert, directeur de publication de Liberté. "Et si vous commencez à faire du journalisme d'investigation, gare aux accidents de voiture…", lâche-t-il. 2. Les émeutes en Kabylie : les journalistes pris entre deux feux Le 18 avril 2001, Guermah Massinissa, un jeune lycéen, est tué par balles dans une gendarmerie de Beni Douala (localité située à quelques kilomètres de Tizi-Ouzou). Pour les Kabyles, cette mort est "la goutte d'eau qui fait déborder le vase". Des émeutes éclatent alors dans toute la Kabylie. Les manifestants constituent ce que l'on appelle le "mouvement citoyen", qui va être rapidement pris en main par les "Aârchs" (8). Ces émeutes, réprimées violemment par les forces de l'ordre, ont fait plus de cent vingt morts et plus de mille blessés. La Coordination des Aârchs, Daïras et Communes (C.A.D.C.) a appelé au boycott des élections de mai et d'octobre 2002. (9) Répression des forces de l'ordre Le 25 mai 2001, Nadir Bensebaa, du quotidien Le Matin, est agressé par un policier alors qu'il couvre des émeutes à Tizi-Ouzou. Selon le journaliste, le policier lui a asséné des coups de matraque sur le dos et l'a frappé à coups de pied et de poing alors qu'il lui avait montré sa carte de presse. Les policiers témoins de la scène ne sont intervenus qu'une fois que le journaliste était à terre. Hospitalisé, Nadir Bensebaa a obtenu un arrêt de travail de cinq jours. Durant l'été, les bureaux de Tizi-Ouzou du quotidien d'Alger Liberté sont la cible des gendarmes dont les bâtiments se situent à proximité. Ces derniers, sous prétexte que des manifestants se trouvent à l'intérieur du bureau du journal, lancent des pierres et des grenades lacrymogènes dans les locaux situés au deuxième étage. Des vitres sont cassées. Le bureau du Soir d'Algérie, installé au même étage, est également touché. "En général, ce type d'incident arrivait lorsque nous avions écrit un article qui critiquait les forces de l'ordre. Les plus violents ont été les CNS", (10) raconte Mohamed Haouchine, chef du bureau de Liberté à Tizi-Ouzou. Le 13 mars 2002, à Tizi-Ouzou, alors qu'il couvrait des réactions de rue suite à un discours du président Abdelaziz Bouteflika, Lotfi Bouchouchi, correspondant en Algérie de la chaîne de télévision française TF1, est grièvement blessé au nez par une grenade lacrymogène tirée par un gendarme. Le journaliste est touché alors qu'il est éloigné des manifestants et clairement identifiable comme cameraman. "J'étais clairement visé, c'est sûr. Ce qui m'écœure le plus dans cette histoire c'est que le responsable n'a pas été sanctionné." Le journaliste raconte que les conditions de travail pour les équipes de télévision étaient très difficiles. "Ça n'a pas été évident de convaincre, au début, que nous n'étions pas de l'ENTV (la télévision publique algérienne). Si une équipe de cette chaîne avait été sur place, elle aurait été carrément lynchée par les manifestants." Lotfi Bouchouchi a dû se rendre en France pour être opéré. Le 14 mars, une marche (non autorisée) organisée par le FFS (11) à Alger est réprimée. Zoubir Khelaifia, du Jeune Indépendant, est arrêté, avec d'autres manifestants, et interrogé dans un commissariat. Hassan Kaoua, journaliste à la radio Chaîne III (publique) est également arrêté puis relâché sans avoir été interrogé. Malika Taghlit, photographe d'El Watan, voit son appareil photo endommagé par la police. De nombreux journalistes présents pour couvrir la manifestation sont insultés et malmenés par la police. Le 28 mars, M.K. Soussa, un des correspondants du Matin à Tizi-Ouzou, est blessé lors d'une marche réprimée par les forces de l'ordre. Atteint au genou par une bombe lacrymogène, il a une double fracture du tibia et du genou. En mai, Kamel Boudjadi, journaliste du quotidien d'Alger La Nouvelle République, est violemment frappé par les forces de l'ordre alors qu'il couvre des émeutes à Tizi-Ouzou. "Il est arrivé la jambe en sang au bureau", raconte un de ses collègues. "Il avait pourtant sorti sa carte de journaliste." (12) Le 7 octobre, alors qu'il couvre des émeutes à Irdjen (Kabylie), Samir Leslous, photographe du quotidien Liberté, est poursuivi par des forces anti-émeutes. Dans sa fuite, il chute et se fracture la jambe. Les intimidations de certains délégués (13) des Aârchs En août 2001, Aomar Mohellebi (14), correspondant du quotidien Liberté, est menacé près de son domicile par deux délégués (qu'il connaît) de la coordination des Aârchs de Tizi-Ouzou : "Tu dois rectifier ton article, sinon tu en assumeras les conséquences." L'article auquel font référence les deux hommes, est le compte rendu d'un conclave (15), où des délégués rapportaient que certains manifestants de la marche organisée le 14 juin portaient des armes. "Pourtant, j'ai couvert les pires années du terrorisme et je n'ai jamais reçu de menaces de terroristes." Sa direction à Alger ne souhaite pas médiatiser l'affaire. Le journaliste démissionnera suite à cette décision. "J'ai été déçu par le manque de solidarité de ma direction." "En janvier dernier, suite à une série d'articles où je parlais de l'essoufflement du mouvement, du racket des commerçants, etc., j'ai reçu un coup de téléphone : "Ce soir, à 18 heures, vous serez mort." Je connaissais l'auteur de l'appel, c'était l'un des frères de Belaïd Abrika (16). Mais rien n'est venu", témoigne Ali Ben Chaabane, chef du bureau du quotidien algérois L'Expression. Il n'hésite pas à critiquer "certains journalistes militants (proches du mouvement citoyen) qui font d'une escarmouche une émeute et d'une émeute une révolution". Et d'ajouter : "Au début du mouvement, les délégués venaient au bureau en demandant de diffuser leur communiqué. On ne pouvait pas avoir d'entretien avec eux. Ils n'acceptaient pas la contradiction. Depuis peu, on peut enfin les interviewer." Belaïd Abrika étant emprisonné, Reporters sans frontières n'a pas pu recueillir sa version des faits. Le 27 septembre, alors qu'elle couvre un conclave, Madjda Demri, correspondante du quotidien L'Authentique à Tizi-Ouzou, est violemment prise à partie par plusieurs délégués qui demandent à la présidence tournante d'exiger d'elle des excuses. La journaliste avait écrit un article sur un meeting du FFS que des partisans des Aârchs avaient empêché de se tenir, et au cours duquel des membres de ce parti avaient été frappés. Chérif Hamici, un délégué de la localité de Bouzeguène, a déclaré à Reporters sans frontières qu'il avait tenté de calmer ceux qui s'en prenaient à la journaliste. Il a, par ailleurs, ajouté que ce genre d'actes était rare de la part des délégués. Le lendemain de l'agression, Sadek Aït Hamouda, le chef du bureau de l'Authentique à Tizi-Ouzou, invite des journalistes pour adopter une réaction commune. Apprenant cette initiative, un délégué fait le tour de toutes les rédactions en leur disant : "Si vous allez à cette réunion, vous allez porter atteinte au mouvement." Résultat : seuls trois journalistes étaient présents. "Lorsque le mouvement a pris de l'ampleur, il y a eu des comportements fascisants envers la presse", estime Sadek Aït Hamouda. Fin septembre, Said Tissegouine, chef du bureau du quotidien algérois Le Jeune Indépendant (17) à Tizi-Ouzou, fait paraître une enquête sur l'argent recueilli par diverses organisations caritatives pour aider les blessés des émeutes en Kabylie. Sa conclusion : l'argent n'est jamais parvenu dans les caisses du mouvement. A la fin de l'article, le journaliste précise que, dans son prochain numéro, un délégué fera des révélations sur ces affaires de détournement de fonds et qu'il citera des noms. Peu après, des amis du journaliste l'informent que sa vie est "en danger", qu'il est "menacé de mort". Le journaliste préfère alors s'éloigner de Tizi-Ouzou durant quinze jours et l'interview "choc" ne paraîtra jamais. Suite à ces menaces, "certains délégués sont venus me rassurer en me disant qu'ils garantiraient ma sécurité mais je sais bien que, malheureusement, ce ne sont pas eux qui ont le pouvoir dans ce mouvement. Désormais, je ne peux pas m'empêcher de travailler avec appréhension. Aujourd'hui, je crains beaucoup plus certains délégués des Aârchs que les services de sécurité. Attention, il n'est pas question de dire que tous les membres du mouvement citoyen sont comme ça. Ce sont certains individus autoproclamés "délégués" du mouvement qui menacent. Certains d'entre eux ont vraiment des comportements de voyous", témoigne le journaliste. Le 8 octobre, lors d'une conférence de presse publique tenue à Tizi-Ouzou, Noureddine Aït Hamouda (18) s'en prend au quotidien La Dépêche de Kabylie qu'il rebaptise "La débauche de Kabylie". Il critique notamment la couverture des événements par ce journal. Des correspondants à Tizi-Ouzou se plaignent qu'ils sont souvent empêchés de couvrir les réunions du RCD. Ce même parti interdit d'ailleurs à ses militants d'acheter La Dépêche de Kabylie. (19) 3. Attention, sujets tabous ! Aujourd'hui à Paris, le journaliste Youcef Zirem détient le record des démissions dans la presse algérienne. Il est passé, en dix ans, par une quinzaine de rédactions. "J'ai été censuré pour des sujets allant des plus anodins aux plus forts", raconte-t-il. En mars 1999, alors qu'il travaille pour La Tribune, il rédige une chronique sur une émission de la télévision qui invite les différents candidats à l'élection présidentielle. Il y épingle les prétendants à la plus haute fonction de l'Etat. "Quand j'ai écrit sur la prestation du candidat Hamrouche, c'est passé. Quand j'ai écrit sur celle du candidat Bouteflika, ce n'est pas passé . Comme s'il était déjà Président ! " Pour lui, les sujets qu'on ne peut traiter sont nombreux : "la corruption, le statut intouchable du DRS (20), le poids des militaires dans la société, les droits de l'homme, etc. " Une question plus que sensible : les droits de l'homme La question des disparus (21) demeure un sujet sensible même si, ces dernières années, la presse a davantage rendu compte des revendications de ces milliers de familles sur le sort de leurs proches. Lors d'une mission d'enquête en janvier 2001 sur le thème des journalistes disparus (22), Reporters sans frontières avait proposé aux journaux algériens de diffuser une campagne d'information sous la forme de deux visuels, avec les textes suivants : " Pour cinq familles de journalistes en Algérie, il y a pire que d'avoir perdu un être cher : ne pas savoir si elles l'ont perdu / En Algérie, cinq journalistes (23) sont portés disparus. Mais où en sont les enquêtes ? Sur la trentaine de journaux contactés, seuls trois avaient publié la campagne. Le directeur de publication d'un quotidien francophone d'Alger avait confié à l'organisation : "Je suis désolé mais, ici, il y a des lignes rouges que nous ne pouvons pas franchir." Le 6 novembre 2002, une trentaine de membres de familles de disparus se réunissent devant la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPH) et s'apprêtent à se diriger vers la présidence lorsqu'elles sont prises à partie par des membres des forces de l'ordre. D'après plusieurs témoins, des personnes ont été bousculées et battues. Un journaliste du quotidien arabophone El Fadjr, Ibrahim Fakhar, a été notamment frappé alors qu'il avait précisé sa profession. Il a ensuite été conduit au commissariat de Cavaignac (centre d'Alger) où il a été, de nouveau, violemment battu. Un autre journaliste, qui a requis l'anonymat, a été menacé par un policier : "Si tu écris un mot sur moi, je te flingue." Ce rassemblement faisait suite aux déclarations de Farouk Ksentini, président de la Commission dans le quotidien arabophone Ech Chorouk el Yaoumi, (24) qui avait affirmé que les familles de disparus recevraient une indemnisation de 100 millions de centimes de dinars (environ 12 500 euros) ainsi qu'un certificat de décès. (25) Les familles avaient pris cette déclaration comme un moyen, pour le pouvoir, d'enterrer définitivement la question des disparus. Des hommes d'affaires d'influence… "Certains hommes d'affaires sont tout simplement intouchables", déclare un journaliste d'Alger. Rafik Khalifa en constitue le meilleur exemple. Pour préserver son image, sa technique est simple et efficace, il "arrose". A l'occasion d'événements comme les matchs de football France / Algérie (26), Olympique de Marseille / Algérie, ou d'inaugurations de lignes aériennes par Khalifa Airways, comme Alger / Johannesburg ou Alger / Dubaï, l'homme d'affaires invite de nombreux journalistes et patrons de presse : voyage et séjour tous frais payés avec, en prime, "une enveloppe de 4 000 francs", selon plusieurs journalistes, en contrepartie d'articles élogieux. Ces journaux complaisants sont largement diffusés dans les avions de la Khalifa Airways et inondés de publicité du groupe Khalifa. Selon le site d'informations sur l'Algérie Algeria-Interface (27) "le conglomérat (…) est en passe de devenir le principal annonceur publicitaire privé du pays. " Le 23 octobre 2002, le quotidien français Libération publie un dossier intitulé "L'intriguant Monsieur Khalifa". Il y est notamment question de "passe-droits", de "fonctionnement absolument opaque", "d'argent (qui) semble couler à flots", etc. Les jours suivants, la presse algérienne reste très discrète sur ce dossier. Il faut attendre une semaine encore pour que les journaux parlent de l'homme d'affaire en reprenant une longue interview accordée, par Rafik Khalifa, à VSD (28). Unanimes, ils défendent le jeune milliardaire. Très rares sont ceux qui ont osé critiquer Rafik Khalifa : le célèbre caricaturiste de Liberté, Dilem, épingle régulièrement l'homme d'affaires et ses relations avec la presse. Sid Ahmed Semiane, dit S.A.S., ancien chroniqueur du quotidien Le Matin, a également écrit des articles critiques sur l'homme d'affaires. Les généraux, véritables détenteurs du pouvoir "Insulter les généraux, décortiquer leur lutte de clans et leur cohabitation houleuse avec celui qu'ils ont installé à la présidence, le président Bouteflika, c'est possible. Mais donner des faits, c'est impossible", regrette Youssef Zirem, ancien journaliste du quotidien francophone La Tribune. Dans la nuit du 18 au 19 octobre 2001, Sid Ahmed Semiane dit S.A.S., chroniqueur au quotidien Le Matin, est violemment frappé par Lotfi Nezzar pour avoir critiqué le père de ce dernier, Khaled Nezzar, général major à la retraite et ancien ministre de la Défense. L'agression a lieu dans une discothèque d'Alger. Un an auparavant, une altercation avait déjà éclaté entre les deux hommes. Et les mois précédant l'agression, le journaliste avait été menacé à plusieurs reprises par Lotfi Nezzar. Le 21 octobre, le général Nezzar a présenté ses excuses au journaliste en qualifiant l'agression "d'affaire de droit commun". S.A.S., qui a souffert de nombreux hématomes et ecchymoses, avait déposé plainte. Fin juin 2002, le tribunal de Chéraga (banlieue d'Alger) a condamné Lotfi Nezzar à une amende de 1 000 dinars (environ 12 euros) et à 1 dinar symbolique à verser au plaignant. Le 25 août 2002, le quotidien Al Ahdath publie en une une lettre ouverte, adressée au président de la République, de Kada Hezil, chargé des affaires sociales à la wilaya d'Oran. Dans ce courrier qu'il a fait sortir de prison, celui-ci explique qu'il a été arrêté après avoir rédigé le rapport d'enquête commandée par les services de sécurité sur un trafic de drogue dans la région d'Oran. Dans ce rapport, il mettrait en cause de hautes personnalités civiles et militaires de la région, dont le commandant de la 2e Région militaire, le général Kamel Abderahman , le wali d'Oran, etc. Après la parution de cette lettre, le gérant du journal demande au directeur de publication, Habet Hannachi, de publier un démenti le lendemain. Le journaliste refuse et, suite aux pressions de sa direction, préfère démissionner. Le démenti est publié comme prévu. Amer, le journaliste déclare : "Dans la presse algérienne, on peut insulter mais pas donner des faits." Un caricaturiste d'El Ahdath a été, lui, licencié pour un dessin, publié fin octobre, qui brocardait le président Bouteflika et des militaires. Selon Khaled Bourayou, avocat des quotidiens Liberté, El Watan, El Khabar et Le Soir d'Algérie, une trentaine de procès seraient actuellement en cours contre Liberté, El Watan et Le Matin suite à des plaintes émanant du ministère de la Défense. - Liberté Le 25 janvier 2002, le caricaturiste Dilem, du quotidien Liberté, est entendu par la police judiciaire pour un dessin critiquant les généraux. Cette audition intervient après une plainte du ministère de la Défense auprès du procureur de la République du tribunal d'Alger pour ce dessin jugé "diffamatoire et attentatoire à la considération de hauts responsables de la hiérarchie militaire". "Je suis convaincu d'être dans le vrai parce que je dis ce que trente millions d'Algériens pensent. S'ils veulent m'arrêter, ils devront emprisonner trente millions de personnes", a déclaré Dilem à l'AFP peu après cette convocation. Dilem est poursuivi au total pour trois dessins (voir ci-dessous un des dessins). - El Watan Le 28 janvier, la journaliste Salima Tlemçani, du quotidien francophone El Watan, est entendue par la police judiciaire à la suite du dépôt d'une plainte pour "diffamation" par le ministère de la Défense. Cette audition intervient après la parution d'un article, le 11 décembre 2001, sur des nominations au Département du renseignement et de la sécurité (DRS). Elle a été condamnée, ainsi qu'Omar Belhouchet, directeur de publication du journal, à une amende. Le 29 octobre, Omar Belhouchet, est relaxé dans l'affaire qui l'opposait au ministère de la Défense. Le 22 octobre, durant son procès, il avait déclaré "que la presse privée a été le rempart contre la campagne du "qui tue qui ?" (29) déclenchée en Algérie et à l'étranger, sans qu'aucune autorité, à cette époque-là, ait pris ses responsabilités pour y faire face (…) cette campagne, rappelez-vous , a été alimentée par des personnalités politiques et journalistiques, notamment Aït Ahmed (30), Salima Ghezali (31) et Ali Yahia Abdenour (32), contre lesquels le ministère de la Défense nationale n'a pas réagi. (…) Il est plus facile pour le ministère de s'attaquer aux journalistes, ceux-là mêmes qui ont défendu l'institution militaire et le pays dans les moments les plus difficiles". (33) Le ministère de la Défense avait déposé plainte pour diffamation à la suite de la publication, début 2002, d'un article sur l'octroi d'un marché à un gendre d'un général, ancien chef de la 3e Région militaire. - Le Matin Fin janvier, le directeur de publication du quotidien Le Matin, Mohamed Benchicou, est entendu à deux reprises par la police judiciaire à Alger pour avoir publié une caricature et une chronique sur les militaires. Cette convocation fait suite à une plainte en diffamation du ministère de la Défense. "Il y a aujourd'hui dix-sept plaintes contre moi et deux contre le caricaturiste du journal, Le Hic", a déclaré S.A.S. à Reporters sans frontières. 4. Un amendement au code pénal et un avant-projet de loi, liberticides Le 16 mai 2001, l'Assemblée nationale populaire adopte un amendement du code pénal condamné unanimement par la profession. L'article 144 bis prévoit notamment des peines de deux à douze mois de prison et des amendes de 50 000 à 250 000 dinars (de 720 à 3 600 euros) contre toute "atteinte au président de la République en termes contenant l'injure, l'insulte ou la diffamation, soit par l'écrit, le dessin ou par voie de déclaration, et ce, quel que soit le moyen utilisé : diffusion sonore, image, support électronique, informatique ou autre". Cet amendement sera, par ailleurs, rebaptisé l'"amendement Dilem" du nom du caricaturiste qui épingle régulièrement le Président. Les poursuites peuvent désormais être engagées directement par le ministère public, sans dépôt préalable d'une plainte. En cas de récidive, les peines d'emprisonnement et les amendes sont "portées au double". Toutes ces sanctions sont applicables quand les délits sont commis à l'encontre du "Parlement ou de l'une de ses deux Chambres, de l'ANP" (l'Armée nationale populaire) mais aussi de toute "autre institution publique ou tout autre corps constitué". Le 14 octobre 2002, un avant-projet de loi sur l'information, publié sur le site du ministère de la Communication, provoque également le mécontentement de la profession. Brahim Brahimi, enseignant à l'Institut des sciences de l'information et de la communication d'Alger, explique que "le plus grave (dans ce texte) est la remise en cause de l'article 14 de la loi de 1990" (34). Selon ce texte, "L'édition de toute publication (…) est soumise (…) à une déclaration préalable, trente jours avant la parution du premier numéro. La déclaration est enregistrée auprès du procureur de la République". La nouvelle disposition stipule désormais que toute publication "est soumise (…) à une déclaration préalable à la parution du premier numéro auprès des services du ministre chargé de l'Information (…) un récépissé est délivré dans un délai n'excédant pas trente jours à compter de la date du dépôt du dossier. Le silence de l'administration au-delà des trente jours vaut refus". Cette disposition suscite deux commentaires. Pour Fayçal Metaoui, rédacteur en chef d'El Watan, "ils ont redonné un énorme pouvoir au ministère de la Communication qui a désormais droit de vie ou de mort sur les journaux", l'enregistrement se faisant désormais auprès du ministère de la Communication. Selon Salima Ghezali, cet article, qui parle désormais clairement de "refus", "codifie ce qui était déjà en vigueur". Lors d'une mission d'enquête en mai 2000, Reporters sans frontières avait rencontré plusieurs journalistes voulant publier un journal : ils avaient expliqué que, souvent, l' "agrément" n'est pas refusé… mais jamais accordé. Le cas d'Ahmed Kaci est, à ce titre, très significatif. Il s'est vu empêché de finaliser son projet de créer deux publications. "J'ai déposé mon dossier d'agrément au niveau du tribunal de Sidi M'hamed, à Alger, en août 2000 et depuis, il est resté sans suite." Pourtant, cet ancien journaliste qui possède une longue expérience dans la presse, avait réuni toutes les pièces nécessaires à son dossier. "L'obtention d'un agrément obéit ainsi à des règles clandestines et à une volonté délibérée d'interdire des titres avant même leur parution." (35) "Peu importe la tendance politique de la publication, l'essentiel est qu'elle soit sous contrôle. Une association de défense des consommateurs, par exemple, ne peut pas faire paraître un journal car elle pourrait mettre en péril des équilibres économiques", souligne encore Salima Ghezali. Le projet de loi prévoit également l'institution d'une "carte nationale de journaliste" (36), délivrée par la Commission de la carte de journalisme professionnel qui est placée sous l'autorité du ministre de la Communication. Celle-ci comprend des représentants de plusieurs ministères dont celui de l'Intérieur et de la Justice. Plusieurs journalistes critiquent la présence de ces ministères au sein de la Commission et craignent que ce ne soit surtout le ministère de la Communication qui sélectionne les candidats. Reporters sans frontières ne peut que se réjouir du fait que ce texte ne contienne plus, comme dans la loi de 1990, de peines d'emprisonnement pour les délits de presse (37). Pourtant, les journalistes demeurent toujours passibles de peines de prison en vertu de l'amendement au code pénal voté en mai 2001. Pour Khaled Bourayou, avocat spécialisé dans les affaires de presse, "ce texte constitue, après le code pénal, un verrou supplémentaire pour bâillonner la presse." Recommandations Reporters sans frontières recommande aux autorités algériennes : - l'ouverture d'enquêtes sérieuses sur les assassinats et les disparitions de journalistes afin de mettre fin à l'impunité, aujourd'hui la règle dans ces affaires, - la fin des poursuites judiciaires abusives de la part du ministère de la Défense, - la possibilité pour les titres suspendus dans le cadre de l'état d'urgence, qui reste en vigueur, de pouvoir reparaître, (38) - l'ouverture d'enquêtes dans les agressions ou les menaces à l'encontre de journalistes, en s'intéressant tout particulièrement aux cas des correspondants locaux, - la modification du code pénal afin de supprimer les peines de prison pour les délits de presse, comme le demande le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d'opinion et d'expression, (39) Reporters sans frontières recommande à l'Union européenne : - d'intervenir auprès des autorités algériennes pour que celles-ci respectent l'article 2 de l'accord d'Association entre l'Union européenne et l'Algérie. Cet article stipule : "Le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l'homme, tels qu'énoncés dans la déclaration universelle des droits de l'homme, inspire les politiques internes et internationales des parties et constitue un élément essentiel du présent accord. " Notes : (1) Cette commission a remplacé l'ONDH (Observatoire national des droits de l'homme), en avril 2001. (2) Selon Reporters sans frontières, 57 journalistes ont été assassinés entre 1993 et 1996. Une quarantaine d'autres employés des médias ont également trouvé la mort au cours de ces années noires. (3)"Le fait que les journalistes occupant des logements sécuritaires à Sidi Fredj et Moretti quittent peu à peu ces endroits prouve bien que la menace terroriste est moins pesante pour les journalistes d'Alger", explique un reporter de la capitale. (4) Equivalent du préfet en France. (5) Appelée désormais DRS, Département de renseignements et de sécurité. (6) L'Algérie n'exportant quasiment rien en dehors du pétrole et du gaz, les Algériens ont inventé cette formule. (7) Extrait de "Beliardouh transféré à Alger", dans El Watan du 22 octobre 2002, un article écrit par Salima Tlemçani. (8) Tribus kabyles. (9) Pour les élections d'octobre, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, la participation a été de 7,6 % en Grande Kabylie et de 15,6 % en Petite Kabylie contre 50,11% dans le reste de l'Algérie. (10) Police anti-émeutes. (11) Front des forces socialistes, parti d'opposition. (12) Suite au refus de sa direction de publier le récit de son agression, le journaliste a quitté le journal. (13) Un " délégué" est un représentant de la C.A.D.C. (Coordination des Aârchs, Daïras et Communes). (14) Ce journaliste travaille aujourd'hui pour La Dépêche de Kabylie (dont le premier numéro est sorti en juin 2002). (15) Un "conclave" est une réunion organisée par la C.A.D.C. (16) Membre de la présidence tournante de la C.A.D.C. de Tizi-Ouzou, emprisonné le 13 octobre. Il est l'un des leaders les plus connus du mouvement. (17) Les journalistes arabophones ont visiblement été moins touchés par ce type d'intimidations, la Kabylie étant davantage tournée vers la presse francophone. (18) Ancien député RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie), aujourd'hui à la tête d'un groupe d'autodéfense. (19) Ce quotidien kabyle est dirigé par Amara Benyounes, l'un des responsables du RCD duquel il a démissionné. (20) Département de renseignements et de sécurité. (21) Environ 7 000 personnes sont aujourd'hui portées " disparues " en Algérie, selon les associations algériennes de défense des droits de l'homme. Amnesty International a reçu des informations concernant environ 4 000 cas depuis 1994. (22) Voir le rapport de Reporters sans frontières : "Cinq journalistes "disparus" : Aucune enquête sérieuse menée - Les forces de sécurité impliquées dans trois cas", 5 février 2001. Reporters sans frontières a rencontré, lors de cette mission, Farouk Ksentini, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme : "Nous n'avons pas les moyens de savoir ce qu'il s'est passé. Nous demandons des renseignements aux différentes administrations mais leur réponses restent évasives. Que pouvons-nous faire ? Nous ne sommes pas une commission d'enquête. Ces disparitions ont eu lieu alors que c'était le chaos total. Il n'y avait plus d'Etat. Nous ne pouvons qu'encourager les familles à porter plainte mais c'est mieux qu'elles le fassent dans le cadre d'une association. C'est la raison pour laquelle nous allons recommander à la Présidence de reconnaître des associations comme "S.O.S. Disparus". L'Etat étant responsable de ces disparitions, nous sommes pour les indemnisations. Mais cela ne veut pas dire "acheter le problème. Il faut la mise en place d'une véritable commission d'enquête sur ce problème. " (23) Aziz Bouabdallah, du quotidien arabophone El-Alam Es-Siyassi, disparu en 1997 ; Kaddour Bousselham, correspondant du quotidien public Horizons à Hacine, disparu en 1994 ; Djamil Fahassi, journaliste à la Chaîne 3 de la radio nationale, disparu en 1995 ; Mohamed Hassaïne, correspondant local du quotidien Alger Républicain, disparu en 1994 ; et Salah Kitouni, directeur de l'hebdomadaire national El Nour, disparu en 1996. (24) Paru le 3 novembre 2002. (25) Le président a fini par nier ces propos dans El Watan daté du 5 novembre : "Il n'est pas question d'abandonner les recherches et d'occulter le travail de vérité et de justice." (26) Ce match s'est tenu le 6 octobre 2001 à Paris. (27) www.algeria-interface.com. (28) Paru dans l'hebdomadaire VSD du 7 au 13 novembre 2002. (29) Question posée par certaines personnalités politiques algériennes et des organisations internationales de défense des droits de l'homme qui réclamaient une enquête internationale suite à plusieurs grands massacres de civils en 1997. (30) Président du Front des forces socialistes. (31) Directrice de publication de l'hebdomadaire La Nation, fermé en 1996. (32) Président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme. (33) Extrait d'un article intitulé "MDN / El Watan : Affaire en délibéré", de Salima Tlemçani, dans El Watan du 23 octobre 2002. (34) Selon l'article 14 de la loi sur la presse de 1990, "L'édition de toute publication est libre. Elle est soumise, aux fins d'enregistrement et de contrôle de véracité, à une déclaration préalable, trente jours avant la parution du premier numéro. La déclaration est enregistrée auprès du procureur de la République". (35) Extrait du quotidien El Watan daté du 24 février 2002. (36) La carte de presse est aujourd'hui délivrée par les journaux. (37) Pas moins de quinze articles de la loi n°90 - 07 du 3 avril 1990 relative à l'information, sanctionnent de peines d'emprisonnement des délits de presse. (38) Fin 2001, les autorités ont saisi l'hebdomadaire arabophone El Mouaad el Djazairi. Le titre a été suspendu pour six mois renouvelables conformément aux dispositions de l'état d'urgence en vigueur depuis 1992. Selon le journal, cette sanction aurait un rapport avec un éditorial qui accusait l'Etat de pratiquer un genre de terrorisme plus dangereux que celui pratiqué par les terroristes eux-mêmes. Pour un autre quotidien, elle serait liée "au long dossier consacré à l'assassinat d'Abdelkader Hachani, responsable du FIS dissous". (39) Dans un document du 18 janvier 2000, Abid Hussain, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, a demandé "à tous les gouvernements de veiller à ce que les délits de presse ne soient plus passibles de peines d'emprisonnement, sauf pour des délits tels que les commentaires racistes ou discriminatoires ou les appels à la violence (…) l'emprisonnement en tant que condamnation de l'expression pacifique d'une opinion constitue une violation grave des droits de l'homme". - Télécharger le rapport en .pdf
Publié le
Updated on 20.01.2016