La liberté d’informer dans la ligne de mire

Au vu du projet de loi sur le cybercrime présenté devant le Parlement irakien, ainsi que des nombreuses atteintes visant des journalistes ces dernières semaines, Reporters sans frontières est très préoccupée par la situation de la liberté de l’information en Irak. Projet de loi liberticide Reporters sans frontières exprime son inquiétude face au projet de loi sur le cybercrime qui sera prochainement soumis au vote du Parlement irakien. Adopté en première lecture en juillet 2011, le projet de loi présente une réelle menace pour la liberté d’informer en ligne. La définition des crimes visés par le projet est beaucoup trop large et les peines prévues sont démesurées. Sont notamment concernées les violations des "principes religieux, moraux, familiaux ou sociaux" ou la promotion d'"idées" terroristes. Le projet de loi prévoit des peines de prison pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à vie pour l’usage d’Internet et d’ordinateurs en vue de porter atteinte à la sécurité du pays ou à l’unité nationale, ou en cas de publication d'informations sur le trafic d'être humains ou de drogues (art .5). Les médias et leurs sources ne bénéficient pas de protections appropriées dans le cadre de ce texte. Les intermédiaires techniques sont rendus responsables des contenus qui transitent via leurs services et les garanties de protection des données personnelles des usagers ne sont pas suffisantes. (Cf. Lettre ouverte adressée aux autorités irakiennes par Article 19 et Access Now, signée par plusieurs ONG, qui expriment leur inquiétude quant aux conséquences de ce projet de loi pour les libertés fondamentales et la liberté d’expression). Communiqué menaçant Le 4 avril 2012, le ministère de l’Intérieur a publié un communiqué adressé à l’ensemble des médias travaillant en Irak, locaux comme étrangers, les exhortant à toujours nommer leurs sources qui travaillent au ministère et les menaçant de poursuites judiciaires s’ils conservaient leur anonymat. Reporters sans frontières rappelle que la loi irakienne garantit aux journalistes le droit de ne pas révéler leurs sources et que seule une décision de justice, dans certains cas précis, peut les contraindre de le faire. La députée indépendante Safia Al-Suhail a déclaré, le 10 avril, que de telles demandes de la part du ministère étaient “contraires à l’esprit de la constitution irakienne et au nouvel ordre démocratique”, appelant le Parlement à modifier la loi actuelle sur les droits des journalistes afin “de les protéger des pratiques arbitraires du pouvoir exécutif”. Journalistes harcelés par les services de sécurité Le travail des journalistes aurait été systématiquement entravé par les mesures de sécurité mises en place pour le sommet de la Ligue arabe, tenu le 29 mars à Bagdad. Dans un communiqué en arabe, l’Observatoire irakien pour les libertés journalistiques (JFO), organisation partenaire de Reporters sans frontières, a expliqué que les forces de sécurité irakiennes se comportaient de manière grossière avec les journalistes, faisaient obstruction à leur travail, leur fermaient les axes routiers et les interdisaient de photographier, quel que soit le sujet sur lesquels ils enquêtaient. Des journalistes ont rapporté à l’Observatoire que des officiers leur avaient expliqué que la commission chargée de la sécurité du sommet avait ordonné aux membres des services de sécurité d’entraver le travail des journalistes sur le terrain, et ce, de toutes les manières possibles. Malgré la fin du sommet arabe, la situation semblent perdurer : le reporter Salim Mohamed Al-Khalifawi pour la SPA, l’agence saoudienne d’information, a été arrêté, le 30 mars, au sud de Baghdad (dans la province de Dhi Qar), par les forces anti-émeutes lors d’une manifestation des partisans du dignitaire religieux chiite, Mahmoud Al-Hassani Al-Sarkhi. Les policiers l’ont agressé physiquement avec des bâtons, lui ont confisqué sa caméra, puis lui ont ordonné de quitter les lieux. Salim Mohamed Al-Khaliwafi avait pourtant présenté sa carte de presse et son badge était bien visible des policiers. Après cet incident, alors qu’il quittait la localité, les services de sécurité l’ont de nouveau interpellé. Ils ont contrôlé sa carte de presse et vérifié des informations. Le journaliste a ensuite été transféré au centre de police pour l’enregistrement de son identité. Sa carte du syndicat des journalistes irakiens lui a aussi été confisquée. Les policiers l’ont ensuite emmené dans un lieu inconnu où il a été séquestré pendant trois jours. Le 1er avril au matin, il est passé en jugement devant la cour d’appel de Nasiriyeh. Il a ensuite été libéré sous caution. Le 5 avril 2012, Bashar Mandalawi, journaliste indépendant, et le reporter français pour le magazine Le Point, Marc Nexon, ont été arrêtés à un check-point de l’armée irakienne et retenus pendant plusieurs heures. Ils souhaitaient réaliser un reportage et une interview au sud-ouest de la capitale. Un officier des renseignements les a accompagnés jusqu’à leur lieu de rendez-vous et a assisté à l’entretien avec leur contact. Le même jour, le journaliste Saad Al-Awsi a adressé une lettre ouverte au Premier ministre Nouri Al-Maliki, dans laquelle il lui demande de mettre un terme à la persécution dont il ferait l’objet de la part de ses partisans, notamment au sein des services de renseignements. Saad Al-Awsi avait passé 16 mois en détention, d’avril 2010 à août 2011, pour un article critiquant les conditions d’accès au pouvoir du Premier ministre irakien. Le 6 avril 2012, la police antiémeute a tenté d’empêcher une équipe de télévision de la chaîne Al-Sumaria de couvrir une manifestation à Bagdad. Faisant usage de la force, des policiers ont confisqué la caméra de l’équipe. Ils ont pu la récupérer après que les dirigeants de la chaîne se sont plaints auprès des autorités et promis de ne pas filmer. Attentats terroristes Les journalistes en Irak peuvent également être la cible de violences beaucoup plus graves. Ainsi, le 10 avril 2012, le journaliste Khamis Al-Khazraji a été la cible d’une tentative d’assassinat dans la province de Salahaddin, située au nord de Bagdad. Correspondant pour la chaîne satellitaire Al-Ahad, il rentrait à son domicile lorsqu’un homme a tiré avec un fusil sur son véhicule. Il réussi à s’enfuir, sans pouvoir identifier son agresseur. Dans la même région, le 2 avril 2012, Kamiran Salaheddin, qui travaillait depuis 2005 pour la chaîne Salahaddin TV, a été mortellement blessé par la détonation d’une charge explosive placée sous sa voiture. Le 1er avril 2012, au sud de Tikrit, un journaliste photographe a échappé à une explosion qui aurait pu lui coûter la vie. Selon Al-Sumaria News, la bombe, placée à proximité de son domicile, a bléssé un membre de sa famille. À Mossoul, le 1er avril 2012, Al-Sumaria News rapporte que deux obus de mortier ont touché les bâtiments des chaînes satellitaires Al-Irakia et Al-Mowselya dans les quartiers est de la ville (quartier de Karameh), blessant un agent de sécurité. Suspension de programmes télévisés Le 3 avril 2012, la commission des médias et des communications a ordonné la suspension de deux programmes de la chaîne de télévision irakienne Al-Sumaria, menaçant de retirer la licence de la chaîne si elle n’obtempérait pas. Le premier, “Ako Fad Wahid”, programme humoristique présentant notamment des actualités insolites, a été arrété définitivement. La commission a jugé qu’il ne respectait pas les bonnes mœurs, en plus d’attiser les tensions communautaires. Le deuxième programme, “Kalam Leks”, qui traitait de sujets d’actualité ou de société a été suspendu pour une durée d’un mois. Cette décision fait suite à un programme diffusé sur la chaîne au sujet des Églises évangeliques en Irak. Jugeant que le programme portait atteinte à leur communauté, une plainte signée par plusieurs pasteurs avait alors été déposée. Un employé de la chaîne a déclaré à l’Observatoire pour les libertés journalistiques en Irak (JFO) qu’Al-Sumaria “se sent dans le collimateur du pouvoir, sans que l’on sache quelles sont les réelles motivations” avant de préciser qu’ils porteraient l’affaire devant la justice. Me Hasan Shaaban, responsable du centre de protection juridique affilié au JFO, a, quant à lui, déclaré que les décisions de la commission sont en désaccord avec les articles 38 et 46 de la Constitution irakienne qui garantissent la liberté de la presse. Il a ajouté que “les atteintes à la religion ou aux bonnes mœurs sont, par nature, difficiles à identifier”. (Crédit photo: AFP)
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Updated on 20.01.2016